DeletedUser12178
pour faire découvrir @damagework s'il ne connais pas......./
Médieuses — Paul Éluard _ 1939
I
Elle va s’éveiller d’un rêve noir et bleu
Elle va se lever de la nuit grise et mauve
Sa jambe est lisse et son pied nu
L’audace fait son premier pas
Au son d’un chant prémédité
Tout son corps passe en reflets en éclats
Son corps pavé de pluie armé de parfums tendres
Démêle le fuseau matinal de sa vie.
II
Près de l’aigrette du grand pont
L’orgueil au large
J’attends tout ce que j’ai connu
Comblée d’espace scintillant
Ma mémoire est immense.
La bonté danse sur mes lévres
Des haillons tièdes m’illuminent
Une route part de mon front
Proche et lointaine
La mer bondit et me salue
Elle a la forme d’une grappe
D’un plaisir mûr
J’aimais hier et j’aime encore
Je ne me dérobe à rien
Mon passé m’est fidèle
Le temps court dans mes veines.
III
Sous des poutres usées sous des plafonds stériles
Dans une vaste chambre petitement garnie
Les genoux ligotés confèrent qualité
À la ligne droite misérable
Ses cheveux pris au piège d’un miroir brisé
C’est sur la mousse de son front que l’eau roucoule
La dérive évasive d’un sourire entraîne
Sa dernière illusion vers un ciel disparu.
IV
Dans les parages de son lit rampe la terre
Et les bêtes de la terre et les hommes de la terre
Dans les parages de son lit
Il n’y a que champs de blé
Vignes et champs de pensées
La route est tracée sans outils
Les mains les yeux mènent au lit
À l’ardent secret révélé
Aux ombres taillées en songe
Délié des doigts de l’air l’élan
Le vase d’or d’un baiser
La gorge lourde et lente
Par mille gerbes balancée
Arrive aux fêtes de ses fleurs
Elle donne soif et faim
Son corps est un amoureux nu
Il s’échappe de ses yeux
Et la lumière noue la nuit la chair la terre
La lumière sans fond d’un corps abandonné
Et de deux yeux qui se répètent.
V
Mes sœurs prennent dans leurs toiles
Les cris et les plaintes des chiens
Moi je préfère me nourrir
De l’espoir d’une ardeur sans fin
Oranger noir armure blonde
Grisante abeille rire en course
Rire invisiblement masqué
Écorce d’aube aile étourdie
Nichée de feuilles débauchées
Jeune poison liane montagne
Sueur de nage fumée froide
Pas de géant danse battante
Front éternel paume parfaite
Puits en plein air essieu de vent
Monument vague flamant fou
Jeu sans perdant santé sans trous
Torche brûlant dans l’eau tour mixte
Martyr radieux aux angles vifs
Œil clair à travers honte et brume
Première neige réjouissante
Mérite de la solitude
Exil aux sources de la force.
VI
Où es-tu me vois-tu m’entends-tu
Me reconnaîtras-tu
Moi la plus belle moi la seule
Je tiens le flot de la rivière comme un violon
Je laisse passer les jours
Je laisse passer les bateaux les nuages
L’ennui est mort près de moi
Je tiens tous les échos d’enfance mes trésors
Avec des rires dans mon cou
Mon paysage est un bien grand bonheur
Et mon visage un limpide univers
Ailleurs on pleure des larmes noires
On va de caverne en caverne
Ici on ne peut pas se perdre
Et mon visage est dans l’eau pure je le vois
Chanter un seul arbre
Adoucir des cailloux
Refléter l’horizon
Je m’appuie contre l’arbre
Couche sur les cailloux
Sur l’eau j’applaudis le soleil la pluie
Et le vent sérieux
Où es-tu me vois-tu m’entends-tu
Je suis la créature de derrière le rideau
De derrière le premier rideau venu
Maîtresse des verdures malgré tout
Et des plantes de rien
Maîtresse de l’eau maîtresse de l’air
Je domine ma solitude
Où es-tu
À force de rêver de moi le long des murs
Tu me vois tu m’entends
Et tu voudrais changer mon cœur
M’arracher au sein de mes yeux
J’ai le pouvoir d’exister sans destin
Entre givre et rosée entre oubli et présence
Fraîcheur chaleur je n’en ai pas souci
Je ferai s’éloigner à travers tes désirs
L’image de moi-même que tu m’offres
Mon visage n’a qu’une étoile
Il faut céder m’aimer en vain
Je suis éclipse rêve de nuit
Oublie mes rideaux de cristal
Je reste dans mes propres feuilles
Je reste mon propre miroir
Je mêle la neige et le feu
Mes cailloux ont ma douceur
Ma saison est éternelle.
VII
Et par la grâce de ta lèvre arme la mienne.
Médieuses — Paul Éluard _ 1939
I
Elle va s’éveiller d’un rêve noir et bleu
Elle va se lever de la nuit grise et mauve
Sa jambe est lisse et son pied nu
L’audace fait son premier pas
Au son d’un chant prémédité
Tout son corps passe en reflets en éclats
Son corps pavé de pluie armé de parfums tendres
Démêle le fuseau matinal de sa vie.
II
Près de l’aigrette du grand pont
L’orgueil au large
J’attends tout ce que j’ai connu
Comblée d’espace scintillant
Ma mémoire est immense.
La bonté danse sur mes lévres
Des haillons tièdes m’illuminent
Une route part de mon front
Proche et lointaine
La mer bondit et me salue
Elle a la forme d’une grappe
D’un plaisir mûr
J’aimais hier et j’aime encore
Je ne me dérobe à rien
Mon passé m’est fidèle
Le temps court dans mes veines.
III
Sous des poutres usées sous des plafonds stériles
Dans une vaste chambre petitement garnie
Les genoux ligotés confèrent qualité
À la ligne droite misérable
Ses cheveux pris au piège d’un miroir brisé
C’est sur la mousse de son front que l’eau roucoule
La dérive évasive d’un sourire entraîne
Sa dernière illusion vers un ciel disparu.
IV
Dans les parages de son lit rampe la terre
Et les bêtes de la terre et les hommes de la terre
Dans les parages de son lit
Il n’y a que champs de blé
Vignes et champs de pensées
La route est tracée sans outils
Les mains les yeux mènent au lit
À l’ardent secret révélé
Aux ombres taillées en songe
Délié des doigts de l’air l’élan
Le vase d’or d’un baiser
La gorge lourde et lente
Par mille gerbes balancée
Arrive aux fêtes de ses fleurs
Elle donne soif et faim
Son corps est un amoureux nu
Il s’échappe de ses yeux
Et la lumière noue la nuit la chair la terre
La lumière sans fond d’un corps abandonné
Et de deux yeux qui se répètent.
V
Mes sœurs prennent dans leurs toiles
Les cris et les plaintes des chiens
Moi je préfère me nourrir
De l’espoir d’une ardeur sans fin
Oranger noir armure blonde
Grisante abeille rire en course
Rire invisiblement masqué
Écorce d’aube aile étourdie
Nichée de feuilles débauchées
Jeune poison liane montagne
Sueur de nage fumée froide
Pas de géant danse battante
Front éternel paume parfaite
Puits en plein air essieu de vent
Monument vague flamant fou
Jeu sans perdant santé sans trous
Torche brûlant dans l’eau tour mixte
Martyr radieux aux angles vifs
Œil clair à travers honte et brume
Première neige réjouissante
Mérite de la solitude
Exil aux sources de la force.
VI
Où es-tu me vois-tu m’entends-tu
Me reconnaîtras-tu
Moi la plus belle moi la seule
Je tiens le flot de la rivière comme un violon
Je laisse passer les jours
Je laisse passer les bateaux les nuages
L’ennui est mort près de moi
Je tiens tous les échos d’enfance mes trésors
Avec des rires dans mon cou
Mon paysage est un bien grand bonheur
Et mon visage un limpide univers
Ailleurs on pleure des larmes noires
On va de caverne en caverne
Ici on ne peut pas se perdre
Et mon visage est dans l’eau pure je le vois
Chanter un seul arbre
Adoucir des cailloux
Refléter l’horizon
Je m’appuie contre l’arbre
Couche sur les cailloux
Sur l’eau j’applaudis le soleil la pluie
Et le vent sérieux
Où es-tu me vois-tu m’entends-tu
Je suis la créature de derrière le rideau
De derrière le premier rideau venu
Maîtresse des verdures malgré tout
Et des plantes de rien
Maîtresse de l’eau maîtresse de l’air
Je domine ma solitude
Où es-tu
À force de rêver de moi le long des murs
Tu me vois tu m’entends
Et tu voudrais changer mon cœur
M’arracher au sein de mes yeux
J’ai le pouvoir d’exister sans destin
Entre givre et rosée entre oubli et présence
Fraîcheur chaleur je n’en ai pas souci
Je ferai s’éloigner à travers tes désirs
L’image de moi-même que tu m’offres
Mon visage n’a qu’une étoile
Il faut céder m’aimer en vain
Je suis éclipse rêve de nuit
Oublie mes rideaux de cristal
Je reste dans mes propres feuilles
Je reste mon propre miroir
Je mêle la neige et le feu
Mes cailloux ont ma douceur
Ma saison est éternelle.
VII
Et par la grâce de ta lèvre arme la mienne.