DeletedUser426
Campement Nord Astrallus, année 87 de l'Ère Sombre, jour 26, 19h00.
Il commençait à faire sombre quand ils distinguèrent enfin la muraille de bois fortifiée au loin, éclairée par de nombreuses torches. Leurs jambes étaient toutes endolories, ils étaient tous fatigués, ils avaient tous faim, et par dessus tout, ils en avaient tous marre ! Tous sauf Syllie, qui avait retrouvé du poil de la bête, et s’était émerveillée de tout ce qu’elle voyait sur leur chemin. Les oiseaux étaient jolis, les coccinelles autour d’eux étaient splendides, les hurlements des loups étaient inquiétants mais mélodieux, les arbres étaient jolis, le bruit du vent était agréable aussi… Bref, insupportable.
S’ils ne devaient pas la ramener vivante pour la questionner et l’étudier, le groupe d’Humains se serait donné à coeur joie de la tuer en l’abandonnant dans les hautes herbes.
A leur approche, les portes du camp, faites de rondins de bois bruts, commencèrent à s’ouvrir. Des gardes veillaient du haut des remparts de fortune.
Syllie essayait de regarder à l’intérieur de l’enceinte entre les pattes des chevaux, qui menaient le cortège. Elle ne put distinguer que les briques de quelques bâtiments et un grand chemin central. Ca n’avait pas l’air très grand vu de l’extérieur. Des gens s’affairaient dans les ruelles.
Une fois à l’intérieur, elle fut émerveillée, ce qu’ils appelaient le “camp“ s’apparentait plus à un village de bonne taille. Les bâtisses de pierre en construction, pas tout à fait terminées certes, semblaient gigantesques pour la petite qui n’avaient jamais rien vu de tel. Les chemins étaient faits de terre battue, la plupart des habitations individuelles étaient faites de bois, sinon de chaux, et l’immense bâtiment central l’impressionna. Il était vraiment plus grand que les autres et en briques sombres, ce qui le rendait encore plus massif et présent, comparé au reste de l’architecture. Son toit de tuiles rouges lui donnait davantage un aspect menaçant que chaleureux, et les soldats qui l’entouraient, nombreux, attestaient de l’importance du bâtiment.
Arrêtés aux portes, ses ravisseurs contaient certainement leur voyage et leur drôle de rencontre, mais Syllie, elle, fixait toujours le grand édifice. L’écran bleu et la voix firent leur apparition, sans que personne ne semble le remarquer, peut-être qu’elle était la seule à le voir après tout.
Le bâtiment était entouré en bleu, un bleu très brillant, comme quand elle s’était réveillée, et la voix fit ses analyses :
Le soldat tout barbu et à l’air renfrogné tira brutalement sur la corde, et Syllie avança vers la cahute de bois, perdant le contact visuel qu’elle maintenait, ce qui firent s’éteindre l’écran et la voix simultanément.
Il faisait tout aussi sombre à l’intérieur que dehors. Seules deux torches placées stratégiquement prodiguaient une lumière optimisée, sans mettre le bois en danger. Le bâtiment de plain-pied ne comptait que les quatre murs rudimentaires, le reste de l’espace était dégagé. Enfin, en supposant que la maison eut été vide, ça aurait été dégagé.
Partout où il était possible d’entasser des objets sans trop gêner le passage, il y avait un bric à brac incroyable. Au centre, un établi gigantesque portait péniblement un assortiment d’outils, de livres, et de fioles en tout genre. Et le pire, ce qui effraya Syllie au plus haut point, bien collées contre le mur du fond : des cages de métal. Elle s'agrippa à la jambes d’un des soldats lorsqu’une chose bougea dans la cage. L’homme ne mit pas longtemps à la repousser d’un mouvement de dégoût, alors elle dû faire face à l’abomination, seule, apeurée.
La chose était difforme. Était-elle allongée dans sa cage, ou bien était-ce sa posture naturelle ? Difficile à dire, mais elle était tassée sur le fond de métal, faisant déborder une chair putride et noire contre les barreaux. Seuls deux billes rouges, luisantes, trahissaient un visage.
La grande dame blonde avait retenue son prénom ! Chouette ! Une autre dame, moins jolie mais avec les cheveux roux comme l’Halfeline lui répondit, ça devait être cette “Odile” :
Elle vint attraper la corde qui enserrait toujours les poignets de Syllie, et observa tout ce petit monde sortir de son atelier, pour ensuite observer la bête de foire qui était sous ses yeux. L’Halfeline n’en avait cure, et fixait toujours la cage du fond avec appréhension. La voix de la grande rousse la fit d’ailleurs sursauter :
La petite lui lança un regard d'incompréhension qui fut accueilli par un sourire malsain. Odile attrapa une chaise en bois, et la présenta à Syllie qui s’y assit docilement. L’humaine commença à lui tourner autour, sans un mot, alors que Syllie balançait ses pieds d’avant en arrière dans le vide, comme l’enfant qu’elle était. Après un tour complet, elle vint détacher ses liens, toujours dans un silence de mort, et elle reprit sa ronde. Au bout d’un moment le silence devint insoutenable pour l’Halfeline :
Odile s’arrêta en face d’elle, une main sous le menton, l’autre sur la hanche :
La femme s’était penchée vers Syllie, pour s’approcher de son visage, et la fixer droit dans les yeux. Elle resta en suspend, jusqu’à obtenir sa réponse :
Syllie était très fière d’avoir appris les noms de lieux par coeur, il en allait de sa réputation d’Halfeline de pouvoir donner ses origines ! Quant à Odile, elle s’était appuyée de ses mains, dos au rebord de son établi, jambes croisées et sourcil levé.
Odile ouvrit la bouche, leva l’index et inspira pour parler. Mais finalement aucun son ne sortit, et elle se retourna face à la grande table de travail, fouillant dans une pile de livres. Elle en attrapa un un peu poussiéreux, l’ouvrit, étudia attentivement le sommaire, puis parcourut les pages jusqu’à celle qui l'intéressait.
Elle regarda la page, puis leva les yeux en direction de l’Halfeline. Elle refit ce mouvement plusieurs fois avant de conclure :
Syllie se concentra, il fallait qu’elle fasse une phrase très longue et c’était difficile, mais elle se lança :
Odile se massait les tempes. Si cette créature était un piège ou un être maléfique, elle le cachait très bien. Quoi que ? Il fallait le faire exprès pour être si énervant non ? Elle essaya de rassembler les morceaux et quelque chose la frappa :
Syllie allait protester une nouvelle fois, pour qui elle se prenait celle-là à tout le temps dire qu’elle mentait ? Mais elle fut interrompue par un homme qui entra en trombe par la seule porte du bâtiment, essoufflé, il posa ses mains sur ses cuisses en haletant :
Odile ne dit pas un mot. Ses dents étaient trop serrées de rage. Elle articula tout de même ces quelques mots :
Le ton n’autorisait pas vraiment la réplique. Elle tourna ensuite vivement la tête vers Syllie, la transperçant d’un regard glaçant… Tandis que la petite se mit à chantonner gaiement :
A l’extérieur, le pauvre soldat essoufflé courait de nouveau dans les rues d’Astrallus, vers le baraquement de l’escadron aérien. Le capitaine y était sûrement à cette heure, il fallait qu’il y soit !
Il se précipita sur le péron, ouvrit la porte qui donnait sur la pièce de vie commune, et trouva le capitaine assis à sa place, bingo !
Il fallait que ça arrive, une quinte de toux pris le soldat.
Le capitaine Rossred n’avait jamais été un homme de patience. Il avait d’ailleurs acquis son titre grâce à ses exploits sur le terrain, et non son aptitude à établir des stratégies. Il resta stoïque avec beaucoup d’effort pendant que le soldat s'étouffait à moitié.
Il bouillait intérieurement en serrant très fort la chopine qui se trouvait dans sa main. Au bout d’un moment il frappa violemment de son poing libre sur la table, alors qu’au même instant, le messager retrouvait son souffle :
Pas de demie mesure, soit il n’en disait pas assez, soit il débitait tout d’un trait. Quoiqu’il en soit, l’information n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd. Le capitaine acheva sa longue ascension colérique, si ça avait été possible, de la fumée serait sortie de ses oreilles :
Acculé, le soldat était muet de terreur. Il déglutit, et avec courage ou simplement stupidité, il dit la vérité :
Le capitaine fixa l'impertinent avec un regard prêt à le transpercer de parts en parts. Mais il n'avait pas le temps pour ça maintenant. Si l’autre folle de scientifique voulait qu'il fasse vite, il ferait vite. Il n'avait pas de temps à perdre avec des soldats aussi incompétents. Le châtiment pourrait attendre encore un peu, ses quatre camarades seraient peut être moins ignorants, ou en tout cas il vaudrait mieux pour eux qu'ils aient une bonne explication.
Il n’était pas rare que le capitaine s'énerve, mais là, il était carrément furax. Et pour cette raison, les quinze Griffons et leurs maîtres furent prêts en un temps record.
Durant tout le vol, Rossred rumina en cherchant un coupable : les orcs ? Trop stupides. Les Elfes ? Ils étaient partis vers le sud depuis bien longtemps. Les sorciers ? Presque éteints. Il ne voyait aucune explication rationnelle. Des dieux quelconques s’amusaient-ils à les tourmenter ?! Non, les Dieux les avaient abandonnés depuis bien longtemps.
Forêt Perdue Grand Cratère, année 87 de l'Ère Sombre, jour 26, 00h50.
Le soldat aviateur se tenait droit comme un i devant son sergent, qui lui, se focalisait sur la carte topographique qu’il tenait entre ses mains. Il la replia violemment, trop stressé du sort qui lui serait réservé, pour avoir manqué un événement aussi gros. Après toutes ces années à surveiller ce Cratère monotone, lui et son escadrille s’étaient relâchés, mais au point de louper ça… Il allait se faire tuer, ou pire, probablement pire.
Il ne savait pas quoi faire. Tenter la fuite, ou attendre sagement que toute l’armée arrive. Fébrile, il donna ses ordres :
La petite escouade aérienne s’organisa rapidement, les Griffons étaient parqués et attachés, les tours de garde fixés, et ils s’autorisèrent même un feu de camp pour se reposer au chaud.
Au bout d’une heure et demie, les troupes qui venaient d’Astrallus étaient en approche et commencèrent à atterrir à la lisière de la forêt, au bord du Cratère. La quinzaine de soldats aériens était habituée à camper à toute heure du jour et de la nuit autour du Cratère. Normalement, la rotation au Cratère s’effectuait tous les matins grâce à des groupes de cinq soldats et leurs montures volantes. Il était bien rare que tous les effectifs soient réunis sur place comme aujourd’hui.
Il y a cinquante ans, des centaines d’hommes étaient constamment sur place pour monter la garde, mais avec le temps, aucun changement d’état, ni découverte majeure, la surveillance était plus hasardeuse, moins stricte. Il n’y avait pas que des Humains d’ailleurs. Nombreuses sont les races qui avaient entendu parler du Cratère mystérieux de la Forêt Perdue. Les Humains s’étaient mis à l’étudier plus sérieusement bien après les Nains ou les Elfes par exemple. Mais ils étaient aussi ceux qui s’y rendaient toujours régulièrement, quand d’autres avaient abandonné.
Enfin, c’est ce qu’ils pensaient. Beaucoup d’êtres avaient péri en essayant de pénétrer sur le cercle de mort. La concentration en Mana, mortelle, attirait autant qu’elle effrayait. Ils se demandaient comment, en une journée, tout le Mana avait pu disparaître.
Tremblant de tout son être, sous la tente de commandement en toile blanche, le sergent d’escadrille repensait aux meilleurs moments de sa vie, presque au bord des larmes.
Le capitaine arriva en trombe sous la tente, très en colère, accompagné des trois autres sergents d’escadrille. Il s’adressa directement au sergent qui était toujours au bord de la dépression nerveuse :
Le sergent Rollie s’était recroquevillé sur lui même, chaque mot faisant l’effet d’un coup de poing dans son ventre. Il respira profondément avant de répondre :
La veine à la tempe de Rossred pulsait d’un violet malsain et son self control était mis à rude épreuve, il commença à bouger ses lèvres pour hurler, mais Rollie l’interrompit :
Etrangement, le capitaine sembla se radoucir, mais il hurla tout de même :
C’est Allie, la sergent de l’escadrille Gamma qui répondit. Le capitaine la fixait maintenant, toujours rouge de colère, mais interloqué, elle continua :
Quand tous les officiers baissèrent la tête, d’un air coupable, Rossred se massa les tempes et avec un regard noir, mais une voix plus tempérée il s’adressa à tous :
Tout le campement se mit rapidement en branle. Au bout de 30 minutes, tout ce qui pouvait être réutilisé était plié et rangé, les armures légères des soldats comme des griffons révisées et bien harnachées, les détecteurs de Mana vérifiés et prêts pour la recherche. Le signal fut donné par chaque officier, puis par le capitaine qui décolla en dernier avec ses hommes.
Ils ne savaient pas ce qu’ils cherchaient, mais chacun avait conscience que des êtres capables de résister à une telle concentration de Mana n’étaient pas de ce monde.
A présent loin dans les airs, Corg, qui observait les humains à bonne distance, sortit de sa cachette. Il était arrivé presque en même temps que les Humains cette nuit. L’Orc avait fait un très long voyage depuis les montagnes du Destin, pour tenter sa chance au Cratère.
Tout Orc qui se respectait était au courant, si l’on arrivait à se baigner de Mana dans le Cratère de la Forêt Perdue, on accédait à la plus grande puissance de ce monde. Les Dragons, ces traîtres de rats volants, prétendaient même que Raeynd avait péri ici même.
La montagne de muscle, à la peau verdâtre et brune, se fondait parfaitement dans le décor grâce à l’obscurité de la nuit.
Prudemment, il vérifia que la voie était libre de son seul oeil valide, et s’approcha du Cratère, machette à l’épaule, un sourire dessiné derrière ses deux énormes crocs inférieurs. Cependant, plus il s’approchait, plus son rictus disparaissait.
Il commençait à faire sombre quand ils distinguèrent enfin la muraille de bois fortifiée au loin, éclairée par de nombreuses torches. Leurs jambes étaient toutes endolories, ils étaient tous fatigués, ils avaient tous faim, et par dessus tout, ils en avaient tous marre ! Tous sauf Syllie, qui avait retrouvé du poil de la bête, et s’était émerveillée de tout ce qu’elle voyait sur leur chemin. Les oiseaux étaient jolis, les coccinelles autour d’eux étaient splendides, les hurlements des loups étaient inquiétants mais mélodieux, les arbres étaient jolis, le bruit du vent était agréable aussi… Bref, insupportable.
S’ils ne devaient pas la ramener vivante pour la questionner et l’étudier, le groupe d’Humains se serait donné à coeur joie de la tuer en l’abandonnant dans les hautes herbes.
A leur approche, les portes du camp, faites de rondins de bois bruts, commencèrent à s’ouvrir. Des gardes veillaient du haut des remparts de fortune.
Syllie essayait de regarder à l’intérieur de l’enceinte entre les pattes des chevaux, qui menaient le cortège. Elle ne put distinguer que les briques de quelques bâtiments et un grand chemin central. Ca n’avait pas l’air très grand vu de l’extérieur. Des gens s’affairaient dans les ruelles.
Une fois à l’intérieur, elle fut émerveillée, ce qu’ils appelaient le “camp“ s’apparentait plus à un village de bonne taille. Les bâtisses de pierre en construction, pas tout à fait terminées certes, semblaient gigantesques pour la petite qui n’avaient jamais rien vu de tel. Les chemins étaient faits de terre battue, la plupart des habitations individuelles étaient faites de bois, sinon de chaux, et l’immense bâtiment central l’impressionna. Il était vraiment plus grand que les autres et en briques sombres, ce qui le rendait encore plus massif et présent, comparé au reste de l’architecture. Son toit de tuiles rouges lui donnait davantage un aspect menaçant que chaleureux, et les soldats qui l’entouraient, nombreux, attestaient de l’importance du bâtiment.
Arrêtés aux portes, ses ravisseurs contaient certainement leur voyage et leur drôle de rencontre, mais Syllie, elle, fixait toujours le grand édifice. L’écran bleu et la voix firent leur apparition, sans que personne ne semble le remarquer, peut-être qu’elle était la seule à le voir après tout.
Le bâtiment était entouré en bleu, un bleu très brillant, comme quand elle s’était réveillée, et la voix fit ses analyses :
- Grande quantité de Mana détectée. Statut : inaccessible. Récupération impossible. Localisation : souterraine. Etude du chemin d’accès le plus court. Enregistrement de l’itinéraire en cou…
- Hé, t’écoutes c’qu’on t’dit ? Avance.
Le soldat tout barbu et à l’air renfrogné tira brutalement sur la corde, et Syllie avança vers la cahute de bois, perdant le contact visuel qu’elle maintenait, ce qui firent s’éteindre l’écran et la voix simultanément.
Il faisait tout aussi sombre à l’intérieur que dehors. Seules deux torches placées stratégiquement prodiguaient une lumière optimisée, sans mettre le bois en danger. Le bâtiment de plain-pied ne comptait que les quatre murs rudimentaires, le reste de l’espace était dégagé. Enfin, en supposant que la maison eut été vide, ça aurait été dégagé.
Partout où il était possible d’entasser des objets sans trop gêner le passage, il y avait un bric à brac incroyable. Au centre, un établi gigantesque portait péniblement un assortiment d’outils, de livres, et de fioles en tout genre. Et le pire, ce qui effraya Syllie au plus haut point, bien collées contre le mur du fond : des cages de métal. Elle s'agrippa à la jambes d’un des soldats lorsqu’une chose bougea dans la cage. L’homme ne mit pas longtemps à la repousser d’un mouvement de dégoût, alors elle dû faire face à l’abomination, seule, apeurée.
La chose était difforme. Était-elle allongée dans sa cage, ou bien était-ce sa posture naturelle ? Difficile à dire, mais elle était tassée sur le fond de métal, faisant déborder une chair putride et noire contre les barreaux. Seuls deux billes rouges, luisantes, trahissaient un visage.
- ...qu’elle s’appelle Syllie, il faudra l’examiner avant de la disséquer. Odile, tu crois que ça ira ?
La grande dame blonde avait retenue son prénom ! Chouette ! Une autre dame, moins jolie mais avec les cheveux roux comme l’Halfeline lui répondit, ça devait être cette “Odile” :
- Oui, j’ai eu affaire à bien pire qu’une gamine cornue, crois-moi. Elle réajusta ses petites lunettes rondes, et mit des gants très épais. Laissez-moi seule avec elle, ça ira très bien.
Elle vint attraper la corde qui enserrait toujours les poignets de Syllie, et observa tout ce petit monde sortir de son atelier, pour ensuite observer la bête de foire qui était sous ses yeux. L’Halfeline n’en avait cure, et fixait toujours la cage du fond avec appréhension. La voix de la grande rousse la fit d’ailleurs sursauter :
- C’est un démon. Il est inoffensif maintenant qu’il a été vidé de son Mana. Tu ne crains rien.
La petite lui lança un regard d'incompréhension qui fut accueilli par un sourire malsain. Odile attrapa une chaise en bois, et la présenta à Syllie qui s’y assit docilement. L’humaine commença à lui tourner autour, sans un mot, alors que Syllie balançait ses pieds d’avant en arrière dans le vide, comme l’enfant qu’elle était. Après un tour complet, elle vint détacher ses liens, toujours dans un silence de mort, et elle reprit sa ronde. Au bout d’un moment le silence devint insoutenable pour l’Halfeline :
- On joue à un jeu madame Odile ? Tu connais un, deux, trois, soleil ?
Odile s’arrêta en face d’elle, une main sous le menton, l’autre sur la hanche :
- Hum, on va plutôt jouer à questions/réponses. Je te pose une question, et toi tu dois y répondre honnêtement, sinon tu as perdu !
- Oh oui alors ! Je mens jamais. Enfin, si, une fois, et j’ai été grondée. Maman dit que c’est pas beau de mentir. Et toi t’as déjà menti ?
- Non. Allez à mon tour. Est-ce que tu sors du grand portail ? quelles sont tes origines ? Démoniaques ?
La femme s’était penchée vers Syllie, pour s’approcher de son visage, et la fixer droit dans les yeux. Elle resta en suspend, jusqu’à obtenir sa réponse :
- Heu, non, je viens de la Vallée des Printemps, c’est juste à côté du Bois du Chien à deux Queues.
Syllie était très fière d’avoir appris les noms de lieux par coeur, il en allait de sa réputation d’Halfeline de pouvoir donner ses origines ! Quant à Odile, elle s’était appuyée de ses mains, dos au rebord de son établi, jambes croisées et sourcil levé.
- Il n’y a absolument rien à la Vallée des Printemps. Répondit Odile sur un ton suspicieux. Cet endroit est désert depuis plus d’un siècle. Tu mens, tu as perdu.
- Non non nonononon ! Tous les Halfelins viennent de là-bas ! C’est maman qui l’a dit ! Je suis pas une menteuse !
Odile ouvrit la bouche, leva l’index et inspira pour parler. Mais finalement aucun son ne sortit, et elle se retourna face à la grande table de travail, fouillant dans une pile de livres. Elle en attrapa un un peu poussiéreux, l’ouvrit, étudia attentivement le sommaire, puis parcourut les pages jusqu’à celle qui l'intéressait.
Elle regarda la page, puis leva les yeux en direction de l’Halfeline. Elle refit ce mouvement plusieurs fois avant de conclure :
- M’oui, c’est vrai, tu ressembles à une Halfeline. Mais comment expliques-tu ta peau décorée, tes yeux brillants et ah oui… le fait que cette race soit éteinte depuis bien longtemps ?!
Syllie se concentra, il fallait qu’elle fasse une phrase très longue et c’était difficile, mais elle se lança :
- Bah hier soir j’ai été me coucher, maman m’a raconté l’histoire trop cool avec le méchant Sorcier et les Dragons, et y a eu plein de trucs blancs sur les murs, ça faisait vraiment peur, après maman m’a bordée avec la cape magique, et je serrais fort ma poupée dans mes bras, j’étais super fatiguée, alors je me suis endormie, j’ai même pas eu peur des bruits bizarres dans la Forêt Perdue, et après je me suis réveillée, et m’man était pas là, et la maison était toute cassée, avec un gros trou tout noir tout moche autour, alors j’ai pris mes affaires et la voix m’a dit que m’man était par là-bas. Elle pointa le sud-ouest, en reprenant une grande inspiration. Et j’ai trouvé la rivière et les jolis dessins sur mes bras en fait c’est les même que la cape magique, je crois qu’elle a dépeinturé sur ma peau, c’est drôle non ? Et après j’ai joué à un, deux, trois, soleil avec le monsieur, et le vieux pas beau et la jolie dame blonde sont arrivés sur les beaux cheval et puis ils m’ont attachée, ça faisait mal, puis on a marché dans l’her-
- STOP ! Stop, ça suffit.
Odile se massait les tempes. Si cette créature était un piège ou un être maléfique, elle le cachait très bien. Quoi que ? Il fallait le faire exprès pour être si énervant non ? Elle essaya de rassembler les morceaux et quelque chose la frappa :
- La Forêt Perdue ? Un trou tout noir ? La jeune femme perdit son sang-froid un instant, et attrapa Syllie par les épaules, en la secouant comme un prunier. Tu viens du Grand Cratère ? Mais c’est impossible ! Elle la lâcha et commença à faire les cent pas, en marmonnant tout bas. Mais nos troupes auraient dû la voir, c’est impossible, et de toute façon personne n’a jamais atteint le centre du cratère, ça fait plus de trente ans qu’on essaie d’en percer le secret. Non, elle ment, c’est sûr. Elle regarda Syllie dans les yeux et hurla presque. Tu mens !
Syllie allait protester une nouvelle fois, pour qui elle se prenait celle-là à tout le temps dire qu’elle mentait ? Mais elle fut interrompue par un homme qui entra en trombe par la seule porte du bâtiment, essoufflé, il posa ses mains sur ses cuisses en haletant :
- Odile… Un… Un soldat de… l’escadrille de garde... est revenue. Le Cratère, il est… il est accessible. Une escadrille… restée… sur place. Il reprit son souffle progressivement, mais afficha un regard grave. Mais il n’y a plus aucune trace de Mana sur place... Quelqu’un a trouvé le moyen de le récupérer avant nous...
Odile ne dit pas un mot. Ses dents étaient trop serrées de rage. Elle articula tout de même ces quelques mots :
- Envoyez tout l’escadron sur place. Tout de suite.
Le ton n’autorisait pas vraiment la réplique. Elle tourna ensuite vivement la tête vers Syllie, la transperçant d’un regard glaçant… Tandis que la petite se mit à chantonner gaiement :
- Je suis pas unnnne menteuse-euuuh ! Nananère !
A l’extérieur, le pauvre soldat essoufflé courait de nouveau dans les rues d’Astrallus, vers le baraquement de l’escadron aérien. Le capitaine y était sûrement à cette heure, il fallait qu’il y soit !
Il se précipita sur le péron, ouvrit la porte qui donnait sur la pièce de vie commune, et trouva le capitaine assis à sa place, bingo !
- Mon… Capitaine ! Une fois encore, il mit ses mains sur ses cuisses, prêt à cracher ses poumons. Il faut… vous rendre...
Il fallait que ça arrive, une quinte de toux pris le soldat.
Le capitaine Rossred n’avait jamais été un homme de patience. Il avait d’ailleurs acquis son titre grâce à ses exploits sur le terrain, et non son aptitude à établir des stratégies. Il resta stoïque avec beaucoup d’effort pendant que le soldat s'étouffait à moitié.
Il bouillait intérieurement en serrant très fort la chopine qui se trouvait dans sa main. Au bout d’un moment il frappa violemment de son poing libre sur la table, alors qu’au même instant, le messager retrouvait son souffle :
- Le Mana du Cratère a disparu il faut vous rendre sur place avec tout l’escadron.
Pas de demie mesure, soit il n’en disait pas assez, soit il débitait tout d’un trait. Quoiqu’il en soit, l’information n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd. Le capitaine acheva sa longue ascension colérique, si ça avait été possible, de la fumée serait sortie de ses oreilles :
- COMMENT ?! Il se leva, rouge de colère, abandonnant sa choppe. Comment ça, disparu ? Il avança vers le soldat, lentement. J’espère que t’es au moins le dernier survivant pour avoir le culot de venir me dire ça en personne !
Acculé, le soldat était muet de terreur. Il déglutit, et avec courage ou simplement stupidité, il dit la vérité :
- Nous… nous ne savons pas comment c’est arrivé… mon capitaine.
- Comment ça vous ne savez pas ?! Vous y étiez, oui ou non ?! Alors vous allez tout de suite m'expliquer comment une escadrille complète a réussi à laisser 3 hectares imprégné de Mana se faire entièrement siphonner sous sa surveillance !
- Sauf votre respect, Monsieur, Madame Odile vous fait demander de préparer l'escadron au plus vite. Il ferma les yeux en s'attendant au pire.
Le capitaine fixa l'impertinent avec un regard prêt à le transpercer de parts en parts. Mais il n'avait pas le temps pour ça maintenant. Si l’autre folle de scientifique voulait qu'il fasse vite, il ferait vite. Il n'avait pas de temps à perdre avec des soldats aussi incompétents. Le châtiment pourrait attendre encore un peu, ses quatre camarades seraient peut être moins ignorants, ou en tout cas il vaudrait mieux pour eux qu'ils aient une bonne explication.
- Fichez moi le camp d'ici, dites aux hommes de préparer leurs bêtes, et préparez la mienne Je veux que lorsque je sorte d'ici tout le monde soit prêt à prendre l'envol. Il s’adressa de nouveau au messager, à demi-voix. Ne prenez pas la peine de préparer la vôtre, je veux vous retrouver exactement ici quand nous serons de retour.
Il n’était pas rare que le capitaine s'énerve, mais là, il était carrément furax. Et pour cette raison, les quinze Griffons et leurs maîtres furent prêts en un temps record.
Durant tout le vol, Rossred rumina en cherchant un coupable : les orcs ? Trop stupides. Les Elfes ? Ils étaient partis vers le sud depuis bien longtemps. Les sorciers ? Presque éteints. Il ne voyait aucune explication rationnelle. Des dieux quelconques s’amusaient-ils à les tourmenter ?! Non, les Dieux les avaient abandonnés depuis bien longtemps.
Forêt Perdue Grand Cratère, année 87 de l'Ère Sombre, jour 26, 00h50.
- Non sergent, il n’y a plus aucune trace de Mana sur des kilomètres à la ronde. Nos appareils sont formels. Aucune piste pour le moment.
Le soldat aviateur se tenait droit comme un i devant son sergent, qui lui, se focalisait sur la carte topographique qu’il tenait entre ses mains. Il la replia violemment, trop stressé du sort qui lui serait réservé, pour avoir manqué un événement aussi gros. Après toutes ces années à surveiller ce Cratère monotone, lui et son escadrille s’étaient relâchés, mais au point de louper ça… Il allait se faire tuer, ou pire, probablement pire.
Il ne savait pas quoi faire. Tenter la fuite, ou attendre sagement que toute l’armée arrive. Fébrile, il donna ses ordres :
- Bon, repos soldat. Clouez les bêtes au sol, relayez-vous pour les tours de garde et arrêtez quiconque s’approche de notre position. Nous allons nous contenter d’attendre de savoir ce qu’ils en pensent au QG. Exécution.
- A vos ordres sergent.
La petite escouade aérienne s’organisa rapidement, les Griffons étaient parqués et attachés, les tours de garde fixés, et ils s’autorisèrent même un feu de camp pour se reposer au chaud.
Au bout d’une heure et demie, les troupes qui venaient d’Astrallus étaient en approche et commencèrent à atterrir à la lisière de la forêt, au bord du Cratère. La quinzaine de soldats aériens était habituée à camper à toute heure du jour et de la nuit autour du Cratère. Normalement, la rotation au Cratère s’effectuait tous les matins grâce à des groupes de cinq soldats et leurs montures volantes. Il était bien rare que tous les effectifs soient réunis sur place comme aujourd’hui.
Il y a cinquante ans, des centaines d’hommes étaient constamment sur place pour monter la garde, mais avec le temps, aucun changement d’état, ni découverte majeure, la surveillance était plus hasardeuse, moins stricte. Il n’y avait pas que des Humains d’ailleurs. Nombreuses sont les races qui avaient entendu parler du Cratère mystérieux de la Forêt Perdue. Les Humains s’étaient mis à l’étudier plus sérieusement bien après les Nains ou les Elfes par exemple. Mais ils étaient aussi ceux qui s’y rendaient toujours régulièrement, quand d’autres avaient abandonné.
Enfin, c’est ce qu’ils pensaient. Beaucoup d’êtres avaient péri en essayant de pénétrer sur le cercle de mort. La concentration en Mana, mortelle, attirait autant qu’elle effrayait. Ils se demandaient comment, en une journée, tout le Mana avait pu disparaître.
Tremblant de tout son être, sous la tente de commandement en toile blanche, le sergent d’escadrille repensait aux meilleurs moments de sa vie, presque au bord des larmes.
Le capitaine arriva en trombe sous la tente, très en colère, accompagné des trois autres sergents d’escadrille. Il s’adressa directement au sergent qui était toujours au bord de la dépression nerveuse :
- Alors ? On baille aux corneilles pendant son tour de garde ? Il s’approcha pour acculer l’homme maintenant blanc comme un linge. Ou alors on fait la cueillette de champignon peut-être ?! Où est-ce que vous étiez bon sang ?
Le sergent Rollie s’était recroquevillé sur lui même, chaque mot faisant l’effet d’un coup de poing dans son ventre. Il respira profondément avant de répondre :
- N-n-nous n’étions… p-p-pas sur place au moment… des faits… mon capitaine ?
La veine à la tempe de Rossred pulsait d’un violet malsain et son self control était mis à rude épreuve, il commença à bouger ses lèvres pour hurler, mais Rollie l’interrompit :
- C’est Dame Odile qui nous a demandé un service. On est arrivé au Cratère vers midi…
Etrangement, le capitaine sembla se radoucir, mais il hurla tout de même :
- Et est-ce que “Dame Odile” ça sonne comme “capitaine” ? Triple andouille, je pourrais vous faire exécuter pour insubordination si on était pas en effectif réduit. Espèce de crétin ! Et qu’est-ce que “Dame Odile” veut de si important qu’il faille que vous abandonniez votre poste ?
- Des Fées mon capitaine.
C’est Allie, la sergent de l’escadrille Gamma qui répondit. Le capitaine la fixait maintenant, toujours rouge de colère, mais interloqué, elle continua :
- Elle nous a tous demandé de lui trouver des Fées au nord de la forêt, elle a besoin de sujets pour ses expériences.
Quand tous les officiers baissèrent la tête, d’un air coupable, Rossred se massa les tempes et avec un regard noir, mais une voix plus tempérée il s’adressa à tous :
- Très bien, je réglerai ça plus tard. En attendant, les quatre escadrilles vont se séparer et couvrir toute la zone sur une centaine de kilomètres, chacune en formation, à portée d’appareils de détection les uns les autres. Si vous détectez une forte concentration, sonnez le cor. On cherche tout ce qui peut se déplacer, démons, biches ou Elfes, peu importe. Si ça respire et que ça se déplace, c’est forcément un suspect potentiel. Alors soyez attentifs. Allie au Nord, Teyller à l’ouest, Ugoe à l’est et j’irais au sud avec Rollie. On se rejoint ici dans deux heures si vous êtes bredouille. Préparez-vous, on y va.
Tout le campement se mit rapidement en branle. Au bout de 30 minutes, tout ce qui pouvait être réutilisé était plié et rangé, les armures légères des soldats comme des griffons révisées et bien harnachées, les détecteurs de Mana vérifiés et prêts pour la recherche. Le signal fut donné par chaque officier, puis par le capitaine qui décolla en dernier avec ses hommes.
Ils ne savaient pas ce qu’ils cherchaient, mais chacun avait conscience que des êtres capables de résister à une telle concentration de Mana n’étaient pas de ce monde.
A présent loin dans les airs, Corg, qui observait les humains à bonne distance, sortit de sa cachette. Il était arrivé presque en même temps que les Humains cette nuit. L’Orc avait fait un très long voyage depuis les montagnes du Destin, pour tenter sa chance au Cratère.
Tout Orc qui se respectait était au courant, si l’on arrivait à se baigner de Mana dans le Cratère de la Forêt Perdue, on accédait à la plus grande puissance de ce monde. Les Dragons, ces traîtres de rats volants, prétendaient même que Raeynd avait péri ici même.
La montagne de muscle, à la peau verdâtre et brune, se fondait parfaitement dans le décor grâce à l’obscurité de la nuit.
Prudemment, il vérifia que la voie était libre de son seul oeil valide, et s’approcha du Cratère, machette à l’épaule, un sourire dessiné derrière ses deux énormes crocs inférieurs. Cependant, plus il s’approchait, plus son rictus disparaissait.