Thème N°2 : Camping & Travail : Histoire N°9 :
Le bosquet printanier du camp de Valonde :
CHAPITRE I - Le camps de Valonde
Elenna essuya la sueur de son front du revers de la main. Elle leva la tête vers le soleil, laissa celui-ci se poser sur sa peau. Ses cheveux d’un noir de jais se balançaient au gré du vent. Un sourire se dessina sur son visage. Jamais elle n’aurait pensé se sentir aussi bien après avoir tant travaillé.
Il devait être dans les environs de midi, car certains partaient par petits groupes en direction de la place centrale, où était distribué le repas. Elle comptabilisait déjà cinq heures de travail depuis ce matin donc déjà cinq heures qu’elle travaillait aujourd’hui. “Qu’est-ce que le temps passait vite !” Pensa Elenna. Cela faisait déjà deux semaines qu’elle était arrivée au camp de Valonde, lieu où s’étaient posé les semi-hommes pour l’année. La jeune elfe avait prévu de rester jusqu’à la fin de la moisson, car il y aurait une grande fête à ce moment-là. Après cela, elle retournerait chez elle, à Nionosea.
Elle regardait les quelques halfelins restant arroser les céréales qu’ils avaient semés quelques mois plus tôt. Ces dernières avaient bien poussé, elles seraient bientôt prêtes pour la moisson, d’ici quelques jours. L’elfe était entourée de jeunes pousses dorées qui brillaient au soleil. Il y avait une bonne odeur de terre humide et de rameau fraîchement mouillée. Elenna l’inspira à plein poumons.
Qu’il était bon d’être ici ! Quelqu’un lui tapota l’épaule :
- Salut Elenna, on va manger ?
Fírimar se tenait derrière elle, avec un grand sourire.
Ce semi-homme avait la même apparence qu’elle : il avait l’air d’un elfe, mais de petite taille. Fírimar devait mesurer un mètre vingt, et pourtant, il était très grand par rapport aux autres dont la taille n'excédait pas un mètre. Comme les autres, il avait aussi ces drôles de petites oreilles pointues. Derrière celles-ci, de petites cornes prenaient naissance et grandissaient avec l’âge. On pouvait apercevoir celles de Fírimar légèrement dépasser ses oreilles. Leurs oreilles bougeaient lorsqu’ils se concentraient, ou bien lorsqu’ils changeaient d’humeur. C’était amusant à voir et d’ailleurs, Elenna avait toujours du mal à s’y habituer. Ces habitants étaient aussi de bons fermiers, et il le fallait bien : les halfelins étant un peuple nomade, ceux-ci avait pour habitude de changer de contrée chaque année.
Fírimar était quelqu’un de vraiment gentil et d’attentionné. Il l’avait très bien accueillie dès son arrivée au camp. Il semblait être un peu discret et il ne parlait pas beaucoup de lui, mais l’elfe pensait qu’il ferait un bon ami avec le temps. Elenna était impatiente d’en apprendre plus sur lui. Tout ce qu’elle pouvait en dire, c’est qu’il aimait travailler la terre, peut-être même autant qu’elle. C’était sûrement son côté elfe. Aussi, d’une certaine manière, elle était intimidée par sa simple présence. Il semblait, d’une quelconque façon, un peu différent des autres. Peut-être s'agissait-il de sa grande taille ? La jeune elfe appréciait beaucoup la compagnie du plus grand des Halfelins.
Elenna lui rendit son sourire. Après une matinée de dur labeur comme celle-ci, cela lui faisait du bien que quelqu’un vienne la voir- surtout quand ce quelqu’un était Fírimar.
- Oui allons-y ! Répondit la jeune femme.
Laurelin et Argawaen suivaient Fírimar. Laurelin était une jeune fille très coquette et plutôt chipie. Elenna ne l’aimait pas vraiment. Elle était connue pour sa voix d’ange et sa sublime beauté. Laurelin n’était pas la meilleure fermière du camp, mais elle avait le mérite d’être douée quand il s’agissait d’encourager les ouvriers ou de les distraire par son chant. Néanmoins, elle recherchait beaucoup trop l’attention des autres aux yeux d’Elenna. L’elfe avait l’impression que cette jeunette était une personne qui agissait seulement par intérêt. Argawaen quant à lui était un jeune garçon sportif, au physique d’athlète. Il semblait un peu simplet, mais était très gentil. De ce qu’elle avait entendu, le jeune halfelin était très fort au maniement de la fronde. Cet objet était une arme individuelle de trait, assez ancienne, qu’Elenna ne connaissait pas auparavant. Cet équipement était constitué d’une poche prolongée à chaque extrémité par des lanières et était couramment utilisé pour lancer des projectiles avec force. C’était une sorte de lance-pierre que l’on faisait tournoyer. Pour s’en servir, on devait placer un objet dans la poche, puis faire tournoyer la fronde rapidement et enfin libérer la poche à un moment précis. Des compétitions de fronde étaient souvent organisées au sein de cette communauté, Elenna espérait assister à l’une d’elle un jour. Le halfelin était visiblement l’un des meilleurs du groupe des cadets. Il ne ratait jamais sa cible. Entraîné par son père depuis son plus jeune âge, il ne se séparait jamais de son jouet. Evidemment, il se vantait de ses dons de manieur de fronde et s’en servait pour jouer des tours aux semi-hommes ou à quiconque qui osait le contrarier. L’humilité n’était donc pas sa plus grande qualité.
Laurelin faisait la moue en s’approchant de Fírimar :
- Ah, Elenna… On te comprendra si tu as encore du travail, tu pourras venir manger plus tard, dit-elle en levant discrètement les yeux au ciel.
- Nous avons tous du travail Laurelin, mais une petite pause n’est pas de refus, affirma l’elfe en souriant, et puis je meurs de faim !
Elle jeta un regard subtil à Fírimar qui lui adressait un sourire en coin. Argawaen, quant à lui, riait franchement en se tapotant le haut du ventre. Laurelin lança un regard noir au manieur de la fronde, puis partit à vive allure en direction de la cantine.
- Ne te fâche pas, Laurelin ! lui cria Fírimar.
Les trois jeunes se regardèrent, et ne purent s’empêcher de pouffer de rire.
La salle à manger était gigantesque. Il y avait de grandes tables en bois, ainsi que de grosses souches d’arbres coupées en rondelles en guise de chaises. Sur les tables étaient entreposés çà et là divers plats à base de légumes, ainsi que des galettes de blés fourrées au fromage de chèvres élevées par les halfelins eux-mêmes et des plats à base de viandes, issus de la chasse du gibier.
Elenna regardait autour d’elle. De petits groupes s’étaient formés et chacun parlait avec entrain. Certains parlaient fort, des rires éclataient ici et là. Tout le monde semblait heureux. Elenna ne voyait pas que des halfelins autour d’elle, elle voyait aussi des elfes, parsemés un peu partout, ainsi que quelques fées et même un nain ! Les halfelins avaient décidément l’habitude d’accueillir des étrangers au sein de leur clan.
En regardant toutes ces personnes, Elenna se remémora pourquoi elle était ici, à Valonde. Elle avait choisi de rejoindre les semi-hommes cet été afin de découvrir ses origines. En effet, d’après les histoires que l’on contait durant aux feux de camps ou dans les tavernes de sa ville natale, les Elfes et les Halfelins avaient un même ancêtre commun dont les semi-hommes auraient hérité du mode de vie. Elle se questionnait sur les différences et les points communs entre son peuple et celui des Halfelins. Ces habitants paraissaient à la fois si semblables et si différents des elfes... Ils se ressemblaient dans leur manière d’approcher et de sentir les esprits de la nature. En revanche, ils étaient opposés sur certains faits. Leur physique constituait une différence indéniable mais ils avaient des divergences concernant certaines pratiques comme celle de l’animisme par exemple. En effet, ces êtres croyaient en un esprit, une force vitale, animant les objets. Les elfes quant à eux, croyaient davantage aux esprits des plantes, ils chérissaient les espaces riches en grandes végétations. De plus, les elfes avaient des cités fixent, réparties dans plusieurs royaumes, alors que les halfelins allaient de régions en régions au gré de leurs envies. Elenna cherchait à savoir si, chez les halfelins, on narrait les mêmes histoires que chez elle aux plus petits et si leurs peuples avaient effectivement un passé en commun. Elle voulait aussi mieux les connaître, et les comprendre, appréhender leur mode de vie et les raisons qui les avaient poussés à devenir nomades.
Cette immersion était décidément ce qu’il lui fallait. Elenna se plaisait au sein du campement halfelin. Elle découvrait ici de nouvelles histoires et des rituels qui lui étaient encore inconnus. Depuis son arrivée, elle participait activement à la préparation de la moisson. Ce matin, la jeune elfe s’était attelée à sa tâche préférée du moment, arroser les céréales. Bientôt viendrait la période de la récolte ! Elle avait hâte de voir la première moisson : c’était la première fois qu’elle verrait éclore des milliers de petits épis de blés ! Elle pourrait peut-être même essayer de les faire éclore plus vite. Elle avait déjà pu tester ses pouvoirs sur différentes fleurs sauvages des bois de sa région et aimerait essayer sur ce blé doré, ainsi que sur les autres récoltes des halfelins. Peut-être que ses pouvoirs évolueraient et seraient plus efficaces grâce à cette nouvelle expérience ? Elle s’attendait à en apprendre beaucoup de son passage chez les Halfelins et espérait leur en apporter tout autant.
Outre le champ de blé qu’elle avait arrosé ce matin, il y avait aussi des champs de carottes, de citrouilles et un grand verger de pommes. Ces différentes denrées étaient nécessaires pour le bon fonctionnement du peuple. Lorsqu’elles seront récoltées, lors de la moisson, elles seront entreposées dans un beau bâtiment nommé le “bosquet printanier”. Ce bâtiment était un énorme chêne. Disposé sur des planches en bois, un entrepôt venait compléter l’édifice. Sous les planches se trouvaient des sortes de roues servant à transporter le bâtiment lorsque les halfelins se décidaient à migrer. Déplacer ce bâtiment demandait une force colossale ! “C’était sûrement à l’intérieur que l’on devait disposer les denrées”, pensa Elenna. Celle-ci était pressée de commencer la moisson pour pouvoir découvrir ce bâtiment de plus près.
Grâce à aux ressources que ce peuple récolterait bientôt, cette population pourra fabriquer de nouveaux produits : de l’engrais magique, du pain enchanteur, de la soupe du savoir et de la marmelade mirifique ; éléments essentiels à la vie quotidienne des halfelins. Cette production sera fabriquée et entreposée dans une espèce de ferme géante. Avec ses grandes hélices, la ferme ressemblait à un grand moulin. La base du bâtiment était constituée d’une maison, le tout était recouvert de paille. Sa couleur d’un bleu éclatant était tel qu’il ne passait pas inaperçu.
Enfin, les bâtiments étaient disposés le long d’un canal. Les halfelins avaient même eu la bonne idée de construire de petites barques pour que ce canal serve à fournir de l’eau, mais aussi à gagner du temps sur le transport de la marchandise. Une fois les denrées récoltées, elles étaient acheminées au bosquet printanier par ce réseau fluvial. Ce système permettait à tout le monde de participer à l'acheminement des denrées. Dans cette communauté, chacun était capable de travailler à n’importe quel poste. Il n’y avait donc pas de place pour la routine.
La jeune elfe avait été formée lors de son arrivée pour le début de la récolte. Elle connaissait tout sur le bout des doigts, ainsi, afin qu’une une fois de retour chez elle, elle puisse transmettre ses connaissances et son savoir-faire à son peuple.
A la fin du repas, tout le monde était convié à se rendre sur la place publique pour écouter l’annonce du doyen prénommé Nómin. Il grimpa sur un piédestal, qui le rendait plus grand, afin que tout le monde puisse le voir.
- Bonjour à tous ! Clama l’aîné. Je m’appelle Nómin et je suis le chef du camp de Valonde. Je souhaite la bienvenue à nos nouvelles recrues. Approchez-vous de moi. Pour les autres, vos affectations de l’après-midi sont affichées près de l’arbre central.
Nómin parlait aux nouveaux arrivants pendant qu’Elenna se dirigeait vers les panneaux d’affectations. C’est avec joie qu’Elenna découvrit qu’elle était affectée au verger ! Depuis son arrivée, elle ne s’était occupée que du champ de blés.
Elle regardait Nómin de loin. Il semblait être quelqu’un de très sage. Il était petit (il ne faisait que 70 centimètres !) mais était sûr de lui ! Il parlait avec aisance, et avec beaucoup de gestes. Tout le village l’admirait. Ses cornes étaient plus grosses que celles des jeunes du peuple halfelin. Il portait toujours un bonnet vert, un peu usé.
Argawaen lui donna un coup de coude.
- Elenna, on est dans la même équipe cet après-midi !
- Oui ! Et avec Fírimar aussi, répondit-elle.
- Il va manquer à une certaine demoiselle… Dit Argawaen en souriant.
En effet, Laurelin ne faisait pas partie de l’équipe. Elle resterait dans le champ de céréales avec Umarth.
Umarth était très mince, et avait un visage d’enfant. Il était un halfelin, mais avait des pratiques différentes de ceux du camp de Valonde. Peut-être, venait-il d’ailleurs et était, comme Elenna, ici pour la saison. Il semblait très réservé.
L’elfe se rendit au verger avec ses deux amis. Une chance qu’il y ait autant de pommiers ici ! C’était l’une des raisons pour lesquelles les halfelins avaient établi leur campement ici. L’endroit était rempli d’arbres, et diverses pommes de plusieurs couleurs y étaient suspendues.
Le groupe d’Elenna devait vérifier l’état des pommiers et voir si certaines pommes pouvaient déjà être cueillies. Elle devait aussi vérifier qu’aucun parasite, comme des asticots, par exemple ne prenait place sur les fruits. Certaines pommes étaient encore vertes, d’autres tiraient sur le rouge sans arborer leur couleur finale. Les feuilles vertes sapin remuaient au passage du vent, comme si l'arbre essayait de chuchoter quelque chose... Elenna ferma les yeux pour mieux écouter les bruits qui l’entouraient : elle entendait d’autres groupes rire non loin d’elle. Certains étaient montés sur des échelles et fouillaient dans les arbres. Elle sentait la légère brise effleurer sa peau et son visage, et elle entendait de petits oiseaux chanter… Un frisson lui parcourra le dos, puis l’ensemble du corps. Elle se sentait apaisée.
La jeune elfe voulait tester son pouvoir. Elle avait un jour découvert ce pouvoir par elle-même. Elle ne savait pas si d’autres elfes de sa ville avaient le même don qu’elle. Petite déjà, elle aimait jouer avec les fleurs et elle avait parfois l’impression qu’elles lui répondaient. Elle ressentait leur désir, et leur demandait toujours leur accord avant de leur faire quoi que ce soit. Pour elle, c’était comme si ce don lui avait été transmis dans le but de rendre service à la nature. Il était donc hors de question qu’elle impose à quiconque ni à quoique ce soit un changement sans que celui-ci n’en ai ressenti un besoin.
Elenna ferma les yeux, attentive aux appels de la nature. Elle choisit un arbre qui semblait l’appeler et accosta celui-ci avec une échelle. Une fois en hauteur, elle toucha une pomme de couleur vert citron. Celle-ci était toute petite ; elle tenait dans le creux de sa main. La peau était toute lisse et brillante, elle ferait une jolie pomme une fois mûre. Elle mit le fruit en sécurité, entre ces deux mains.
- Tu es une très belle pomme. Et tu seras encore plus magnifique une fois que tu auras grandi.
Elle entendit le fruit vert la remercier. Elle savait alors qu’elle pouvait essayer son pouvoir sur celui-ci.
- Je vais essayer de te faire grandir, maintenant. N’aies pas peur, tu ne sentiras aucun mal.
La pomme semblait d’accord. Elle ferma les yeux, et se laissa transporter par l’environnement autour d’elle. Elle ressentait la force de l’arbre, du plus profond de sa racine, la tendresse de celui-ci envers ce fruit, le vent doux le caresser... La pomme semblait apaisée ici, elle se sentait protégée, elle aimait lorsque les oiseaux se posaient près d’elle pour chanter. Une douce lumière illumina les mains d’Elenna. La pomme absorbait cette énergie qui émergeait, et commençait à grandir, à changer de forme. Quand Elenna ouvrit les yeux, la pomme avait un peu grossit, mais de façon hétérogène, elle était toute tordue et avait perdu sa belle forme ronde… Elenna se sentait désolée pour ce petit fruit…
- Excuses-moi, Pomme… Je n’ai pas réussi à te faire grandir comme il faut...
Le fruit resta silencieux. Les arbres ne chuchotaient plus. C’était la première fois qu’Elenna ne percevait plus aucun mot, ni son, de la nature. L’elfe resta silencieuse et resserra son étreinte sur la pomme déformée d’une main tremblotante. La jeune elfe se sentait mal tout d’un coup. Elle avait l’impression d’avoir mal agit. Elle n’était pas dans sa contrée natale, sa magie n’était peut-être pas la bienvenue ici. Elle n’était pourtant pas mauvaise. Elenna ferma les yeux un instant. Elle n’avait pas le courage de regarder en face ce qu’elle venait de faire. Elle se demandait si elle avait bien fait d’intervenir sur cette pomme. Ce n’était pas là la manière de travailler des halfelins. Y’avait-il des règles qu’elle ignorait sur ses pouvoirs ? L’elfe était réellement affectée par son œuvre. La pomme n’était pas jolie. Sa promesse de la rendre plus belle n’était pas tenue. Pour l’elfe, c’était comme si elle avait menti à la nature, et il n’y avait rien de pire à ses yeux. La nature en avait-elle souffert ? Petit à petit, les sons s’élevèrent à nouveau. Elenna soupira de soulagement. Ni l’arbre, ni la pomme n’étaient en colère. L’elfe comprit que la maîtrise de son pouvoir demandait du travail. C’était un don dont elle faisait un usage honorable et il lui restait encore beaucoup de chose à apprendre. Les halfelins l’aideraient peut-être si elle en parlait. Nómin, le doyen, avait l’air de connaître beaucoup de choses…
Elle regarda autour d’elle, personne ne l’avait vue. Elle aperçut Fírimar plus bas, entre les branches du pommier où elle s’était nichée. Il la regardait d’un air triste.
- Qu’as-tu dans la main ? Une pomme ?
- Si tu trouves qu’elle ressemble à une pomme, alors oui, c’est bien une pomme, soupira-t-elle.
- Fais voir.
Elenna tira sur la branche pour pouvoir montrer le fruit sans le cueillir. “Petite Pomme”, pensa-t-elle, “je te guérirai, tu redeviendras belle, je te le promets !”
- Attends, je monte ! Lui dit Fírimar.
Elenna était surprise de sa phrase. Allait-il vraiment monter sur son échelle ? Ils allaient être tous serrés, quand il arriverait plus haut, près d’elle... Elle ne voulait pas. Elle était trop gênée, car elle n’était pas indifférente, quand il était près d’elle. Les mains d’Elenna devinrent moites. Avec l’approche imminente de Fírimar, elle n’arrivait plus à réfléchir. Comment allait-il réagir en voyant son œuvre sur le fruit ?
- Attends, lui dit-elle, je vais plutôt descendre et te laisser examiner cette pomme ! Tu seras plus à ton aise, comme ça… Dit-elle d’une voix maladroite.
Mais il avait déjà commencé à grimper. Il la regarda, et lui offrit un gros sourire. “Un gros sourire sexy”, osait-elle penser. Quant à elle, elle se pinçait les lèvres. Elle avait chaud, tellement chaud, tout d’un coup !
- Pas besoin que tu descendes, lui répondit-il lorsqu’il l’avait rejointe au sommet de l’échelle.
Elenna sentait son corps contre son dos, sa tête lui arrivait à l’épaule, c’était étrange. Les garçons de son âge qu’elle avait côtoyés avaient toujours été plus grands qu’elle. Néanmoins, il lui faisait de l’effet. Malgré sa taille, il était plus impressionnant qu’il en avait l’air. Elle agrippa d’une main fébrile le dernier barreau de l’échelle pour réprimer un frisson. Elle pouvait sentir son souffle contre ses cheveux. Elle leva les yeux vers la branche qu’elle tenait. La pomme. Il fallait se concentrer sur la pomme. Qu’allait-il en penser ? Elle ne savait pas comment elle allait lui expliquer…
Il posa sa main sur la petite pomme déformée. Elenna le regarda, il avait l’air triste.
- Je t’ai vu regarder cette pomme de loin. J’ai remarqué que tu ne bougeais plus, alors je suis venu voir ce qu’il se passait. Cette pomme est plutôt mal en point… Je me demande comment cela a pu lui arriver...
Elenna regardait la pomme et songea à ce qu’elle avait fait. Fallait-elle qu’elle lui dise, ou non ? Elle ne s’y risquerait pas. Pas cette fois, en tout cas.
- Je viendrai la voir les jours où je serai assignée au verger, elle reprendra peut être une forme normale, en poussant.
- C’est une bonne idée, Elenna.
Il marqua une pause. Il prit une mèche de ses cheveux, et commençait à jouer avec. Elenna était surprise, elle le regardait faire. Elle sentait ses joues rougir et tentait de garder son sang-froid.
L’incident de la pomme déformée avait peut-être de bons côtés finalement. Elenna s’aventura dans le regard du semi-homme. Il y avait encore un peu de mélancolie dans ses beaux yeux vert émeraude. Il semblait si proche de la nature, lui aussi. Ils étaient donc faits pour s’entendre ! Elenna était touchée par toute cette compassion et cette bienveillance.
Soudain, ils entendirent un rire énorme, en contrebas.
- Mais qu’est-ce que vous fichez, là-haut ? Dit l’homme avec un rire moqueur. Nous sommes ici pour travailler, pas pour batifoler ! Et qu’est-ce que c’est que cette pomme tordue ?
Elenna et Fírimar se séparèrent. Elle sentait ses joues s’empourprer. Il est vrai que le comportement qu’elle venait d’avoir était un peu déplacé. Après tout, si elle était venue à Valonde, c’était pour travailler la terre et découvrir de nouvelles choses. Elle regarda Fírimar, qui lui ne semblait pas autant dérouté qu’elle. Il souriait à celui qui venait de les interrompre.
Umarth était en train de dévisager les deux complices perchés au sommet de l’échelle. Il les regardait d’un regard malsain. Un grand sourire se dessinait sur ses lèvres : il paraissait heureux de les avoir dérangés. Elenna ne s’en sentait que plus honteuse. Le regard d’Umarth était accusateur et lourd de reproches. Son regard et son rire se contredisaient. Etait-il en colère ou amusé ? L’elfe ne le connaissait pas assez pour le savoir. Elle se tourna vers Fírimar qui avait déjà commencé à redescendre.
- Voyons Umarth, rien n’interdit de lier l’utile à l’agréable, dit Fírimar d’un air plaisantin, Elenna a trouvé une pomme pas très jolie, on se demandait comment elle a pu pousser de cette façon. Peut-être un manque d’eau ? Et d’ailleurs, que faites-vous là ? Vous ne devriez pas être dans le champ de céréales ?
Laurelin avait rejoint Umarth.
- Nous ne batifolons pas entre les céréales, nous, dit sèchement la nouvelle arrivée, en insistant sur le “nous”. Si vous aviez fait de même, vous auriez peut être, comme nous, fini de travailler !
- Mais, tu sais, on peut très bien batifoler, maintenant que nous avons fini notre travail… Dit Umarth en attrapant Laurelin par la taille.
La jeune femme poussa un cri d’horreur, et s’éloigna du halfelin joueur.
- Si tu me touches encore une fois… gronda-t-elle.
- Tu m’embrasseras ? coupa Umarth.
La jeune femme frappa le halfelin en guise de réponse.
Peu à peu, les halfelins aux alentours regardaient en direction des jeunes gens. Elenna était vraiment mal à l’aise cette fois ci. Entre la pomme déformée et cette proximité déplacée avec Fírimar, elle se sentait fautive...
Elenna descendit rapidement de l’arbre, puis partit loin de toute cette agitation.
- Que lui arrive-t-elle, à celle-là ? Lança Laurelin.
Quelques minutes plus tard, enfin seule, elle se laissait transporter par la nature. Elle décida de tester encore son pouvoir sur une autre pomme. Doucement, elle prit la pomme entre ses mains et commença à la sonder. Elle ferma les yeux, et laissa ce petit fruit de la taille d’une cerise puiser dans ses forces. Elle sentait le fruit grossir entre ses mains… Il semblait ravi de grandir, l’arbre et Mère Nature semblaient la remercier pour le cadeau qu’elle offrait à ce fruit. La pomme se sentait bien entre ses mains, et lui demandait de lui donner encore plus de force ! Une lumière vive transcendait les paupières d’Elenna, puis s’éteignait, doucement. La transformation avait pris fin. Elle redoutait d’ouvrir ses yeux, mais il le fallait ! Elle fût surprise de découvrir une pomme bien rouge, belle et brillante. Elle entreprit de la cueillir, mais elle se ravisa. Elle laisserait à quelqu’un d’autre la surprise de découvrir ce merveilleux fruit demain matin...
Cette journée l’avait éreintée ! Elle se pressa de rejoindre la cantine près de la place centrale. Elle avait vraiment faim, et ses différents tests sur ces deux pommes l’avaient fatiguée. Elle ne ferait pas long feu ce soir…
Elle repéra de loin Fírimar. Laurelin mangeait en face de lui, et riait à ses blagues. Argawaen et Umarth étaient en pleine discussion sur un sujet un peu plus animé. La jeune fille s’approchait de leur table quand Fírimar posa ses yeux sur elle. Elle n’arrivait plus à bouger. Elle repensait à ce qu’il s’était passé plus tôt, et le rouge lui monta aux joues… Fírimar ne la quittait plus du regard. Il fit un large sourire en levant le bras.
- Elenna ! Par ici ! l’appela-t-il.
- J’arrive !
Enfin arrivée à leur table, la jeune elfe s’installa près d’Umarth. Il arrêta sa conversation et jaugea l’humeur d’Elenna.
- Tu sais, Elenna, je ne voulais pas te vexer, tout à l’heure…
- Ne t’en fais pas, Umarth, j’étais un peu gênée de la situation… J’ai préféré partir m’occuper d’autres pommes, au lieu de faire le spectacle !
- Alors, je suis tout pardonné ? demanda-t-il.
- Exactement !
Pendant qu’Elenna lui parlait, elle découvrit un peu mieux Umarth. Malgré le fait qu’il soit assez réservé, maintenant qu’il la connaissait un peu plus, il se montrait comme quelqu’un de plutôt jovial, qui aimait faire rire les autres. L’elfe avait passé une bonne soirée en sa compagnie, et Argawaen avait tellement ri qu’il avait recraché toute la nourriture de sa bouche !
- C’est vrai que je ressemble à un halfelin, dit Umarth, mais ma race diffère un peu. Je suis un Kender ! Je viens de la région d’Edhellon, ma tante m’a envoyé ici, à Valonde, afin que j’apprenne à connaître cette partie des halfelins. Car nous sommes quelques peu différents. Chez moi, les Kenders ne possèdent rien, mais possèdent tout à la fois. Personne n’a de bien lui appartenant comme ici. Nous sommes animistes, mais bien plus que ça encore. Pour nous, les objets ont une vie, une réaction, des sentiments. Ils sont vivants tout autant que nous. Par exemple, Elenna, si je vois qu’Argawaen traite mal sa fronde, je n’aurai pas envie de la lui laisser. J’aurais plutôt envie de la sauver en la prenant avec moi. Elle m’appartiendrait, en quelques sortes… Mais pas vraiment, car je lui laisserais la liberté de m’aimer, de vouloir rester avec moi. Si jamais elle n’était pas satisfaite à mes côtés, je la laisserais, ou bien je lui trouverais un possesseur digne d’elle...
Elenna comprenait tout à fait. Si quelqu’un osait faire du mal aux fleurs de la forêt qu’elle avait l’habitude de côtoyer, elle sortirait de ses gonds !
- Je devrais suivre les halfelins jusqu’à la fin de la moisson. Et ensuite, les suivre pour une année encore dans le prochain village qu’ils auront choisi, continua le Kender.
- D’ailleurs, quand aura lieu le prochain tournoi de fronde ? Demanda Laurelin.
- Bientôt, bientôt ! S’écria Argawaen. Il était tellement surexcité qu’il sautillait sur sa chaise comme un enfant. Ce sera pour la semaine prochaine ! Mon père m’entraîne pour avoir un meilleur niveau !
- Ca, nous le savions tous, que tu y participeras… Déclara Laurelin.
- D’ailleurs, il paraît qu’une jolie demoiselle donnera le grand prix en main propre au vainqueur ! Dit Umarth avec entrain. Dommage que je n’y participe pas…
- Ce sera peut-être moi, qui donnera ce prix… dit Laurelin, rêveuse.
- Ou peut-être Elenna ! Lança Umarth.
Laurelin lui donna un coup de pied si vif par dessous la table qu’il sursauta. Son genou, heurtant la table, la fit tressauter. La halfeline voulait paraître discrète mais ne l’était point. Mais elle fit comme si de rien n’était et demanda d’un air angélique :
- Fírimar, tu y participes, au fait ?
- Je ne pense pas, répondit ce dernier. Je ne suis pas aussi habile de mes mains qu’Argawaen...
La conversation continua sur le thème de la fronde. Argawaen racontait ses exploits et tout le monde l’écoutait conter son récit.
Ce dîner en leur compagnie était tout ce dont l’elfe avait besoin pour se remettre des émotions de la journée. Après avoir salué ses quatre camarades de table en quittant le réfectoire, Elenna prit la route de sa cabane. Sa résidence était située vers le centre-ville, et sa fenêtre donnait sur le canal, puis sur un champ de citrouilles, en contrebas.
Côtoyer l’ensemble des campeurs de Valonde était vraiment une expérience enrichissante. Elenna était heureuse de tisser des liens avec certains d’entre eux. Umarth, avec qui elle avait eu du mal à faire connaissance jusqu’ici, s’annonçait finalement être un bon ami en devenir. Quant à Argawaen, il s’agissait d’un drôle de personnage, sa carrure lui donnait cet air imposant et sévère, mais il était tellement attendrissant dans sa manière de rire de rien. Jusqu’ici, c’était avec Fírimar qu’elle se sentait le plus en phase… En revanche, Laurelin ne semblait pas l’apprécier. Il était bon d’apprendre à connaître ces halfelins. Elle espérait bientôt découvrir tous les secrets qu’ils pourraient lui transmettre...
Elenna poussa la porte grinçante de sa petite cabane. Celle-ci était toute simple, avec seulement le strict nécessaire. Elle était composée d’une seule pièce avec une porte, et d’un trou recouvert d’une moustiquaire en guise de fenêtre. En face de la fenêtre, à l’autre bout de la cabane, était posé un lit de camp avec un petit sac aux pieds du lit, qui regorgeait de vêtement. L’elfe n’avait amené que le strict minimum pour son voyage. Après tout, elle était venue pour travailler et découvrir un nouveau peuple nomade.
Après cette journée de travail et une fois couchée dans son lit de camp, l’elfe sentait de petits tiraillements dans l’ensemble de ses muscles, conséquence de ses efforts sur les parcelles agricoles. Elle avait pour habitude de succomber à la fatigue et à l’appel du sommeil rapidement. Ce soir-là en revanche, il ne lui fût pas aussi simple de trouver le sommeil. Chaque fois qu’elle fermait les yeux, elle voyait des pommes, rondes ou cabossées, vertes ou rouges. Elle rouvrit soudain les yeux, et repensa à ses activités de la journée. Le sourire aux lèvres, elle se souvint de son succès avec la deuxième pomme. Elle avait réussi, et elle y parviendrait à nouveau. Après une profonde inspiration, les paupières closes, c’est l’image de deux beaux yeux verts qui vint la hanter. Il s’agissait des siens, ceux de Fírimar. C’était alors l’apparition la plus apaisante qu’elle pouvait espérer percevoir et c’est sur ce souvenir que l’elfe trouva enfin le sommeil…
(Le texte en entier joint en PDF)