Concours d'écriture à vos votes !

Quel est votre récit préféré?

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DeletedUser

Chers membres de la communauté d'Elvenar, le moment tant attendu de vous dévoiler les récits de nos écrivains est enfin arrivé!
Je vous invite à les découvrir et à passer un agréable moment en compagnie de leurs héros et héroïnes puis à voter pour élire le texte qui a suscité en vous la plus forte émotion, vous semble le plus captivant, est à votre avis le mieux écrit.

Je vous rappelle que le sondage sera clos le Lundi 30 Novembre à 14h39.

Bonne lecture et à vos votes!


 
Dernière édition par un modérateur:

DeletedUser362

Le regard perdu dans la brume, il avançait. La vie n’était pour lui que blanc et noir. Rouge, vert, bleu ? Il n’avait que faire de ces couleurs qui restaient pour lui sans signification. Qu’est-ce que la vision si ce n’est une perception des choses ? Il se considérait comme voyant, mais ne l’était pas pour autant. La vie ne lui avait pas fait cadeau de la vue. En contrepartie, elle semblait lui avoir offert un don, celui de voir la nature profonde des gens. Le Noir l’emportait bien évidemment sur le Blanc. Chacun possède une noirceur et des démons qu’il cherche à dissimuler. Colère, tristesse, jalousie… L’espèce Humaine semblait trouver du plaisir, ou du moins de l’indifférence, devant la douleur et la misère des nécessiteux. Il faisait partie de cette dernière catégorie. Quel avenir pouvait espérer un aveugle de basse extraction ? Il ne se posait pas la question. Son seul désir était de réduire le mal intérieur des gens qu’il rencontrait. Il essayait d’aller vers les autres, de les faire parler de leurs problèmes, mais il s’heurtait toujours à de l’indifférence, du dégout et le plus souvent de la haine. Chaque jour il se demandait le sens de tout ceci, le sens de sa vie. Il était difficile de vivre comme mendiant, méprisé de la société, accusé de tous les maux. Cela devait cesser.

Il prit la décision, un soir, de partir. Il pria les dieux de veiller sur les habitants et s’en fût vers le port. Comme à l’accoutumé, il tendait l’oreille pour écouter les dernières nouvelles. Et elles n’étaient pas bonnes. Les Elfes semblaient se faire repousser par les hordes de démons et une débâcle de leur armée ainsi que de la population semblait avoir actuellement lieu. Les Humains avaient toujours voués une méfiance ancestrale envers les races magiques. Cependant, au fil des siècles de lutte contre les démons, celles-ci avaient disparu à mesure que les forces obscures progressaient. Nains, Centaures, Géants, Tritons, Yuan-tis, tous avaient succombé dans l’affrontement.

Les Elfes cherchaient le salut dans les forteresses humaines, mais ces derniers les laisser camper et vivoter aux portes des grandes villes. Il ne comprenait pas cette différence de traitement. Ils étaient des victimes et étaient traités comme des coupables. Etait-ce leur faute si les races ne s’étaient pas unies sous une même bannière pour affronter l’ennemi ? Non. Les Elfes s’étaient heurté aux à priori et à la haine que se vouaient les peuples. Les Centaures s’étaient bien rangés aux côtés des Géants, et avaient résistaient presque 2000 ans durant, mais l’usure eut raison de leurs forces combinés. Des Expéditionnaires Elfes et Humains étaient en route pour une nouvelle terre du nom d’Elvenar disait-on. La fuite était-elle la solution au problème ? Non. Ce ne l’était pas. Mais que faire maintenant que les peuples civilisés étaient en perdition ? Les seigneurs humains s’unissaient sous une seule bannière et renforçaient en hâte les baronnies frontalières situés au Sud et à l’Ouest du Royaume elfique.

Malgré ce sombre avenir, il gardait foi en l’humanité et savait au plus profond de lui qu’il était possible de résister plusieurs dizaines d’années encore, bien assez pour lui laisser le temps de voyager et sentir l’air marin, des montagnes, toutes odeurs autre que celle de la pauvreté et de la pollution des manufactures et ateliers.

Le port était en effervescence. Il devinait de nombreux groupes armés à la détermination se dégageant d’eux, mais aussi à la peur qui étreignait leurs cœurs. Il ressentait leurs compagnes à proximité, le son des sanglots envahissait ses oreilles, nul besoin de regarder dans leur direction. Ces hommes partaient pour un voyage sans retour, nul ne se voilait la face. Humble pêcheurs et agriculteurs, marchand et soldats de métiers, mendiants et nobles. Les castes n’étaient plus dans l’armée. Chaque famille avait reçu pour ordre de participer à l’effort de guerre en envoyant au minimum deux hommes d’âge mûr. Un lourd tribut… Pourquoi ? Il aurait souhaité participer, partir au combat au nom de l’humanité, mourir en la défendant. Mais de quelle utilité pouvait se prévaloir un infirme ? C’était la discipline de fer de sa race qui lui avait permis de perdurer au fil des âges et de résister face aux races anciennes.

Il s’assit sur une bite d’amarrage et observa en silence les navires faisant voile vers le futur front. Sa compassion pour les familles et les soldats brûlait son corps. L’odeur du goudron emplissait ses narines, en même temps que le goût de la douleur et de la séparation collait à son palet.

Cette démonstration d’émotion négative le submergea. Son regard habituellement laiteux d’innocence et de bonté prit une teinte bleu-nuit. Il hurla de douleur, il était d’une façon qu’il lui était inconnu en train de drainer la peur et la tristesse des badaud présents ainsi que des soldats partis vers un funeste destin. Les lamentations et adieux se transformèrent en quelques secondes en cris de guerre, d’encouragement et d’acclamation. La blancheur remplaça promptement la noirceur des cœurs ce qui eut pour conséquence de le déséquilibrer une seconde fois. Il crût devenir fou devant le changement de comportement de son entourage, son corps ne lui répondait plus. Il se sentit saisir son bâton et avancer vers un enfant sautillant sur place, il le brandit au-dessus de cette âme pure hurlant de vie et de joie. Son bonheur le faisait souffrir. Pris d’une envie de meurtre incontrôlable, il l’abattit de toute sa force vers son crâne. Lorsque rapidement il se retrouva propulser au sol, une lame sous la gorge. Il entendit une femme murmurer à son oreille :

-Un mouvement suspect et ta vie prendra fin ici. Personne ne te regarde, personne ne t’entends, tu es seul face à la pénombre et à ma lame. Ressaisis-toi, ou meurs.

Il essayait vainement de lutter face à ce sentiment affreux, son corps s’automutilait sur la lame de l’inconnue. Après avoir patienté quelques instants, la femme poussa un soupir désespéré et l’assomma d’un geste. La noirceur l’envahit définitivement.

Rêves, cauchemars, tous cela lui était étranger, mais pour la première fois depuis sa naissance il rêva de choses, de personnes, de créatures et d’êtres qu’il reconnut grâce aux descriptions qu’il avait entendu d’eux toute sa vie. Il voyait pour la première fois les couleurs, les visages. Mais étrangement, il se sentait aveugle de ne pouvoir distinguer le cœur noir des gens. Il déambulait dans une ville à l’architecture antique. Les races magiques étaient toutes présentent en ce lieu. Nul autre humain que lui-même n’était en revanche présent. Il aperçut ce qu’il supposa être des tritons, commerçant gaiement leurs produits de la mer à des nains chargés de minerais et minéraux. Quelques géants faisaient une course de vitesse avec des centaures au loin sur une colline surplombant la ville. Des yuan-tis formaient la pègre indissociable aux foules, mais étaient surveillés de près par des elfes en arme.

Il se savait rêver, mais ne pouvait s’empêcher de croire ce qu’il voyait. Transporté à une époque qui n’était pas la sienne, il déambulait sans but, béat devant la puissance technologique qui se dégageait des lieux et de cette rencontre avec des créatures d’un autre temps. Il s’arrêta à une échoppe de verrerie tenu par un triton et observa le magnifique ouvrage de verre soufflé aux couleurs chatoyantes, jusqu’à ce que ses yeux tombent sur un miroir. Quelle pouvait être son apparence ? Était-t-il laid, beau ? Cela lui importait plus qu’il ne l’aurait voulu et il se saisit de l’objet. Il prit une grande inspiration et regarda. La noirceur qui avait disparu jusqu’à présent éclata le verre et se mit à se répandre comme de la fumée sur la place et s’insinuer dans le cœur de tout un chacun. L’ambiance sereine qui avait régné jusqu’à maintenant devint lourde de colère et de haine. Les Yuan-tis sortirent leurs glaives et attaquèrent sans distinction Nains, Tritons, et Elfes. Il vit un géant écraser de son étreinte colossale un centaure passant à sa portée. L’anarchie gagnait la ville et tout le monde combattait, hurlait d’incompréhension, ou fuyait tout bonnement.

Quelle en était le sens ? Hébété, il regarda de nouveau le miroir brisé qu’il avait en main, et son reflet marquait les contours d’une ombre noire, obscure, brûlant de haine et de colère. L’ombre sortait à présent du reflet, tendant lentement une main vers son visage.

Il se réveilla en nage dans ce qu’il crût être une chambre plongée dans la pénombre. Non, le noir est le quotidien des aveugles. Triste retour à la réalité, sa réalité. Il mit plusieurs secondes à émerger complétement et à se reprendre. Il était si désorienté par ce qu’il avait vécu qu’il ne sentit qu’après coup la présence d’un corps serré contre lui et l’enlaçant. Il tourna la tête et cru voir la noirceur du miroir incarnée à ses côtés. Il ne ressentait toutefois aucune terreur face à cette ombre, seulement de la curiosité. Il tapota maladroitement sur ce qu’il croyait être une épaule, ce qui eut pour conséquence directe de faire bondir la créature. Son sentiment de plénitude le quitta dès lors que l’ombre s’éloigna de lui. L’ombre disparu dans une autre pièce, le laissant seul à ses interrogations sur son tout premier rêve, les événements du port, et l’inconnue qui l’avait stoppé dans sa folie. Les minutes, les heures défilèrent dès lors sans qu’aucun bruit ou présence ne se manifeste. Il hésitait toutefois à se lever et chercher une issue. Il pouvait se trouver n’importe où et la chaleur du lit n’était pas innocente à son envie de rester. Après une intense réflexion, il se redressa finalement sur son séant pour voir… l’ombre ténébreuse qui s’était envolée. Malgré une ouïs fine, il ne l’avait pas entendu arriver. Elle ne faisait nul mouvement, nul geste, mais se mit tout de même à parler.

-Trop blanc. Qui es-tu toi dont la blancheur n’a d’égal que ma noirceur ?

Cette voix ne lui était pas méconnue. C’était celle de la femme au coutelas. A présent qu’elle se trouvait face à lui, il avait du mal à maintenir son visage dans sa direction. Les insupportables émotions qu’elle véhiculait l’atteignaient plus que n’importe qui jusqu’à aujourd’hui.

-Eh bien ? Serais-tu mué en plus d’être aveugle ? L’ombre s’impatientait devant son silence.

-Un mendiant. Je vous remercie de m’avoir stoppé dans ma folie au port. J’ignore ce qu’il s’est passé, mon corps ne répondait plus à mon ordre. Si vous voulez bien m’indiquer le chemin de ce dernier, c’est avec plaisir que j’épargnerai ma présence à la vôtre.

-Dans ce cas je ne te dirais rien. Sur ces mots, elle traversa la pièce et en verrouilla la porte. Comme si il avait les moyens la trouver par lui-même de toutes façons. Tu possèdes apparemment un don contraire au miens, humain. Mais similaire dans son fonctionnement. C’est la première fois que je rencontre quelqu’un comme toi... comme moi.

L’ombre était effrayée et inquiète, mais aussi curieuse de le connaître et de l’étudier.

-Je n’ai jamais rencontré un cœur aussi obscur que le vôtre. Elle ne dit rien pendant quelques secondes avant de rire aux éclats. D’un pas lent, elle s’approcha de lui et lui caressa la joue.

-Si tu savais mon chère à qui tu t’adresses… Enfin passons. As-tu envie d’aider ton peuple dans la future bataille qui s’annonce ? Je vais être franc avec toi, tu m’as donné une idée de plan au port mais cela pourrait nous coûter la vie. Si nous réussissons… Et bien nous verrons bien les conséquences !

L’enthousiasme et l’insouciance de l’ombre déteignait sur lui et il se mit à imaginer le champ de bataille et la victoire à laquelle il contribuerait.

-De quelle façon puis-je vous aider ? Comme vous pouvez le voir, je suis infirme. L’ombre se figea et arrêta de gesticuler en tous sens. Elle lui répondit d’une voix glaciale.

-Une infirmité est un obstacle que pour celui qui ne fait pas d’effort pour la combattre et la surmonter. Elle sera à chaque instant à tes côtés, rendra ton quotidien différent des gens « normaux », mais jamais elle ne devra t’empêcher de vivre et d’accomplir ce que tu désires, et espère de ton avenir. Ma question est donc simple. As-tu le désire de combattre aux côtés des tiens ?

-Oui, je le désire. J’attends toutefois de vous que vous m’expliquiez mes tâches et mon rôle dans tout ça.

S’il ne la voyait, il devinait son sourire malicieux de celle qui ne comptait absolument rien lui expliquer.

-On verra. Lui répondit-elle en riant de nouveau. Pour le moment repose-toi ici une journée. Je viendrai te rendre visite ce soir.

Elle déverrouilla la porte avant de sortir de la pièce et de la fermer à nouveau. Pourquoi aurait-il voulu s’enfuir devant une telle offre ? Et puis quelle était ce « on verra » ? Soit cette femme manquait de tact, soit elle avait un humour assez osé. Si c’était le cas, il appréciait le fait qu’elle rit de lui plutôt que de montrer du dégoût comme c’était le cas habituellement. Son comportement contrastait d’ailleurs étrangement avec son aura malsaine. Comment pouvait-elle être aussi gaie avec cette souffrance intérieure ? Elle avait parlé de blancheur à son égard. S’il n’avait jamais éprouvé de haine, la douleur des coups et sa tristesse pour les démunis se retrouvait habituellement dans le cœur noir des gens. Il réfléchissait ainsi sans trouver de réponses à ses questions. La chaleur du jour quittait progressivement sa chambre et il devina ainsi que le crépuscule approchait. Il attendait impatiemment l’ombre. Qui qu’elle soit et ses motivations, il avait décidé de la suivre. Si elle pouvait lui donner un destin et une chance d’être pour une fois dans sa vie utile au monde et à Endrian, il suivrait ses ordres sans poser de questions. Il se redressa vers ce qu’il estimait le milieu de la nuit. Un choc l’atteint lorsqu’il vit l’ombre silencieuse dans la pièce. Elle était tournée vers ce qu’il supposait être une fenêtre.

-C’est pas trop tôt. Je me demandais combien de temps il allait te falloir pour détecter ma présence. Nous allons bientôt partir. Sa voix était mélancolique, éteinte. Toute chaleur l’avait quitté. As-tu des adieux à faire à quelqu’un ?

-Non.

-Chanceux.

Elle se frotta les yeux, prit une grande bouffée d’air et l’aida à se relever. Ils marchèrent silencieusement jusqu’à atteindre le port où des individus tout aussi froid les attendais.

-Nous allons dormir dans la cabine du capitaine. J’ai fait embarquer des animaux blessés. Ta première tâche consistera à en drainer les souffrances, à en mesurer les conséquences, et à faire abstraction de la douleur absorbée.

Le voyage fût éprouvant pour lui. Deux mois de haute mer avait de quoi changer l’homme le plus aguerri, alors quelqu’un de faible comme lui… Il avait passé les premiers jours à vomir tripes et boyaux. Mourir aurait été à ce moment-là pour une délivrance mais l’ombre ne le lâchait pas. Elle avait commencé à rire de lui mais s’était rapidement mis à pester en permanence en voyant que son état ne s’améliorait pas. Elle le harcelait en permanence pour qu’il aille s’entraîner mais c’était peine perdu. Le mal de mer ne se combattait pas avec des mots. Il parvint à bouger le cinquième jour et il lui en fallu encore deux pour récupérer de cet épisode. Voyant son état s’améliorer, elle lui présenta tout d’abord une mouette dont l’aile était cassée. Il lui fallut une semaine pour parvenir à ôter sa douleur. « Voici à présent mon pouvoir » lui avait-elle alors dit. Elle regarda la mouette et celle-ci se mit à crier de douleur et à se tortiller en tous sens. « Tu es capable d’absorber les maux comme je suis capable de les stimuler, nos dons se complètent, malheureusement le miens n’a que peu d’utilité, pour le moment. » L’ombre semblait avoir un plan bien précis en tête et avait hâte de le mettre en application.

Il ne parvenait pas à deviner son identité. Il se doutait qu’il s’agissait d’une elfe, mais pour le reste… Qui était-elle pour avoir un pareil navire à sa disposition ? Il apprenait à apprécier ses sautes d’humeurs à chaque fois qu’il commettait une erreur, il lui arrivait même d’en faire intentionnellement pour l’entendre rugir de colère. Il fallait lui reconnaître sa richesse de vocabulaire et de formules imagés pour décrire son incompétence. Pour la première fois, il ressentait de l’affection pour quelqu’un. Son affection était cependant écrasée par la compassion qu’il éprouvait pour elle. Cette noirceur colossale qu’elle parvenait à dissimuler lui était insupportable. Un jour, lassé de s’exercer des animaux, il essaya sur elle. Quelle erreur il avait commis là ! Non seulement il se réveilla trois jours plus tard à cause du choc émotionnel, mais en plus l’ombre ne lui adressait pratiquement plus la parole en dehors de ses leçons. Ses paroles avaient un goût de cendre, ses piques étaient plus pointues que jamais, et sa noirceur égal à elle-même. Elle remit toutefois son masque de douceur après qu’il eut réalisé l’exploit d’absorber la colère du capitaine envers l’ombre car celui-ci en avait assez de dormir avec l’équipage et voulait récupérer son lit. L’homme s’était montré beaucoup plus malléable après qu’il eut utilisé son don sur lui.

Il avait pensé que ce don serait beaucoup plus dur à utiliser, mais ce qui lui posait le plus de difficile était le moment ou la noirceur s’insinuer en lui. L’ombre était toujours là pour pallier ses folies passagères. Pourquoi ne lui enseignait-elle pas à se contrôler. Lui avait-elle enseignait quelque chose finalement ? Après réflexion, elle n’avait fait que lui soumettre des défis sans lui donner d’indices sur la façon de faire. Par orgueil, il l’avait bien évidemment fait.

Au terme du voyage, il parvenait à absorber toute la noirceur de l’équipage. Il n’en était pas peu fier. Il s’imaginait pouvoir aider à souler la douleur des blessés survivants des batailles. Peut-être était-ce là le plan prévu. Lorsqu’il en parla à l’elfe, celle-ci lui répondit qu’il ne voyait pas assez loin. Toujours le mot pour rire celle-là.

Arrivé au port, ils furent tout deux déséquilibré du retour à la terre ferme. L’air sain et frais de la mer l’avait revigoré et il se sentait prêt à en découdre. Elle le conduit jusqu’à une auberge après plusieurs minutes de marches pendant lesquelles elle lui parla de la ville portuaire où ils se trouvaient. Ils étaient en réalité dans la dernière cité avant le mur marquant la frontière du territoire des Hommes. Pendant le cours laps de temps pendant lequel ils avaient voyagés, les Elfes avaient perdu définitivement le contrôle de leurs terres. Les forces de ce qu’ils considéraient comme les ténèbres avançaient désormais prestement sur la dernière civilisation moderne d’Endrian. Chacun pronostiquait la fin imminente de l’Histoire comme on la connaissait.

Durant la nuit, il eut le plaisir, ou le déplaisir, de recevoir la visite de son amie. Celle-ci était venu se réchauffer dans ses draps, le vent encore doux de l’automne laissait place à la bise hivernale. Cet hiver serait décisif pour l’avenir des survivants du continent. Le contact de l’elfe le plongea de nouveau dans un monde coloré où la noirceur continuait à semer la discorde entre les différentes races. Il se réveilla, saisi d’une réelle terreur comparée à la premières fois. Il abandonna l’elfe sans ménagement dans son lit et tâta de la main les meubles jusqu’à trouver un divan. Il y termina sa nuit, dans un calme angélique.

Au réveil, l’ombre avait disparu. C’était triste à dire, mais il en était presque heureux. Il appréciait sa compagnie, ses conversations, piques et colères, mais supportait de moins en moins son contact. Il s’interrogeait sur son étrange recherche de le toucher à la moindre occasion, mais n’y trouvait pas d’explications. Le besoin charnel était à exclure, ce n’était pas son genre. Alors quelle réponse trouver ? Il lui demanderait ce matin au petit déjeuné.

Ne la voyant revenir, il descendit avec prudence les escaliers menant à salle commune. Son aura était clairement perceptible et il l’a rejoignit. En chemin, il l’entendit essayer d’étouffer un sanglot. Trop tard maintenant pour la laisser seule. Cela n’aurait pas été de toute façon la bonne attitude. Il accéléra le pas et s’assit à ses côtés.

-Es-tu sûr de vouloir être à cette place ? Elle lui semblée en cet instant aussi fuyante qu’une… ombre face à la lumière.

-A quelle place voudrais-tu que je sois ? C’est seulement que… Il hésitait à continuer. Il ne voulait pas la blesser.

-… Que tu souffres, ou du moins ressens un malaise à mon contact. Il en resta coi. Comment pouvait-elle savoir ? Je te l’ai dit, tu es mon contraire. Là où tu ressens du plaisir et de l’apaisement, je ne ressens que souffrance. Et inversement. Te souviens-tu de tes cauchemars à mes côtés ? C’est ce que je vis depuis toujours. Ces nuits que nous avons partagées m’ont procuraient un apaisement inimaginable pour un humain. Depuis combien de temps crois-tu que je foule cette terre ? Imagines-tu un seul instant que le calme qui est propre à ta nature soit égale à ma rage intérieur ? Bon sang, je n’ai jamais pu être moi-même.

Sur cette tirade, elle s’effondra et se laissa aller à sa tristesse. Qu’il avait été naïf. Avait-il vraiment cherché à la comprendre ? Il n’y avait pas de mots pour la consoler. A trop se contenir, elle avait craquée. Ce n’était probablement pas la première fois qu’elle se laissait aller, mais c’était certainement la première fois où quelqu’un ayant une chance de la comprendre se trouvait à ses côtés. Sans un mot, il entoura l’ombre de ses bras et la serra tout contre lui. Elle tenta de le repousser, mais se laissa rapidement aller à mesure que l’humain drainait sa douleur. Il crût une nouvelle fois devenir fou et lutta pour maintenir son emprise sur sa moitié sombre. Le temps avait cessé sa course inexorable. Il se remit en marche qu’au moment où l’elfe s’écarta légèrement de lui déposer sur les lèvres un baisé plein de gratitude.

-Combien de temps ? lui demanda-t-il.

-Quelques minutes. Des minutes ? Pour lui, cela aurait pu être une éternité. Comment pouvait-elle ne pas succomber face à cela ? Ces minutes avaient permis toutefois à l’ombre de récupérer son aplombs apparent qui lui était accoutumait.

-Je suis désolé, j’aurais voulu t’offrir plus.

-Cela représente beaucoup pour moi. Et puis les humains sont beaucoup plus sensible que nous autre. Le temps a la fâcheuse tendance de réduire la puissance de nos sentiments et émotions. Sur ces mots, elle se saisit de son bras, et l’entraîna en ville. Toute la journée durant, ils marchèrent au milieu du bruit propre à toutes les villes. Elle parlait beaucoup pendant qu’il écoutait. Il appréciait entendre le son mélodieux de sa voix. Cela nuançait tellement avec l’état dans lequel il l’avait découvert au réveil…

Cette nuit-là, il fût soulagé de ne la voir rejoindre son lit. Il éprouva des remords à cette pensée, mais elle était vraie. Après une grasse matinée et un déjeuner copieux qui lui avait donné l’impression d’être son dernier réel repas avant la rencontre de son destin, ils se mirent tous deux en marche vers le front. L’ombre, pendant le déjeuner, lui avait appris qu’ils ne se trouvaient qu’à quatre-vingt kilomètres de la frontière, soit trois jours de marche.

Ces trois jours furent le calme précédent la tempête. Malgré la fraîcheur des journées, le soleil et la marche active réchauffait leurs dos. L’ombre précédait ses pas, le guidant lorsqu’un obstacle se présentait sur le chemin et l’aidant à éviter les nids de poules et autres ornières parsemant la route tristement abimé par le passage de milliers de chevaux, de chariots, et d’humains.

Il sentit qu’ils touchaient au but bien avant de l’entendre. Une obscurité pesante flottait loin à l’horizon. Une obscurité bien plus imposante que ce qu’il avait pu avoir l’occasion d’observer auparavant. Un tintamarre d’hommes se faisait à présent entendre. La tension naissait en lui mais c’est avec confiance qu’il suivait son ombre. Lorsqu’ils arrivèrent aux abords des premières tentes, les voix se turent. Des murmures suivaient leurs pas. L’un d’eux, plus ivre que les autres, demanda d’une façon peu discrète à son voisin l’explication de ce silence devant ces deux aveugles. Il ne reçut comme réponse que le poing serré de son camarade dans la mâchoire. L’ombre n’avait pas réagi mais avait forcément entendu la même chose que lui. Elle continuait d’avancer, toujours plus au cœur du campement.

-Vous voilà finalement excellence. Où sont vos troupes ? Nous avons besoins de chacune des épées et arcs de votre peuple. Cet homme avait une voix puissante, il estima qu’il s’agissait d’un meneur d’homme.

-Comme nous avions besoins des vôtres lorsque nos terres se sont vu envahir ? J’ai exilé les miens par-delà l’océan. Tous comme vous y avez expédiés vos jeunes et familles. Je ne quitterai pas ce continent en vie. J’y ai trop perdu pour pouvoir m’en échapper. Je ressens votre regard plein de dédain et de dégout. Votre peuple n’a cas se tourner vers sa conscience si il a quelque chose à y dire, je ne suis pas venu ouvrir un bureau des doléances. Maintenant Général, dressez-moi un bilan complet de la situation pendant que nous marchons vers le mur. Le chef militaire bouillait intérieurement de colère, mais s’exécuta avec docilité.

-Nous avons assez de ressources en termes de nourriture et de vin pour tenir un siège de plusieurs années. Si nous passons l’hiver, j’ordonnerai à d’anciens fermiers d’ensemencer les champs. Pour l’équipement, nous sommes très bien équipés, chacun dispose d’un équipement standard. En termes d’effectif, nous comptons une armée d’environ 500 000 hommes, dont 150 000 se trouvent à la frontière nord. L’assaut le plus important se situera à l’Est, nos éclaireurs ont confirmés vos dires. Chaque humain ayant reçu une formation obligatoire dans l’armée d’un 1 an, chacun sait se servir au minimum d’une épée et d’une arbalète ou d’un arc. La discipline et l’ordre sont nos valeurs. Chacun se battra avec courage et mourra au milieu de ses frères. Nous comptions sur les reliquats des vôtres pour nous supporter… Le moral des troupes va tomber au plus bas lorsqu’ils s’apercevront que vous êtes venu seul. Sans vouloir vous manquer de respect votre Excellence.

-Le nombre d’ennemis et votre plan de bataille ? L’ombre restait de marbre et emmagasiné chaque information

-D’après nos éclaireurs, la première vague regrouperait au bas mot un million de démons. Tout type confondu. S’ils suivent leur stratégie habituelle. Ils attaqueront de manière totalement désorganisé. La force du nombre n’a toutefois jamais suffi à vaincre un assiégé. 50 000 archers et arbalétriers seront en position sur les murs. Poix et trébuchets au rendez-vous. 10 000 hommes pour repousser les assaillants parvenant à gravir le mur.

-Je prendrai en charge la défense du mur.

-Oui votre Excellence. Quant à moi, s’ils parviennent à passer la porte, je mènerai la charge face à l’envahisseur. Si cela devait arriver, j’ai prévu un piège fort sympathique qui ne devrait pas leur plaire haha ! Ils devraient être sur nous dans une semaine.

-Bien je vous demanderai pas plus détails. Ils se frayèrent un chemin dans le campement jusqu’à leur tente. Ils n’en sortir pas de la semaine. L’ombre ne se mouvait plus. Sa froide détermination effrayait les autres humains, mais pas lui. Nombre de questions trottaient dans sa tête sans pour autant qu’il ose les exprimer. La semaine passa plus vite qu’il ne le voulu.

Le jour fatidique, il était comme ailleurs. Toutes les tentes avaient été déplacés dix kilomètres plus loin. Le silence était rompu que par les ordres des commandants de légions manœuvrant leurs troupes. Ils se hâtèrent tous deux au mur. L’ascension s’avéra difficile pour lui, simple pour elle. Comment pouvait-elle être aveugle après tous ce qu’elle avait fait jusqu’à présent ? Inconcevable.

Ils n’eurent pas à attendre longtemps avant de recevoir les premiers visiteurs. Le mur, d’une hauteur de soixante-dix mètres fourmillait d’activités. Les démons isolés, arrivèrent bientôt par groupe, en escouade, avant de se transformer en véritable océan d’horreurs. Après une journée passée à encocher, décocher leurs armes et à propulser d’imposantes pierres écrasant plusieurs démons à la fois grâce aux armes de sièges, l’ombre ordonna la retraite de la moitié des troupes pour la nuit. Il fallait dès à présent mettre en place un roulement dans les effectifs pour permettre aux effectifs de récupérer. Le siège promettait d’être long. L’homme restait assis sur une caisse, à écouter les directives de l’ombre. Il attendait dans le calme l’heure où elle lui dirait ce qu’il devait faire. Jour après jour.

C’est au matin de la troisième semaine de lutte que les assiégeants parvinrent à détruire les portes. Le piège du général renvoya dans les flammes de l’envers ces créatures dont elles étaient issues. Il ne sût jamais quelle matière avait été utilisé, mais une explosion avait fait trembler la terre. Il entendit dire par les hommes que dans un rayon de huit kilomètres derrière le mur tout avait été détruit.

Mais dès lors, la lutte en était venue au corps à corps. Les soldats de métiers en première ligne conservèrent un temps leurs positions, mais finirent par se relâcher, l’usure des batailles consécutives se faisait ressentir. Un véritable massacre commença dès lors et une mêlée désorganisée où chacun luttait pour sa vie prenait part. Sans que l’ombre lui dise un mot, il savait ce qu’il avait à faire. Il savait son heure venue, son heure à elle également, elle vint s’installer à côté de lui. Pour toute démonstration ultime d’amour, une main serrée dans celle son partenaire.

Pendant leurs derniers instants, ils firent ce qu’eux seuls pouvaient réaliser. L’humain draina comme on lui avait appris les souffrances et les peurs de son peuple. L’elfe quant à elle draina la détermination des démons, maintenant cinq fois plus nombreux que les humains survivants.


On raconte aujourd’hui que c’est leur sens du sacrifice à tous deux qui permis aux hommes de repousser les démons loin dans les frontières elfes et de renforce plus solidement le mur qui résista pendant 50 années durant. Nul ne revit jamais l’ombre et la lumière qui avaient ce jour-là guidé le bras armé des soldats.

Jusqu’au jour où les démons siamois aveugle dit de la vengeance et de la justice firent leur apparition et réduisirent à néant les dernières forces du bien du continent d’Endrian.
 

DeletedUser362

Le temps d’un battement de cils


Lorsqu’il aperçut au loin les portes de Lothaën, le jeune homme fit ralentir sa monture. Depuis six jours qu’il était parti, il ne l’avait pas ménagée, forçant son allure afin d’éviter les mauvaises rencontres, trop fréquentes en ces contrées. Son armure de paladin avait beau dissuader certains ennemis, les routes n’en étaient pas moins sûres et il avait dû mener de nombreux combats pour pouvoir poursuivre son chemin.

Vivre en Elvenar n’était pas de tout repos. Le Winyandor avait connu son heure de gloire, cependant il était de plus en plus déserté au profit de la moderne région de Felyndral, laissant ainsi place libre à davantage d’ennemis.

Il se serait bien passé de ce voyage, mais il fallait qu’il récupère un dernier fragment de rune pour que sa cité puisse achever la Tour du Clocher. L’Archimage de la Confrérie l’avait plus ou moins localisé aux alentours de Lothaën, une ville alliée. À cette pensée, il se crispa. Il n’aimait pas les Elfes, qu’il trouvait arrogants et orgueilleux et évitait autant que possible de les fréquenter. Il espérait que sa quête serait de courte durée.


Un cri perçant l’arracha à ses réflexions. Il pressa l’allure de son cheval vers l’endroit d’où il semblait provenir. Une Elfe gisait au sol, blessée et en larmes, alors qu’un monstre des marais s’apprêtait à la frapper de nouveau. Sans hésiter, le paladin dégaina sa hallebarde et embrocha l’assaillant, ne lui laissant aucune chance d’en réchapper. Il descendit ensuite de sa monture et alla examiner la jeune fille, sans doute adolescente, mais comment savoir avec ces immortels ?

Une autre Elfe se précipita alors en courant auprès de la blessée.

— Sirillë ! Tu vas bien ? Bon sang, combien de fois t’ai-je dit de ne pas t’éloigner seule dans la forêt ! Si père l’apprend, tu vas être punie pour le restant de tes jours. Montre-moi ta blessure. Ça va, tu devrais t’en remettre.

Elle jeta un bref regard à l’homme penché au-dessus de sa sœur et choisit de l’ignorer. Les Humains l’agaçaient. Ils étaient grotesques et irrespectueux de la nature.

— Je m’appelle Torel Anamir, de Boronthas. Ne me remercie pas, ce fut un plaisir, ricana le jeune homme.

— J’aurais pu m’en sortir sans ton aide.

— J’en doute. Tu es arrivée bien après moi.

L’Elfe serra les dents. Il avait raison et elle le savait, mais avoir une dette envers un Humain la mettait en rage.

— Eäriel Fildarin. Et voici ma petite sœur, Sirillë. Tu es l’Humain qui vient pour la rune ?

— Les nouvelles vont vite, on dirait.

— L’Archimage nous a prévenus. Sirillë ne peut pas marcher. Puisque tu vas au même endroit que nous, elle va prendre ta monture.

Torel regarda l’Elfe avec intérêt. Le moins que l’on puisse dire est qu’elle ne manquait pas d’aplomb. Il obtempéra et ils se dirigèrent tous les trois vers la cité, sans échanger un mot.

Devant une belle et grande maison dorée, Eäriel fit descendre sa sœur de cheval et daigna enfin adresser la parole au jeune homme.

— À la prochaine intersection, prends à droite et tu trouveras l’Hôtel de Ville.

Elle aida ensuite Sirillë à gravir le perron, refusant l’aide de Torel. Arrivée en haut des marches, elle se retourna néanmoins et le remercia à contrecœur d’avoir sauvé sa sœur. Il fut surpris, mais se contenta d’incliner la tête avant de reprendre sa route.


Le Mage accueillit chaleureusement le paladin et lui proposa toute l’assistance nécessaire pour sa quête. Les cités de la Confrérie entretenaient de bons rapports et l’entraide était prise très au sérieux. Torel indiqua qu’il commencerait à chercher la rune dès le lendemain, car il souhaitait repartir au plus vite. Il se rendit ensuite à la Taverne du Vagabond, où une chambre lui avait été retenue.

Il mit du temps à trouver le sommeil, hanté par le souvenir de cette Elfe arrogante. Force était de reconnaître qu’elle était très belle, avec ses yeux gris emplis d’une lueur farouche et ses longs cheveux noirs qui dansaient autour de son corps svelte à chacun de ses mouvements.


Le lendemain, au moment de partir, quelle ne fut pas sa surprise de voir qu’Eäriel l’attendait auprès de son cheval. Elle était en tenue de combat, un arc et un carquois en travers du dos, une dague à la ceinture, et tenait un cheval blanc par la bride. Il rougit légèrement au souvenir de ses pensées nocturnes.

— J’ai une dette envers toi, Humain. Je compte m’en acquitter en t’aidant à trouver le fragment de rune.

Il allait lui répondre qu’elle ne lui devait rien, mais se ravisa. Passer du temps avec cette sublime créature pourrait s’avérer intéressant, voire plaisant. D’humeur soudain taquine, il décida de s’amuser un peu et s’approcha d’elle jusqu’à se trouver nez-à-nez.

— Si tu veux m’accompagner, commence par m’appeler par mon nom, jeune fille.

Eäriel sembla décontenancée, mais se ressaisit rapidement et recula en lui jetant un regard mauvais.

— Pas de ça avec moi. N’oublie pas que je suis immortelle. Si tu avais mon âge, tu serais vieux, flasque et ridé. Ne te méprends pas sur mes intentions. Plus tôt tu trouves ta rune, plus vite tu t’en vas.

Pour qui se prenait-il cet Humain ? Il était, certes, moins grotesque que les autres représentants de son espèce, mais de quel droit se permettait-il de l’approcher de si près ? C’était déjà bien assez pénible de lui devoir quelque chose. Même un Elfe n’aurait pas osé.

Le paladin se contenta de sourire et enfourcha son cheval, aussitôt imité par la jeune femme.


Les deux premières semaines, ils explorèrent beaucoup de provinces sans succès. Ce ne fut agréable ni pour l’un ni pour l’autre, car ils s’adressèrent à peine la parole. Ils en profitèrent néanmoins pour s’observer et étudier leurs capacités au combat.

Le point fort de Torel était sa puissance phénoménale. Bien que sa lourde armure ralentisse ses mouvements, il était un adversaire redoutable qui forçait l’admiration d’Eäriel, même si elle refusait de se l’avouer. La jeune femme quant à elle était une archère surdouée, capable d’atteindre sa cible à des distances inouïes. Trop faible pour le corps à corps, elle était imbattable en combat à distance. Ils constatèrent vite que leurs aptitudes se complétaient et devinrent la terreur des monstres.

Le jeune homme essayait tous les jours d’engager la conversation, mais l’Elfe restait fermée à ses tentatives. Le quinzième jour, sa patience fut à bout.

— J’en ai assez. C’est bon, tu as payé ta dette. Inutile de venir demain, je me débrouillerais seul.

Eäriel fut sidérée, elle qui appréciait tant la compagnie de l’Humain. Mais quel besoin avait donc cette espèce de toujours vouloir parler ? Ne pouvait-il se contenter de vivre l’instant présent ? N’appréciait-il donc pas leur complicité au combat ? Décidément, elle ne le comprendrait jamais, mais elle ne supportait pas l’idée de ne plus le voir.

— Ma dette sera payée lorsque je l’aurais décidé. Ce n’est pas à toi que revient cette décision.

— Regarde les choses en face, tu n’es pas heureuse de m’accompagner et je ne souhaite pas que tu le fasses à contrecœur. Restons-en là, ça vaut mieux.

La jeune femme allait répondre quand elle perçut un léger mouvement dans son champ de vision. Elle plissa les yeux pour mieux voir et eut tout juste le temps de se jeter sur Torel pour lui éviter d’être touché de plein fouet par le projectile d’un rocambule. Déstabilisés, ils chutèrent lourdement au sol, se retrouvant à nouveau nez-à-nez. Eäriel fut gênée de l’intensité qui animait les yeux verts du jeune homme quand elle se retrouva sur lui. Elle n’eut cependant pas le loisir de se noyer davantage dans ce regard brûlant, car c’était désormais toute une escouade de rocambules qui les prenaient pour cible. Ils ne mirent pas longtemps à s’en défaire et, alors que la jeune Elfe retournait vers son cheval, Torel l’attrapa par le bras et la tourna vers lui.

Eäriel lui plaisait depuis le premier jour. Loin de le repousser, le caractère affirmé de la demoiselle l’attirait comme un papillon qui s’approcherait trop près de la flamme. Il plongea son regard dans le sien afin d’y trouver un signe d’encouragement ou au contraire un refus catégorique. Elle détourna les yeux et rougit légèrement, ce qui le fit sourire. D’un geste tendre, Torel lui redressa le menton et approcha ses lèvres, si près qu’elle sentit sa respiration sur elle.

— Il est encore temps de m’arrêter, annonça-t-il d’une voix rauque.

Elle ne réagit pas et il l’embrassa, d’abord timidement, puis avec toute la passion refoulée de ces derniers jours. Après un bref instant de surprise, elle passa ses bras autour de son cou et lui rendit ses baisers. Leur étreinte dura un long moment et, lorsqu’ils se détachèrent l’un de l’autre, ils étaient tous deux à bout de souffle. Eäriel eut alors un mouvement de recul, la panique se lisant sur son visage.

— Non ! Il ne faut pas, c’est mal. Par les Dieux, mais qu’est-ce que j’ai fait ? gémit-elle en se cachant le visage dans les mains.

— Je ne vois pas ce qu’il y a de mal à s’aimer, s’offusqua le jeune homme.

— Tu es un Humain, je suis une Elfe. C’est contre-nature !

Torel la regarda avec incrédulité. Elle avait répondu à ses baisers, elle l’avait enlacé, alors pourquoi cette réaction ? Il s’approcha de la jeune femme et la prit dans ses bras. Eäriel tenta sans grande conviction de se dégager et se mit à pleurer. Avec douceur, il embrassa ses larmes, ses joues, son front puis ses lèvres et la serra plus fort contre lui.

— Je ne saurais expliquer comment et pourquoi si vite, mais je t’aime, Eäriel. Je ne vois rien de contre-nature, sauf si tu ne partages pas mes sentiments. Je suis un Humain, tu es une Elfe. Mais je suis aussi un homme et tu es une femme. Je t’en supplie, ne condamne pas notre histoire à cause d’une simple question de race.

La jeune femme prit un air désespéré.

— Mon père ne l’autorisera jamais. Tu ne comprends pas… Sans son consentement, nos lois m’interdisent de t’aimer.

— Alors pars avec moi à Boronthas. Enfuyons-nous dès que nous aurons trouvé la rune. Je t’épouserai, je te donnerai tout ce que tu désires, je ferai de toi une femme heureuse.

Elle eut un sourire amer. Il était sincère, elle le sentait. Depuis des jours, elle luttait contre ses propres sentiments. Elle aurait pu se noyer dans ses yeux verts si expressifs. Eäriel avait passé deux semaines à l’observer et son cœur avait vite chaviré. Certes, il était puissant et particulièrement doué au combat, mais c’était avant tout un homme bon, prévenant, protecteur. Et très beau pour un Humain. Bon sang, mais pourquoi n’avait-il pas les oreilles pointues ? Elle connaissait son père, il avait en horreur les mariages entre races différentes. Mais s’il la voyait heureuse avec Torel, peut-être pourrait-elle le convaincre ? Elle avait besoin de temps pour réfléchir.

— Je ne peux rien te promettre. Comprends-moi, je n’ai que deux options et elles sont aussi terribles l’une que l’autre. Soit je décide de tout quitter pour toi et je deviens une renégate, perdant ainsi ma sœur, ma famille, mes amis, et tout ce qui a fait ma vie jusque-là, soit je me plie à la volonté de mon père et je renonce à toi, ce qui me brisera le cœur. Je suis incapable de choisir pour le moment.

Le jeune homme réprima un sourire. Ainsi, elle l’aimait. Il enfouit sa tête dans les cheveux de sa belle et lui murmura à l’oreille.

— Nous avons encore du temps, mon amour, jusqu’à ce que nous trouvions la rune. Ensuite nous aviserons.


Les trois semaines qui suivirent furent bien plus agréables. Torel et Eäriel ne dissimulaient plus leurs sentiments quand ils étaient ensemble, ils s’adonnaient corps et âme à cet amour interdit. Ils continuaient malgré tout à chercher la rune, car le paladin recevait des messages de plus en plus pressants de Boronthas, lui demandant de rentrer au plus vite. Quand ils ne combattaient pas les ennemis, le jeune homme enseignait à sa belle des techniques de combat rapproché et des feintes, tandis qu’elle lui apprenait les vertus des plantes. Dès qu’ils arrivaient aux abords de Lothaën, ils reprenaient cependant une distance convenable l’un de l’autre, la jeune femme ne souhaitant pas ébruiter leur relation, par crainte de la réaction de son père.

Ils auraient pu continuer à vivre ainsi pendant des mois, heureux et amoureux, mais un jour à l’issue d’un combat, un ennemi laissa tomber un petit coffre dans lequel se trouvait la rune tant recherchée. Ils en restèrent abasourdis. Eäriel se blottit dans les bras de Torel, qui la serra très fort, comme pour l’empêcher de disparaître.

— Crois en moi, s’il te plaît, lui glissa-t-il à l’oreille, crois en nous.

La jeune Elfe ne pouvait désormais plus différer la confrontation avec son père. Il fallait qu’elle obtienne son consentement. Dans la négative, elle devrait choisir entre sa famille et son amour. Quoiqu’il arrive, avec ou sans elle, Torel repartirait le lendemain.

Ils rentrèrent la mort dans l’âme à Lothaën. Le jeune homme jeta un regard fiévreux à sa belle avant de la quitter devant chez elle et de se diriger vers la Taverne.


Eäriel gravit lentement les marches du perron, cherchant les bons mots à employer. Elle trouva ses parents dans le salon, à discuter paisiblement des affaires courantes de la maisonnée. Elle admirait leur couple et rêvait depuis toujours de vivre la même chose qu’eux.

— Père, mère, il faut que je vous parle.

Ils levèrent la tête vers elle et la regardèrent, intrigués. Sa mère lui sourit et lui fit signe de venir s’assoir auprès d’elle.

— Nous avons trouvé la rune. Torel repart demain pour Boronthas.

Au nom de l’Humain, son père se raidit, ce qui n’échappa pas à la jeune fille.

— Nous avons passé beaucoup de temps ensemble ces dernières semaines et j’ai pu constater à quel point il était un homme bien. Je… nous sommes tombés amoureux et j’aimerais avoir votre…

— Jamais !

Son père s’était levé d’un bond et la foudroyait du regard. Sa mère, blême, semblait fixer un point invisible.

— Tu veux mon consentement ? demanda son père. N’y compte pas, tu ne l’auras jamais. Je ne laisserai pas ma fille s’abaisser avec un Humain !

— S’abaisser ? Réalises-tu les paroles que tu emploies ? J’aime cet homme, et cela devrait te suffire à faire mon bonheur. Ce n’est pas comme si j’avais choisi un bandit ou un Orc ! Boronthas fait partie de la Confrérie, ils sont nos alliés !

— C’est un Humain. Ils ne sont pas les bienvenus dans notre famille.

— Je vois. Tu es assez ouvert d’esprit pour te réjouir de la présence des Nains dans notre cité, pour aller même jusqu’à approuver les modifications qu’ils appliquent à nos bâtiments au point de les dénaturer, mais pas assez pour accepter que ta fille soit amoureuse d’un Humain.

Son père crispa la mâchoire, ses yeux s’étrécirent jusqu’à n’être plus que deux fentes.

— Ne gaspille pas ta salive, jeune fille, tu n’auras pas mon consentement.

— Alors dans ce cas je m’en passerais.

Elle tourna les talons et se précipita dans sa chambre, osant à peine croire ce qu’elle venait de faire. Sa décision était prise : elle suivrait celui qu’elle aimait, peu importe ce que ça lui coûterait.


Torel préparait ses bagages en pensant à Eäriel. Tout était allé très vite entre eux, mais il n’envisageait plus sa vie sans elle. Pourvu qu’elle parvienne à convaincre son père et qu’elle parte avec lui le lendemain. Il savait que si elle était obligée de choisir entre lui et sa famille, elle en souffrirait.

Il fronça les sourcils en entendant frapper à la porte. La jeune femme avait-elle décidé de le rejoindre dès ce soir ? Peut-être avait-elle dû fuir de chez elle ? Il fut surpris en ouvrant de découvrir un Elfe qui le dévisageait avec animosité. Celui-ci entra sans attendre d’y être invité et dévisagea le jeune homme.

— Ma fille prétend que vous l’aimez et que vous voulez partir avec elle.

Ainsi donc, c’était le père d’Eäriel.

— C’est vrai. Et j’espérais que vous nous donneriez votre consentement, afin de lui éviter un choix difficile. Je ne veux que son bonheur.

— Vraiment ? Dans ce cas, quittez-la.

— Et si c’est elle qui veut passer sa vie avec moi ?

— Sa vie ? Ou votre vie ? Ma fille est une immortelle, vos quelques années de bonheur ne représentent qu’un battement de cils dans son existence.

Torel fut ébranlé par ces paroles. Il n’avait jamais vu leur relation sous cet angle. L’Elfe le toisa avec mépris avant de reprendre.

— Dans vingt ans, pour aurez l’apparence de son père. Sera-t-elle toujours heureuse ? Dans quarante ans, on vous prendra pour son grand-père, comment le vivrez-vous ? Dans soixante ans, vous mourrez. Que lui restera-t-il, puisqu’elle aura renié sa famille et son peuple pour vous ? Les Elfes ne peuvent mourir que d’une blessure grave ou d’un profond chagrin. Je connais ma fille, son cœur est pur. Si elle vous donne son amour, elle ne survivra pas à votre disparition.

Le jeune homme, sous le choc, ne trouva rien à répondre. Il sentit les larmes lui monter aux yeux.

— Comprenez-moi bien, je n’ai rien contre vous en tant que compagnon de ma fille. C’est votre humanité qui me pose problème. En l’aimant, vous la condamnez à mort.

— Même si je la quitte, elle me suivra, souffla Torel.

— Alors dissuadez-la de le faire.

N’ayant plus rien à ajouter, l’Elfe se dirigea vers la porte et sortit, laissant le jeune homme seul avec son désespoir.


Eäriel se leva à l’aube et prépara ses affaires. Elle n’aurait pas le courage de s’enfuir si elle croisait sa petite sœur, aussi voulait-elle partir au plus vite. La mort dans l’âme, elle jeta un dernier coup d’œil à sa chambre, qu’elle ne reverrait jamais. Au fond d’elle-même, elle espérait qu’un jour son père lui pardonnerait et qu’elle pourrait renouer des liens avec sa famille, mais cela prendrait des années, des siècles peut-être ? De toute façon, il était maintenant trop tard pour renoncer à ses projets.

Arrivée à la Taverne, elle fut étonnée de ne pas voir le cheval de Torel. Elle entra pour se renseigner et on l’informa qu’il était parti avant le lever du jour. Un froid immense s’empara d’elle. Peut-être l’attendait-il en dehors de la ville ? On lui remit une lettre qu’il avait laissée à son attention.


« Chère Eäriel,

Je tenais à te remercier pour avoir si agréablement diverti mon séjour ici, moi qui pensais m’ennuyer à mourir !

Tu comprendras que je n’ai aucune intention de t’emmener avec moi, je souhaitais juste profiter de ta tendresse jusqu’au dernier moment.

Tu es ma première Elfe, mais assurément pas la dernière si toutes ont tes… talents.

Torel »


Le sol sembla se dérober sous ses pieds. Elle hurla de désespoir en s’effondrant. Il avait paru si sincère, comment avait-elle pu se faire avoir de la sorte ? Son cœur se déchira en mille morceaux. Le tavernier, inquiet du scandale que ces débordements de chagrin feraient retomber sur son établissement, la fit reconduire chez elle.


Lorsque Sirillë vit l’état dans lequel était sa sœur, elle eut peur pour elle. Pendant des semaines, elle prit soin d’Eäriel, essayant de la faire manger, d’arrêter ses larmes, ou simplement de parler avec elle, en vain. Ses parents passaient plusieurs fois par jour, à tour de rôle, mais rien n’y faisait. Il fallait se rendre à l’évidence : dévorée par son chagrin, Eäriel se laissait mourir.

La jeune femme n’était plus que l’ombre d’elle-même, livide et le regard vide. Elle avait l’impression d’être dans un brouillard opaque, la coupant du monde, la coupant de la vie. Plus rien n’avait d’importance. Torel ne quittait pas ses pensées, elle se repassait en boucle ces quelques instants de bonheur avec lui, trop brefs, trop intenses.


Plusieurs mois passèrent ainsi, sans qu’aucun remède ne vienne à bout de sa mélancolie. Très inquiet pour sa fille et rongé par la culpabilité, son père décida de lui avouer enfin la vérité, même si cela devait lui faire perdre à tout jamais son amour. Plus il avançait dans ses explications, plus l’horreur se peignait sur le visage de la jeune fille, première marque d’intérêt dont elle faisait preuve depuis bien longtemps. Ainsi Torel ne l’avait pas trahie, il avait pensé agir pour son bien. Elle sentit l’espoir renaître en elle, sans trop oser s’y accrocher. Plusieurs mois s’étaient écoulés, pas grand chose dans une vie d’Elfe, mais beaucoup dans une vie d’Humain. Peut-être l’avait-il oubliée ? Son état commença néanmoins à s’améliorer, jusqu’au jour où elle annonça à sa famille qu’elle partait rejoindre Torel. Elle avait besoin de savoir s’il pensait toujours à elle. Il lui avait demandé de croire en lui, de croire en eux, et c’est ce qu’elle faisait. À contrecœur, son père lui accorda son consentement.


Eäriel arrêta sa monture pour admirer au loin la cité de Boronthas. Elle ne put s’empêcher de penser que, des mois plus tôt, Torel en avait fait de même à Lothäen. Torel… Voudrait-il encore d’elle ? Leur amour avait-il survécu à cette longue séparation ? Avait-il rencontré une autre femme ?

La jeune Elfe inspira un grand coup et se dirigea vers la cité, prête à affronter son destin.


Fin
 

DeletedUser362

Son visage est décidément magnifique.

Aucun jour n’est passé sans qu’il ne cesse de se le répéter, mais en cette nuit claire et limpide, l’astre argenté illuminant le ciel d’une aura féerique semble se refléter sur les traits quasi-parfaits de son amour, Renali, le mettant particulièrement en valeur.. Comme irréel.

Sa tête est posée sur contre sa cuisse, ses paupières sont closes. S’imaginant intérieurement l’éclat azur et profond de ses iris, il est happé par des souvenirs, qui surgirent comme un flot tumultueux.


Il l’avait rencontrée il y a de cela trois mois, lors des fêtes de la Moisson. Ces fêtes duraient sept jours et réunissaient tous les peuples de la contrée, qui mettaient leurs différents de côté durant une semaine, pour célébrer les récoltes à venir.

Leur rencontre proprement dite s’était faite un matin, tous deux étant les seuls réveillés à l’aube. Il avait déjà été la veille, frappé par sa beauté stupéfiante. Aussi ce matin-là, avait-il décidé d’oser l’audace de la suivre. S’en apercevant, elle avait esquissé un sourire éblouissant, mais nullement effarouché, qui au contraire, semblait l’inviter à le suivre. S’armant de courage pour palier à la peur du rejet, il s’était finalement décidé à combler l’espace les séparant. Mais alors qu’elle n’était qu’à quelques pas, elle avait éclaté de rire et s’était enfuit en courant. Souriant à son tour, il l’avait poursuivie dans tout le champ de blé où ils se trouvaient, jusqu’à finalement la rattraper dans une chute -qu’elle avait feinte- pour tendrement l’emmener, doucement jusqu’au sol. Ils ne s’étaient dès lors plus quittés.




Un courant frais sur son visage le ramène au présent. Un alizé souffle, l'hiver annonçant.



Les yeux perdus dans le vide, il reste longtemps agenouillé, avant d’être finalement dérangé, par un bruit monotone et régulier. Il en regarde la source, qui part de son bras si fin, pour couler jusqu’au sol. Deux sillons chauds se creusent sur ses joues. Des larmes. Contrastants avec la fraîcheur du temps. Sa vision se trouble, aussi chasse-t-il les importunes de ses yeux d’un revers de manche et s’intéresse-t-il de nouveau à ceux clos de son aimée.


‘’Oh oui, tes beaux yeux sont fermés, mais ils le resteront.. Comment pourrais-je le supporter ?’’ Sa voix de viens rauque.


Un autre contact chaud. Contre sa main cette fois. Il ose un regard. La tâche a grossit, inondant maintenant sa robe blanche d’un océan pourpre, qui inexorablement ne cesse de s’étendre. Il essai d’ouvrir la bouche, mais il ne fait qu’hoqueter. Comme un coup en plein cœur, le frappe la réalité.


C’était sa faute. Les habitants d’Alganar n’étaient pourtant pas réputés pour leur ouverture d’esprit, pourtant il avait insisté pour qu’ils s’installent dans la ville où il était né.

Par de simples regard malveillant cela avait commencé, mais ils n’y avaient guère prêté attention, à deux ils se sentaient fort, invincible, hors d’atteinte.

Par des lettres vulgaires ou de menace cela avait continué, mais ils en avaient fait fi, et pis, en avaient ri. Quelques jaloux ne pourraient briser, le lien fusionnel qui les lie et les a liés.

Mais les choses avaient empirés, et il s’était même fait agresser, un soir. Le temps qu’il comprenne, il était trop tard. Il rentra chez lui, boitant mais pressé. Un cri avait retentit, son cœur avait tressaillit, et quand il fut arrivé, il crut son cœur s’arrêter. Elle gisait sur le dos, tandis que s’enfuyaient, trois formes encapuchonnées dans un sombre boyau.



A ces pensées une douleur fulgurante le saisit, le malmène, et le Désespoir sourit, s’amène.. Guidant sa main lestée d’une dague, jusqu’à son flanc démuni, et sans faire de vagues, l’y enfonçant sans bruit.

Peu à peu la douleur s’estompe, il ne ressent plus rien.


‘’Je te rejoins mon aimée, je te rejoins. ‘’
 

DeletedUser362

Amour impossible


- Vous m’avez fait demandée Eyroll ?

- En effet, entre je t’en prie.

Sur son accord j’entre dans la pièce où se tient un elfe d’un âge avancé me tournant le dos. Il semble plongé dans ses pensées, le regard perdu au loin. Après quelques instants je l’entends prendre une grande inspiration et se retourner dans ma direction. J’incline respectueusement la tête. D’aussi loin que je me rappelle j’ai toujours respecté Eyroll, son assurance en toute circonstances, son intelligence, sa vision du monde bien à lui qui nous a souvent donné matière à des débats enflammés.

- Tu sais sans doute qu’un nouveau roi s’apprête à être couronné en Arendyll.

J’acquiesce silencieusement me demandant où il veut en venir.

- Le bilan de feu le roi Galdril est disons très mitigé sur le plan diplomatique comme économique, continue-t-il. Nos relations avec le royaume ne sont plus ce qu’elles étaient et il nous appartient de renouer ce lien qui nous liait jadis pour nos intérêts respectifs. Il semblerait que son neveu, le nouveau roi, soit plus ouvert au dialogue que son prédécesseur.

Ah le voilà, le Eyroll que je connais bien maintenant, toujours prêt à saisir la moindre opportunité de se mêler des affaires des hommes, s’immiscer dans leurs petits conflits nombrilistes. Et pour quel résultat ?

- Vous souhaitez profiter de son prochain couronnement pour raviver de vieilles alliances ? Notre peuple n’est-il pas capable de prospérer sans s’allier à ces êtres arrogants et immatures ? Les hommes ne veulent pas de nos conseils vous devriez le savoir, comme nous ne voulons pas des leurs d’ailleurs…

Je vois un rictus se dessiner sur les lèvres d’Eyroll. Nous voici repartis dans un de ces débats que nous apprécions tant.

- Notre peuple a besoin de telles alliances Aïleen, imaginer que nous puissions prospérer indéfiniment sans aucune aide de nos voisins serait purement…arrogant et immature c’est ce que tu as dit n’est-ce pas ?

Je laisse échapper malgré moi un petit rire étouffé. Un jour j’aurais le dernier mot sur vous Eyroll…

- Bien… Donc je disais que le nouveau suzerain semblait prêt à discuter avec les anciens alliés du royaume et comme tu l’as si bien souligné, son couronnement sera l’occasion propice pour afficher et raviver cette alliance. Notre seigneur m’a mandaté pour représenter notre peuple lors de la cérémonie et des festivités qui suivront.

- Et je suis certaine que vous êtes déjà prêt à prendre la route..

- L’ironie ne te va pas Aïleen. Mes affaires sont en ordre en effet, il est d’ailleurs temps que tu fasses les tiennes.

- Que je ?! Je m’excuse mais…

Je scrute son visage pour déceler une trace d’humour mais je n’en vois aucune. Est-il sérieux ?

- Le couronnement a lieu dans 3 jours et la route est longue donc nous devons nous hâter. Nous partons tous les deux dès ce soir. J’ai obtenu l’accord de notre seigneur pour que tu m’accompagnes, cette expérience sera j’en suis sûr très formatrice pour toi.

C’est à mon tour de prendre une grande inspiration. Je baisse les yeux et incline la tête. Si l’accord a été donné en haut lieu je sais pertinemment qu’il n’y a rien que je puisse faire pour échapper à ce voyage.

- Bien… Si c’est tout pour l’instant Eyroll je vais prendre congé pour préparer mon paquetage.

- Je t’en prie. Nous nous retrouverons sur la grande place d’ici 3h pour notre départ, je me charge de nos montures.

Il ne montre rien mais je sais qu’il jubile intérieurement de m’emmener avec lui. Voilà longtemps maintenant que je lui rabâche l’insignifiance que les hommes et leur monde m’inspire, il n’aurait pas pu trouver plus belle occasion de prendre sa revanche.

Je sors de la pièce en le saluant et me dirige vers mes appartements. Mes affaires sont vite pliées, je dépose le tout sur mon lit et entreprends de me vêtir comme il se doit pour le voyage que nous allons faire.


Le soleil pointe à l’horizon quand je descends vers la grande place. Eyroll m’attend déjà avec deux montures. Il me tend la bride de l’une d’elles, un sourire au coin des lèvres.

- Voici pour vous ma chère.

- Je vous remercie.

Je fais mine d’être encore vexée mais il sait aussi bien que moi que je suis incapable de lui en vouloir. Je prends la bride et pose mes affaires sur la croupe de la monture. Une fois bien attachées je m’assure que ma dague est bien à ma portée. Mon ami monte quand à lui sur sa monture.

- On ne sait jamais les rencontres qui nous attendent sur ces routes…me lance Eyroll en me voyant faire.

- Ce n’est pas au trajet que je pensais en la prenant tout à l’heure, lui dis-je en retour.

Il sourit avant de partir vers la porte de la cité. Je l’imite en lançant un dernier regard à cette cité que les rayons rougeoyant du soleil rendent encore plus majestueuse à mes yeux.


---


Je n’ai pas vu le voyage passé. Les boutades régulières d’Eyroll et nos interminables conversations l’ont sans doute rendu plus agréable que je ne l’aurais cru. Nous arrivons tous deux face aux imposantes murailles de la capitale d’Arendyll. On peut déjà entendre l’effervescence qui émane de cette ville grouillante et bouillonnante. Eyroll me jette un regard avant d’aller nous annoncer au poste de garde.

- Deux émissaires de la cité de Valnor, Seigneur Eyroll et Dame Aïleen !

Après quelques secondes la lourde porte se fend en deux et nous pénétrons dans la capitale.

- Bonjour Seigneur, Dame. Vous êtes attendus au palais, veuillez suivre ces gardes ils vous escorteront, nous indique un homme en venant à notre rencontre.

Je hoche de la tête et Eyroll remercie l’homme avant de suivre les deux gardes qui se sont mis en chemin devant nous. Les rues se confondent mais très vite les maisons se dégagent et nous apercevront un grand bâtiment dont l’architecture imposante et très ostentatoire m’amène à penser qu’il s’agit du palais en question.

Eyroll congédie notre escorte et nous descendons de cheval pour pénétrer dans la cour. Les façades sont toutes ouvragées et décorées avec divers toiles et rubans aux couleurs du royaume. Nous laissons nos montures aux bons soins d’un palefrenier, je garde toutefois ma dague sur moi, simple précaution.

- As-tu déjà visité un palais à l’approche d’un couronnement Aïleen ?

- Je dois reconnaître que non mais en quoi cela pourrait-il être diff…

Je n’ai pas le temps de finir ma phrase que nous entrons dans ce qui devait être la salle du trône mais qui ressemble davantage à une foire où se mêlent dans le plus grand bruit des peuples de toutes races et de tous lieux. Je suis incapable de parler.

- Différent oui c’est le mot, conclu mon ami. Je vais aller saluer de vieilles connaissances. Je te conseille d’aller t’installer dans tes appartements et de te préparer pour le banquet de ce soir. Nous nous y retrouverons.

- Humm, bien.

Je le laisse s’éclipser, il semble dans son élément. Je dois faire un effort exceptionnel pour garder mon sang-froid devant une telle scène. Je me ressaisis rapidement et me mets en quête des appartements des invités. Ce banquet promet d’être mémorable…


J’ajuste ma tenue, elle tranchera assurément avec les codes vestimentaires des hommes à ce que j’ai pu en juger plus tôt dans la journée mais je suis fière de mon peuple et de ses traditions, ce n’est pas parce que je suis invitée de force en ces lieux que je ne vais pas le revendiquer.

Je me dirige vers la salle du trône. L’effervescence de l’après-midi a laissé place à un calme relatif. De grandes tablées ont été installées sur lesquelles est posée une abondance de mets et boissons divers et variés. Je cherche des yeux mon ami, je n’ai aucune envie de passer cette soirée en compagnie de cette foule brutale et rustre.

- Je vous l’accorde, on se sent aisément perdu dans pareilles circonstances.

Pardon ? Je me retourne pour faire face à la voix qui vient de me parler. Un homme d’une trentaine d’années tout au plus est accoudé contre une colonne et me regarde en souriant. Son regard bleu-gris me transperce, j’ai soudain l’impression que la pièce s’est vidée autour de moi. Il semble sentir mon trouble et se redresse mais avant qu’il n’ait pu faire un pas en avant je me ressaisis.

- Je ne sais pas ce qui a pu vous faire penser que j’étais perdue. Je vous rassure ce n’est pas le cas. Je cherche simplement mon ami, lui dis-je en tentant de me dérober à son regard.

- Dans ce cas pardonnez ma méprise, j’ai dû confondre l’expression du visage « je cherche mon ami » avec celle qui appelle à l’aide, me lance-t-il ironique.

Pour qui me prend-t-il ? Je ne suis pas une de ces femmes qui voient dans tous ces seigneurs des chevaliers servants prêts à venir à leur rescousse avant de les emmener sur leur cheval blanc vers des jours meilleurs. Je m’apprête à répliquer par une remarque cinglante sur son comportement ridicule quand j’aperçois Eyroll qui me regarde à quelques mètres de là. Je me ravise et préfère prendre congé.

- J’espère que vous saurez faire la différence à l’avenir… A présent veuillez m’excuser.

Et toc ! Je me retourne pour aller à la rencontre de mon ami. Il me semble entendre un « Je n’y manquerais pas ! » mais ces paroles sont masquées par le brouhaha ambiant.


Je ne sais pas pourquoi mais c’est souriante que j’arrive vers Eyroll qui me regarde d’un air interrogateur.

- Tu as pu rencontrer d’autres émissaires ? me demande-t-il.

- Non… Ou du moins aucun digne d’intérêt.

- Personne n’est donc digne d’intérêt pour toi ?... Ah ! Et je sais que tu ne le demanderas pas mais j’ai pu renouer quelques contacts utiles depuis notre arrivée.

Je ne relève pas sa remarque et reste silencieuse mais j’ai l’impression de sentir encore le regard de cet homme sur moi. Cette sensation ne me quitte pas.

- Je vais manger à leur table nous avons des discussions à poursuivre, la tienne est ici il me semble.

- Nous ne sommes pas à la même table ?

Ma réaction me surprend moi-même. Je me comporte comme une enfant perdue. L’homme aux yeux bleu-gris avait raison et cette idée m’est insupportable. Visiblement, Eyroll est lui aussi surpris par ma remarque. Je me reprends.

- Je veux dire : Ces contacts dont tu parles seront peut-être dignes d’intérêt pour moi ?

Je ne suis clairement pas convaincante et Eyroll ne peut réprimer un sourire.

- Cette soirée sera sans doute très enrichissante pour toi. Maintenant je dois te laisser, excuse moi.

Et le voilà qui s’éclipse de nouveau. Je m’installe à la table qu’Eyroll m’a indiquée en observant les gens autour de moi, me demandant lesquels d’entre eux vont être mes « compagnons » de soirée. Deux hommes s’installent rapidement à ma gauche tandis qu’une femme s’assied à droite de moi en me souriant. Elle se présente : Dame Isandriel. Je me plie à mon obligation de politesse et lui rend la pareille.


Les minutes s’égrènent et je laisse mes voisins de table entretenir la conversation. Je ponctue simplement leur dialogue de temps à autres de quelques remarques qui ne demandent aucune réponse. Je ne remarque même pas que la chaise en face de moi est elle aussi occupée à présent mais cette voix familière me sort de mes pensées.

- Donc si je ne me trompe pas vous êtes en ce moment même à la recherche de votre ami ?

Qu’est-ce que ? Je lève les yeux et replonge aussitôt dans cet océan bleu-gris dont j’avais eu tant de mal à m’extirper plus tôt dans la soirée. Il ne me laisse pas le temps de répondre.

- Je m’excuse je ne me suis pas présenté tout à l’heure. Enfin peut-être si vous m’en aviez laissé le temps… Je suis Harold fils de Reneth des plaines du sud, enchanté.

Il marque une pause comme pour juger si cet éponyme évoque quelque chose chez moi. Mes voisins de table se sont tus en entendant son nom. Devrais-je être impressionnée ? Je profite de l’occasion.

- Et bien Harold fils de Reneth je suis navrée de vous l’annoncer mais votre légende n’est pas encore parvenue jusqu’à mes oreilles.

Nouveau blanc de la part de mes voisins. Je suis peut-être allée un peu trop loin, après tout il ne m’a rien fait de mal… Hormis son arrogance naturelle et sa façon d’avoir réponse à tout bien sûr. Je décide de lui donner une chance.

- Je suis Aïleen de la cité de Valnor, enchanté également.

Cette réponse semble le satisfaire.

- Aïleen…Très joli…

Il fait sonner mon nom dans sa bouche sans se préoccuper de nos voisins de table qui semblent vivre la plus grande expérience de leur triste vie.

- Donc comme cela vous n’avez pas eu l’insigne honneur de connaître ma légende ? Et bien nous allons rectifier la situation… Que voulez-vous savoir sur moi ?

Je ne peux m’empêcher de sourire et de lui reconnaître au moins une qualité, il est tenace. Il veut jouer... Soit… Nous serons deux dans ce cas.

- Hum, commençons par cette extraordinaire capacité à vouloir venir en aide aux femmes seules et perdues ! Est-ce naturel chez vous ou vous entrainez-vous tous les jours ?

Il rit. J’ai marqué un point.

- Touché, Dame Aïleen… Je serais tenté de dire que c’est un don naturel mais soyez assurée que don ou pas je ne pourrais faire autrement que vous venir en aide lorsque vous avez ce regard là.

La conversation prend soudain un ton plus sérieux. Que veut-il dire ? Je le détaille du regard. Il me fait face, les coudes sur la table et les mains jointes, la tête appuyée sur celles-ci. Il est plutôt bel homme…. Pour un homme du moins. Les cheveux noirs légèrement décoiffés, une barbe naissante mais qui pourrait passer pour entretenue, le regard profond et enjôleur, le stéréotype de l’homme à femmes. Je m’attarde un peu trop sur ses yeux et réalise soudain que celui-ci me détaille aussi. Je me redresse immédiatement, gênée. Contrairement à moi, il semble amusé par la situation, il se redresse à son tour et croise les bras.

- Je vous ai répondu maintenant c’est à votre tour... Alors, comment me trouvez-vous ?

Je suis choquée par son audace.

- Je… Comment ?... Pourquoi devrais-je vous répondre ? Et puis c’est une question trop personnelle, cela ne se demande pas…

- Auriez-vous peur de me répondre ? me demande-t-il d’un air de défi.

Je ne sais pas à quoi il joue, ni si j’ai envie de continuer ce jeu qui va trop loin à mon goût. C’est la seconde fois en une journée que je manque de perdre mon sang-froid. Rien de ce que je pourrais lui dire ne semble le décourager, et étrangement cela me ravi.

- Je vous trouve arrogant, sans gêne, impétueux, envahissant et bien trop sûr de vous ! Vous êtes bel homme et pensez sans doute que votre regard et vos charmes vous autorisent à vous comporter ainsi avec les femmes. Vous apprendrez à vos dépends que ce n’est pas le cas !

J’ai parlé plus fort que je ne l’aurais voulu. Cette fois-ci la table entière est silencieuse. Harold me regarde intensément, je ne saurais déchiffrer ce qu’il pense à cet instant.

- Maintenant sur ce, veuillez m’excuser.

Je me lève rapidement. Qu’importe si je ne respecte pas la bienséance, je ne peux pas rester une minute de plus en face de lui. Je traverse la pièce en tentant de ne pas me faire remarquer. Je fuis le regard inquiet d’Eyroll. Je n’ai pas envie de subir son inquisition maintenant.


Une fois sortie de la salle du banquet je me dirige vers un jardin illuminé par quelques chandelles. En son centre se trouve un bassin entouré de plusieurs colonnes. Je m’adosse à l’une d’entre elles et penche ma tête en arrière pour reprendre mes esprits. Je ne comprends pas ce qu’il vient de se passer. Ai-je vraiment dit à Harold qu’il était bel homme ? Et que cherchait-il à faire au juste en me posant cette question ? J’ai dû paraître tellement idiote…

- C’est la seconde fois de la soirée que vous me fuyez…

Une voix interrompt mes réflexions. Je rouvre les yeux et vois Harold qui marche calmement dans ma direction. Son regard me fixe, je ne sais pas si je dois le fuir une fois de plus ou bien l’affronter.

- Il ne faudrait pas que cela devienne une habitude, poursuit-il en arrivant près de moi.

- Je… Je suis désolée…Vous devez me haïr…

Il s’immobilise et le silence s’installe entre nous. Il observe ma bouche dont plus aucun son ne sort maintenant et semble peser ses paroles.

- Vous vous êtes montrée honnête avec moi et j’aimerais vous rendre la pareille…

Mon souffle se fait plus court. Je sens une tension monter entre nous. Il poursuit.

- Vous êtes la créature la plus ravissante qu’il m’ait été donné de voir et vous faites preuve d’une honnêteté désarmante envers moi. Quelque chose m’attire en vous et vos tentatives pour me repousser ne font qu’attiser ce sentiment. Lorsque vous m’avez répondu si justement je me suis montré incapable de détacher mes yeux de cette bouche, cette bouche que je vais maintenant embrasser si vous me le permettez.

Son regard sonde le mien un instant. Il se rapproche doucement puis semble perdre toute retenue et se presse contre moi en me donnant un baiser d’abord intense puis très tendre. Les mains de chaque côté de mon visage il s’arrête et colle son front au mien les yeux fermés pour reprendre son souffle. J’ai l’impression de sentir mon cœur battre pour la première fois. Une éternité semble s’écouler.

- Je n’aurais pas pu tenir plus longtemps, dit-il en se reculant. Si tu m’avais fuit une fois de plus je ne sais pas ce que j’aurais fait…

Comment cet homme peut-il me faire ressentir une telle chose ? Je voulais fuir, il y a quelques heures encore c’est ce que j’aurais fait sans hésitation mais mot après mot il m’a désarmée. Il éveille la vie en moi et bien que cela me bouleverse je ne me suis jamais sentie aussi bien.

- L’idée m’a traversée l’esprit…

Nous sourions tous les deux, la tension entre nous a pour le moment laissé place au calme.


Notre parenthèse est interrompue par les appels d’un homme depuis l’entrée du jardin.

- Seigneur Harold !! Le roi votre frère vous cherche ! Vous n’êtes pas venu dîner à la table royale et il doit vous entretenir d’une question urgente !

Prise au dépourvu, je regarde Harold en l’interrogeant du regard. Cet homme est le frère du futur roi ?

- Euh oui, me dit-il comme s’il comprenait ma question, j’aurais peut-être dû commencer par là en me présentant mais je pensais que c’était évident…

- Cela explique les silences gênés à table…

- Oui, je pense que tu leur as offert un grand spectacle, me charrie-t-il, mais ne t’inquiète pas pour cela.

- Pardonnez-moi d’insister Seigneur, nous interrompt de nouveau l’homme.

- Oui j’arrive Tordred. Je te prie de m’excuser je ne serais pas long nous nous retrouverons dans la salle du banquet ?

- Oui bien sûr.

Il s’écarte un peu plus de moi comme à regret et se retourne en direction de Tordred.

- Je vous suis Tordred, allons voir mon frère !

Après son départ, je reste un moment seule dans ce jardin réalisant petit à petit ce qu’il vient de m’arriver. Les idées fusent et de longues minutes ont passé quand je me décide à rejoindre la salle du banquet. Harold a déjà dû terminer son entretien.


La salle s’est vidée de ses invités et seuls restent quelques personnes debout donc un de mes voisins de table. Je cherche Harold du regard mais je ne le trouve pas, la table royale est vide. Je demande alors à mon voisin où sont le roi et son frère et celui-ci me répond qu’ils ont quitté la salle il y a longtemps déjà.

Comment ? Mais pourtant…

Je scrute à nouveau la salle à la recherche du visage familier d’Eyroll cette fois-ci mais sans succès.

C’est avec regret que je retourne à mes appartements.

---


La nuit qui suit sera hantée par des yeux bleu-gris pénétrants. La matinée ne sera quand à elle pas plus intéressante à savoir le couronnement du roi, les remarques incessantes d’Eyroll sur mon comportement de la veille et l’absence d’Harold.


Un nouveau banquet est organisé dans la grande salle et je me fais la réflexion que les humains seraient bien plus évolués s’ils passaient moins de temps à manger et davantage à travailler pour leur bien. Je suis assise à côté d’Eyroll, je le soupçonne d’avoir changé les plans de table pour mieux me surveiller.

Un tintement de verre se fait entendre et le roi se lève pour prendre la parole.

- Mes chers amis…

C’est à cet instant que je sens une main se poser sur mon épaule. Je me retourne pour voir Harold penché derrière moi l’air inquiet.

- Harold ! Mais que…

- Chut, me coupe-t-il, je dois te dire quelque chose, je n’ai pas pu venir plus tôt, viens…

Son inquiétude est contagieuse. Je me lève discrètement pour le suivre hors de salle alors que le roi continue son discours.

- Et je voudrais profiter de ce moment pour vous annoncer les fiançailles de mon cher frère Harold avec l’héritière de Dunald des montagnes de l’Est ! Nul doute que cette alliance sera bénéfique pour nos deux contrées !

Je m’immobilise instantanément alors qu’une salve d’applaudissement retentit dans toute la salle. Harold me regarde, l’inquiétude dans ses yeux a laissé place à la terreur. Il avait peur de ma réaction ?! Et bien il avait raison !

- Comment as-tu pu ?!!!

- Aïleen laisse-moi t’expliquer…

- Comment as-tu pu me faire croire tout ceci alors que tu t’apprêtais à épouser une autre femme ?!!

- Aïleen écoute-moi !...

Je me précipite hors de la salle pour ne pas créer un nouvel esclandre, Harold sur mes talons.

- Mais je t’ai cru !! Je te croyais moi !!

- Aïleen s’il te plait veux-tu m’écouter !!

Il me prend les mains en m’implorant, je m’arrête et le fixe en tentant de rassembler mes esprits.

- Mon frère m’a parlé de ce mariage hier soir seulement, après que je t’aie laissée dans ce jardin… Je n’aurais jamais dû te laisser… Je lui ai dit que je m’y opposais et que nous devions en rediscuter…

- Son annonce a été plutôt claire il me semble…

- Oui j’ai entendu comme toi mais crois-moi quand je te dis que rien n’est décidé. Il fait cela pour me contraindre à accepter mais je ne le laisserai pas me forcer !

Harold relâche mes poignets s’accroupit et prend sa tête entre ses mains.

- Je n’ai pas cessé de penser à toi cette nuit, au fait que j’aurais dû rester à tes côtés.

Et soudain je perçois à quel point il est vulnérable, à quel point il a besoin de quelqu’un, besoin de moi. Je prends ses mains dans les miennes, son regard se lève vers moi, plein d’espoir.

- Je te crois…

Il embrasse mes mains et se relève. Ses yeux cherchant les miens, nous restons un moment ainsi, suspendus dans le temps et l’espace.

- Je te jure sur mon honneur que ce mariage ne se fera pas. Aucune alliance diplomatique ou économique ne pourra m’y contraindre.

- Je te crois…

- Aïleen cela suffit !!

Une voix s’est élevée derrière nous, une voix que je ne connais que trop bien.

Je me retourne pour voir Eyroll se rapprocher à grands pas.

- Ton rôle n’est pas de t’immiscer dans les alliances des humains Aïleen ! Tu en as déjà bien assez fait.

- Avec tout le respect que je vous dois Seigneur Eyroll, s’interpose Harold, Dame Aïleen n’est en rien coupable de quoi que ce soit. C’est uniquement ma faute.

- Ces paroles vous honorent Seigneur Harold mais Aïleen doit apprendre à respecter la place qui est la sienne.

- Sa place est à mes côtés !

Harold a répondu avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, le regard empli de fureur, et pour la première fois depuis notre première rencontre Eyroll ne répond pas.


---


Le soleil se couche sur la cité de Valnor. Je sors de mes appartements et m’accoude à la balustrade qui surplombe la grande place, laissant divaguer mes pensées. Tant de choses se sont passées dernièrement. Le calme de cette cité m’apaise.

On entend au loin des cavaliers approcher. Une dizaine d’hommes entrent par la porte principale et immobilisent leur monture au centre de la grande place. L’un d’eux descend de sa monture et se dirige en direction des escaliers. Je me redresse et retourne précipitamment dans mes appartements pour me préparer. Je jette un regard dans le miroir, l’elfe qui me fait face me semble différente, elle sourit, d’un sourire franc et heureux.

Quand je me retourne je le vois sur le pas de ma porte, son regard me fixe comme s’il me voyait pour la première fois.

- Que t’avais-je dis si tu me fuyais une fois de plus ?



The end
 

DeletedUser362

Le sang et les larmes

A tous mes amis, les morts et les vivants, présents ou absents.

« Gundárel, terre inaccessible, au cœur du cercle des Montagnes, terre aux vallées douces et fertiles, aux forêts profondes, aux lacs bleus et calmes, aux sources claires, au nom si doux à mon cœur…

C’est là que je naquis, un soir de fin d’hiver. Mon père se nommait Raymond Touhnens, lieutenant de la Garde du Prince Tuldis, et Enarlen d’Altinoor était ma mère.

Dans mon pays, il est deux races : la première est celle des elfes, ils sont les nobles du pays : les sciences, les lettres, les arts, les armes et les lois, ils sont maîtres de tout. On les dits presque immortels, mais ma mère, qui est une elfe, dit que c’est faux : leur vie, passée l’enfance, s’use seulement trois fois plus longtemps que celle d’un humain, et si les simples maladies humaines ne peuvent que les affaiblir, une mort violente peut les emporter. À preuve la mort horrible de ma mère, tuée par les Orzacs sur la route. Quand ma mère épousa mon père, sa famille eut du mal à l’accepter, mais cependant l’amour fut plus fort que tout. Je pensais qu’il en serait plus tard pareil pour moi, mais je me trompais.

۞



Jeunesse
J’avais neuf ans lorsque mon grand-père Defelorn, peu après la mort de sa fille, ma mère, me permit de passer, deux années de suite, trois semaines d’été chez lui à Altinoor. C’est là que j’ai passé, je crois, les meilleurs jours de mon enfance, avec mes cousins elfes, les enfants de la noblesse elfique d’alentour et des grands capitaines humains de la garde. Tout le jour, nous sillonnions les bois et les rivières, dans des chevauchées folles ou des courses échevelées. Nous avions aussi la compagnie de la gent féminine des deux races avec nous. Parmi les elfes, j’en rencontrais une, d’un an mon aînée, belle comme un jeune astre. Je la revois encore, avec son air enfantin, des yeux bleus pleins de malice, ses joues pleines, ses cheveux en désordre, son sourire moqueur, son rire clair et musical… Elle avait l’esprit vif, le caractère fougueux, rebelle. Elle faisait un peu figure de chef amazone, et elle était déjà fascinante. Son nom était Clodidiel. Moi, je n’étais qu’un humain aux cheveux et aux yeux sombres, à l’air naïf, trop crédule et trop timide, au pas prudent, aux paroles hésitantes et toujours mal assuré, bien qu’elle m’ait dit que j’étais d’un naturel drôle. Je n’espérais pas la revoir un jour, et je ne pensais pas qu’elle se souviendrait de moi.

La dernière année fin de ces trois semaines marquèrent pour moi la fin de mon enfance paisible, puisque c’est alors que mon père m’annonça que la guerre avec les Orzacs avait éclatée, et qu’il devait me mettre à l’école des Cadets tandis qu’il partirait à la guerre, où il devait mourir.

L’école des cadets reste pour moi un souvenir inoubliable. Là, je rencontrais un nommé Elaunihir, un humain de mon âge. Je le considérais d’abord comme un ami. El était un jeune homme bon en toutes les matières, mais expert en rien, doué seulement de facilités pour la musique, la dance et la conversation. De tempérament hautain et fier, de santé maladive, il ne devait qu’aux relations de sa mère d’être accepté parmi les cadets, car en réalité il était pratiquement exempté de tout exercice pénible. À sa sortie, il fut admis comme sous-officier de réserve, et soustrait au service militaire. D’abord charmant, il était devenu odieux avec moi, me prenant pour un valet plus qu’un ami. Pédant, sûr de lui, bellâtre, de ses gens dont ma mère disait : « Elfes, hommes, n’importe : pour eux, le savoir est comme la confiture : moins ils en ont, plus ils l’étalent ». Mais aussi, j’y ai connu celui qui fut mon meilleur ami, un elfe nommé Lementhoor. Lem était plus âgé que moi de deux printemps. Il était comme un frère protecteur, bienveillant.

۞

Les années s’écoulèrent. Lem partit deux ans avant moi, et me manqua beaucoup. Lorsque, à mes quinze ans, je fus jugé prêt à servir le Royaume, je fus affecté avec le grade d’aspirant à un petit poste dans les frontières du Nord. Puis, un an après, j’eus une immense surprise. Je devais remplacer Lem en CarlRoth, car il était promu capitaine prématurément à Aldor où une guerre avec les nomades Erducks avait éclatée.

Lem vint me chercher dès mon arrivée à la Forteresse. C’est alors que je la revis. Elle était assise à côté de Lem, dans la charrette, et ils se parlaient familièrement, comme deux amis. Lem lui dit :

-Clodi, je te présente mon ami d’enfance, Antoine Touhnens.

Elle sourit, de cet air si beau, auquel ses yeux donnent je ne sais quel charme. Ses yeux, d’un bleu-gris comme la mer… C’est alors que je réalisais combien elle était devenue belle. . Elle était vêtue comme un jeune noble (ce qu’elle était, je n’aurais pas dû l’oublier). Ses cheveux mi- longs ondulaient dans le vent, son visage avait pris cet air à la fois grave et amusé que je lui ai toujours connu depuis. Sa silhouette était svelte élancée, ses mains longues et fines, et chacun de ses gestes revêtait je ne sais quelle grâce discrète J’eus soudain honte de ma petite taille, de mes jambes que mon père disait toujours trop courtes, de mon air toujours négligé, de mes « vilaines manières d’humain », comme disait ma grand-mère.

-Antoine, oui, je me souviens de toi. Chez ton grand-père, il y a presque dix ans… Approche-toi ! Comme tu as grandi… Un homme bientôt à présent, pas vrai, Lem ?

-Oui, répondit Lem, j’ignorais que vous vous connaissiez.

-Moi aussi, répondis-je gauchement. Enfin, je veux dire…

Me tirant d’embarras, Clodidiel m’expliqua :

-Nous nous sommes rencontrés ici l’an passé, lorsqu’il a été affecté ici. J’habite dans la ville, car je n’aime guère la cour. Lem me parlait souvent d’un ami qu’il avait à l’école des Cadets et qui lui manquait. Je ne savais pas que c’était toi !

Mes adieux à Lem furent encore plus émouvants que ceux deux années auparavant. Pourtant, il y eut très peu de mots échangés, mais tout était dit dans les regards que nous échangions.

۞

Deux années s’étaient écoulées depuis ma deuxième séparation d’avec Lem. Comme j’étais sous-officier du Fort, je croisais souvent Clodidiel. Peu à peu, je la regardais comme une compagne à la fois loin au-dessus de moi, et si proche : elle me donnait du courage et de la confiance en moi, comme le faisait Lem, même si je craignais plus fort que tout la flamme de son regard, chargé de la force de son jugement. Et elle aussi cessa de voir en moi un simple semi- homme perdu parmi des elfes dont il était parent sans avoir leur sang. À cause de cela elle devint en quelque sorte mon appui. Parce que j’étais bon à l’arc, elle m’incita à améliorer mes flèches moi-même, de sorte que bientôt je fabriquais moi-même mes traits avec un empennage spécial et des pointes de flèches calibrées d’une façon unique et identifiable. Certes, parfois, elle critiquait les humains de façon si vive que je regrettai d’être un « sang mêlé », mais toujours elle trouvait ensuite les mots pour m’assurer qu’elle n’étendait nullement ces propos à moi. Toujours, je redoutais ses sarcasmes ou même son regard, et je guettais un sourire ou un encouragement : car jamais je n’avais reçu d’elle un compliment ou un blâme explicite.

Je découvris que mon respect admiratif et mon affection pour cette elfe, qui aillaient croissant, commençaient à dépasser la simple camaraderie. Au fil des mois se modifiait lentement l'enfantine amitié d'autrefois. J’étais devenu violent envers ceux qui critiquaient sa trop grande franchise sur certains sujets, et je la défendais partout où je l’imaginais attaquée, ne fût-ce que sur de simples détails. Le moindre propos sur elle qui ne convenait point à l’icône que je gardais en moi me rendait enragé. Ce jour-là, donc, je m’étais emporté sur une réflexion d’un lieutenant humain. Je me souviens l’avoir coupé en reposant brutalement le verre que je tenais à la main, et en le fixant jusqu’à ce qu’il baisse les yeux. Il avait alors murmuré : « Cette elfe, tu la défends comme si tu en étais amoureux… ! »

C’était vrai. Je m’aperçus de la douceur que m’évoquait son nom, et sourit. Ainsi, à présent, je l’aimais donc ? C’était cela, pour moi, aimer ? L’aimer un peu ainsi que j’aimais ma mère, avec la même abnégation, avec le même élan, dans un pareil don de tout l’être ? Mais en même temps, c’était comme un poignard : notre amitié était réciproque, mais mon amour le serait-il aussi ? Presque impossible, songeais-je. C'est, je ne le comprenais que trop, que la tendresse de la jeune elfe n'avait pas évolué comme la mienne. Alors que mon amitié fraternelle s'était graduellement transformée en amour, le cœur de Clodidiel était resté le même. Avec la même tranquillité, ses yeux regarderaient toujours en moi le compagnon de sa jeunesse, sans que nul trouble nouveau n’en obscurcît le pur azur. Conscient de ce désaccord, je gardais donc le silence et cachais mon espérance secrète.

Amours et mort
La mort devait bientôt frapper, nous rapprochant davantage. Son père et le mien moururent au combat, cette année-là, tués par les Orzacs, en couvrant la retraite d’un détachement surpris par l’ennemi. Ce fut la première fois où je la vis pleurer, et la première fois où je me sentais capable de faire quelque chose pour elle. Elle était si désemparée que je lorsque je la vis venir éplorée vers moi, avec la même missive aux rubans noirs ; je la pris par les épaules, et l’obligeais à s’asseoir à côté de moi sur un banc. Alors, elle se pencha vers moi, et je la serrai fort contre mon cœur, sans rien dire, car je me savais maladroit et parce que lorsqu’on se retrouve orphelin, nulle parole ne peut rien. L’espace d’un moment, nous restâmes là, sur ce banc, à nous communiquer notre force. Enfin elle se redressa : « Merci, Antoine. », dit-elle d’une voix à peine reconnaissable. Elle essuya d’un geste vif les larmes qui roulaient de ses yeux, puis se penchant vers moi, elle me déposa un baiser léger comme un papillon sur ma joue. Le temps de rouvrir mes yeux, elle n’était déjà plus là.

۞

Deux semaines plus tard, un ordre de mission de guerre me tint ainsi séparé d’elle pour dix longs mois. La guerre avait gagné en férocité : à présent les Orzacs, traîtres de nature, attaquaient à l’improviste, à la nuit Les batailles rangées étaient encore pires cependant que la guérilla : mon escadron fut décimé, moi-même je fus blessé à la jambe, et depuis je boite toujours : je me signalais par mes faits d’armes et fut promu sous-lieutenant, puis bientôt lieutenant, comme jadis mon père. Lem me sauva la vie lors de la bataille de Prinal, en déviant la lame qui allait frapper ma nuque, et je vins chercher mon ami blessé sur le champ de bataille en pleine nuit, le même jour, bravant la consigne. Il était devenu commandant : brillant tacticien, stratège émérite, chef adulé de ses hommes, vainqueur de trois batailles. C’est grâce à des hommes comme lui que nous gagnâmes cette guerre.

J’avais donc dix-huit ans à la fin de cette guerre. Lors des festivités qui célébrèrent le retour de la paix, je retrouvais Lem et Clodidiel au cours d’un bal. Je dansais avec elle. Elle m’entraîna dans un tourbillon magique ou je ne voyais plus qu’elle et moi au monde… Mon bonheur était à son comble.

Mais ce soir même, Lem s’approcha de moi, avec un sourire ravi :

-Tony, annonça-t-il, je vais me fiancer bientôt !

Surpris, je lui lançai :

-Bravo ! Avec qui donc ?

-Clodidiel, la Dame de CarlRoth ! Nous avons gardé contact par la suite, nous nous envoyons des lettres, même en pleine guerre.

Il ne pouvait pas voir, le malheureux, l’abîme qui s’ouvrait en moi. J’avais presque le sourire aux lèvres, le sourire des gens perdus, sourire de vertige, de ceux qui retardent le moment où ils croiront ce qu’on vient de dire, le sourire des hommes devant leur maison qui s’effondre, ou des elfes devant une forêt en flammes

-Nous voulions t’inviter à la cérémonie comme témoin.

Dans mes yeux, les dernières poussières retombaient sur la maison effondrée. Cela dura un moment, puis, sans un mot, je partis sans me retourner, me mordant les lèvres pour ne pas hurler.

-Antoine ? Est-ce que ça va ? demandait Lem, qui me rattrapa au détour d’un chemin. Tu es tout pâle…

-Lâche-moi !, criais-je avec violence, comme il me prenait par les épaules.

-Non ! Qu’as-tu ?

-Lâche-moi, Lem !

Et je me débattais. Puis, devant son air attristé, j’ajoutai :

-Je t’en prie.

-Tu l’aimais aussi, c’est cela, dit-il, avec un air compatissant. Je suis désolé de ne pas l’avoir deviné.

Il me relâcha. Un moment plus tard, j’étais dans l’auberge de la ville. Je m’installais au comptoir, pris la bouteille et l’avait vidée presque en entier, lorsque une voix me fit sursauter :

-Antoine !

-Clodidiel ? Que fais-tu là ?

Ma voix était basse et rauque, le souffle me manquait.

-Lem m’as dit que tu t’étais bizarrement conduit, et…

-Me suis conduit comme un idiot, oui. Je n’ai pas voulu faire ça, mais c’était plus fort que moi. Que t’as dit Lem ?

-Que tu allais mal et que je devrais aller te voir. Je t’ai cherché partout.

-Il ne t’a pas dit, alors, pourquoi j’allais mal ? Il veut que je le dise, moi ? Je ne veux pas ! Il est mon ami et je ne peux pas faire ce que je veux… Je ne peux rien dire, laisse-moi, et oublie. Demain, rien n’aura eu lieu. Félicitations pour vos futures fiançailles. Je viendrais, bien sûr.

-Antoine ! Qu’y a-t-il ? Qu’as-tu ? Réponds, je t’en prie, ne te ferme pas : je ne peux rein pour toi si tu ne veux rien dire

-Si, je vais me la fermer ! Tu ne peux rien pour moi, oui.

-Antoine, suis-je ton amie oui ou non ? Alors, qu’y a-t-il ?

-Je me redressais tant bien que mal, et avec un air de fierté blessée, je la regardais bien dans les yeux pour la première fois : je ne me contenais plus :

-Ce qu’il y a ? Tu le veux, Clodidiel, tu le veux, alors soit. Je t’aimais, Clodi, plus qu’une amie, plus que n’importe qui ! Plus que personne, sauf peut-être Lem, ne pourra jamais t’aimer !

-Tu es ivre, Antoine, arrêtes.

J’avoue que ce n’était guère un moment ni un lieu à faire une telle déclaration. Mais je continuais :

-Oui, et alors ? Tout ce que je dis n’est pas moins vrai ! Je t’aimais, mais le sort et l’amitié se sont ligués contre moi ! La terre m’est témoin que rien ni personne, fût-il elfe, homme ou Orzac, fût-il Roi, fût-il brigand, ne m’aurait séparé de toi, si ce n’avait été Lem, qui te rendra plus heureuse que moi.

-Antoine, arrêtes.

Elle me prit doucement par la taille et se pencha vers moi :

-Je serais toujours ton amie, et tu es un être digne d’être aimé par quelqu’un qui te rendra heureux… Moi, j’aime Lem, et je ne peux pas être cette personne. Je sais que tu comprends cela, et que c’est cela qui te rend si malheureux. Pour le moment, suis-moi, tu ne dois pas te rendre ridicule comme cela. Viens, quittons ce trou infâme et partons.

-Je te jure que plus jamais tu ne m’entendras dire ce que je viens de dire : tant que Lem sera vivant jamais il ne trouvera lui barrant le chemin, ajoutais-je très vite avant de partir à sa suite. Soyez heureux, c’est tout ce que je vous souhaite. Dis à Lem combien je suis désolé, et répètes lui cela.

De ce jour-là, je garde le souvenir toujours brûlant comme la marque d’un fer rouge sur mon âme.

Deux mois plus tard, Lem et Clodi étaient fiancés. J’étais présent. Clodi et Lem me souriaient, ravi, et j’essayais de partager leur joie. La tempête qui avait failli faire sombrer mon âme dans le désespoir s’était calmée, et Lem m’avait pardonné.

۞

Pourtant, trois mois après, le destin fit basculer ma vie dans un nouveau cauchemar. J’étais invité chez l’oncle d’Elaunihir. Lors d’une chasse à laquelle je participais, le son d’un cor m’induit en erreur et me fit perdre mon chemin. Je rencontrais à la nuit tombée, dans une gorge étroite près d’un précipice, d’autres chasseurs pour apprendre qu’on venait de retrouver Lem mort, deux flèches plantées dans la gorge alors qu’il était seul. Dans les environs, on avait relevé des traces de cheval et un arc d’Orzac brisé. Mon cœur se serra à cette atroce nouvelle. Je me penchai près du corps de mon seul véritable ami, et je fis signe qu’on me laisse.

Alors, je me mis à pleurer dans le vent, en silence, mais tout mon être hurlait contre le ciel, sans un bruit. Mes jambes perdaient leurs forces, ma main lâcha la cravache que je tenais encore à la main, qui dévala la pente. Je pensais me laisser tomber moi aussi là-dedans. Mais une pensée me vint : « Clodidiel. Comme elle va souffrir. »

Je me relevais, farouche, avec les sentiments d’une bête blessée. Les yeux me brûlaient. Je pris avec douceur le corps de mon ami, comme jadis à la guerre. J’arrivais au château, et me frayais un passage jusqu’à Clodidiel, et lui remettre le corps. Je ne me souviens plus de ce que je lui dis. Mais elle me sourit à travers ses larmes, et elle posa sa tête sur mon épaule.

Jamais funérailles plus tristes n’advinrent. Les Orzacs m’avaient tout enlevé : parents, et amis. Il ne me restait que Clodidiel, que je défendrais jusqu’à la mort s’il le fallait. Je le lui dis, un soir de cette même semaine, et elle me dit :

-Moi aussi, je serais toujours là pour toi.

Le poids du désir
À présent, plus rien n’empêchait Clodidiel de m’aimer, mais ni moi ni elle n’avions vraiment le cœur à cela. Pourtant, bien que nous nous en serions défendus, c’est exactement ce qui commença à se produire. Nous nous étions encore rapprochés l’un de l’autre. Ma compagnie lui était un réconfort, et sa présence parvenait presque à combler le vide laissé par Lem. « Je serai toujours là pour toi… » : C’était vrai, elle était là, et enfin, j’aurais presque pu être heureux, si jamais l’on est heureux sur les ruines d’un bonheur.

Un autre qui témoigna aussi des regrets pour la mort du plus brillant cadet de notre temps, ce fut Elaunihir. Présent lors de la chasse, il disait être absolument horrifié, et voulait tout mettre en œuvre pour retrouver et punir le coupable. De fait, deux jours plus tard, une battue fut organisée pour chercher quel Orzac avait pu faire cela, des barrages établis aux routes, des contrôles et des patrouilles. Une enquête démarra. Pendant ce temps, Elaunihir commençait aussi à manifester un grand intérêt pour la malheureuse presque veuve. Il la combla d’attention et de gentillesses, avec trop de passion et de flamme à mon goût. Je reprochais à Clodidiel de le laisser faire. Elle me répondit sèchement :

-En quoi cela te regarde, il est mon ami comme toi, je pense ? Ce n’est pas parce que tu as décidé que je ne verrais plus personne que je le ferais.

-Je n’ai rien décidé, protestais-je. Mais cependant…

-Rien. Ce n’est pas parce que j’ai plusieurs amis que tous ne le sont pas en vérité ! Tu es d’une jalousie et d’un égoïsme fou et ridicule…

-Clodi, je…

-Tais-toi. Tu me suis à longueur de temps, et il faudrait que je me confine à ta seule compagnie ? Non, merci ! Reviens me voir quand tu auras ouvert les yeux, pas avant. Tu sais que je t’aime et que tu vaux mieux que cela.

Elle me laissa là, estomaqué. Me reprochais-t-elle d’envahir sa vie, ou voulait-elle seulement m’affirmer qu’elle. Je serrai les poings. Néanmoins, le soir, elle avait tout oublié. Malgré tout, notre amour n’était peut-être pas impossible. Ce soir-là, la danse fut enivrante. Je passai la nuit avec elle, comme son cavalier. Malgré l’infirmité de ma jambe boiteuse, je dansais passablement bien. Mais lorsqu’elle dansa avec Elaunihir, je remarquais avec une pointe d’amertume combien les deux s’accordaient bien ensemble… Néanmoins, après cela, c’est vers moi qu’elle revint.

۞

Le lendemain, j’avais décidé de m’entraîner au tir à l’arc. Je n’y avais pas touché depuis la mort de Lem. Lorsque je comptais mes flèches, je vis qu’il en manquait un paquet de dix. J’étais certain d’avoir compté, et cela m’irrita. Mais toute ma colère me quitta quand, au détour du chemin, je rencontrais la mère de Clodidiel. Elle s’approcha de moi, avec cet air de douceur et de force à la fois que sa fille devait certainement tenir d’elle.

-Le lieutenant Antoine Touhnens ?

-Oui, c’est moi-même, Dame, répondis-je, surpris. Mais que me vaut l’honneur de votre présence ?

-Votre père et le mien avaient beaucoup d’estime l’un pour l’autre, et sont morts ensemble. Madame votre mère était une amie de ma cousine. J’ai parlé avec ma fille. Elle m’a dit que si elle devait se remarier, ce serait avec vous, et pas un autre.

Un espoir immense gonfla ma poitrine : elle m’aimait donc… Enfin. Je n’osais y croire. Le monde s’emplit alors pour moi de merveilles, et je croyais voir la joie se déverser à flots en moi comme un flot trop longtemps contenu. Mais ce fut pour l’entendre ajouter, d’un air embarrassé :

-Mais Elaunihir, que vous connaissez, a fait, lui, une demande en mariage. Sans vouloir vous offenser, sa position sociale est beaucoup plus brillante que la vôtre : quoique n’ayant pas été officier, il est maintenant très bien placé dans le monde des affaires comme à la Cour. En un mot : Lieutenant, si vous aimez vraiment ma fille, je vous demande de renoncer à l’épouser, pour son bien, et de la préparer à épouser Elaunihir.

C’était la deuxième fois dans mon existence. Cette fois, par un immense effort de volonté, je gardais mon calme.

-Dame, j’avais renoncé à l’aimer lorsque mon ami Lem, qui est mort, m’a annoncé ses proches fiançailles, et vous voudriez me faire renoncer à toutes les espérances qui s’ouvrent à moi ? Non, j’aime Clodidiel plus que rien au monde, et je donnerais ma vie pour la rendre heureuse, mais je dois réfléchir si je veux vraiment sacrifier une seconde fois tout pour elle.

-Comme il vous plaira, lieutenant, dit-elle sèchement. J’espère seulement que vous ferez le bon choix, et ne sacrifierez pas l’avenir de ma fille à votre plaisir.

Finalement, je me décidais. Dans une lettre brève je relatais dans le détail l’entretien avec sa mère. Le soir même, la réponse m’attendait chez moi : elle disait : « Ma mère se trompe sur mon bonheur. Maintenant, il doit être avec toi, et elle le saura. ». Je passais la nuit la plus calme de ma vie.

۞

Mais, le lendemain soir, deux gardes m’attendaient devant ma porte.

-Au nom du Roi, suivez-nous, mon lieutenant, me dit l’un d’eux. Je vous mets en état d’arrestation pour le meurtre prémédité de Lementhoor !

Deux heures plus tard, on me sortait de ma geôle pour me conduire au tribunal. Le jugement était quasi-achevé. Par formalité, on lut mon acte d’accusation: les flèches plantées dans le corps de Lementhoor étaient à moi. Il n’y avait pas d’Orzac, et moi seul ici avait intérêt à le tuer, parce qu’il était fiancé à l’elfe que j’aimais. Je fus condamné, sans que j’aie pu dire un mot, à passer le restant de ma vie dans les mines, forçat. En sortant, je ne pus éviter le regard écrasant de mépris que me lança Clodidiel : ce fut comme une lame d’acier trempé dans mon âme, qui brisa tout, dix fois pire que les fouets qui me déchirèrent toutes les années passées à peiner dans les mines.

۞

Dans les premiers mois révolté, j’avais ployé l’échine moi aussi, à la longue. Au bout de quatre ans survint la seule chose mémorable de toute ma captivité. Les mineurs parlaient des crimes qui les avaient conduits là, parfois avec regret, d’autre fois avec complaisance. L’un d’eux se plaignait d’avoir été jeté aux fers par le seigneur qui devait payer ses services. Il racontait que, tueur à gages, il avait été embauché pour abattre un chasseur un an auparavant, et qu’on lui avait remis le jour même un paquet de flèches, lui recommandant d’en prendre trois et de brûler les autres. Deux flèches lui avaient suffi pour abattre son homme, ou plutôt son elfe, comme il le disait en riant. Mais, lorsqu’il était venu réclamer son dû, avec comme preuve un contrat signé, qu’il avait encore, il avait été jeté en prison par Elaunihir… À cet instant je compris tout le plan inique de cet homme. Je n’eus plus qu’une idée en tête : m’évader, prouver mon innocence. Ah mais ! Tout cela allait finir ! Je n'avais qu'un mot à dire pour renverser cet échafaudage d'infamies et se venger en une fois de toutes les tortures subies. Bientôt, il connaîtrait le bagne, lui aussi...

۞

Je passais un an à m’y préparer. Je réussis à obtenir le fameux contrat, en loques, mais toujours lisible et valable.

Enfin, je repris la liberté qu’on m’avait arrachée. Je me battis une fois encore pour trouver où Clodidiel était, puis pour la rejoindre. Je fis l’impossible. J’arrivais à CarlRoth à la nuit noire. La guerre avait repris, et la région était peu sûre.

J’approchai de la demeure de Clodidiel. Soudain, un cri d’alarme retentit. C’était le gardien de la demeure :

-Des archers Orzacs attaquent le maître !

Effectivement, Elaunihir revenait à cheval vers son foyer, porteur d’une forte somme, lorsque son escorte fut décimée, et il n’avait dû jusque-là qu’à la rapidité de sa monture son salut. Mais la bête était blessée, et il perdait de l’avance. Jamais il n’arriverait vivant chez lui.

Je la vis alors, ombre par la fenêtre, suivie de deux enfants « Elaunihir ! » gémissait elle d'une voix que l'angoisse faisait tremblante. Là, alors que je m’apprêtais un instant auparavant à venir punir le criminel, je compris l'inanité et la fatuité de mon espoir : cinq années durant, Elaunihir était parvenu à se faire aimer d’elle et avait une seconde fois détruit le bonheur du misérable qu’il avait envoyé croupir dans les mines. Et elle m’avait oublié, blessure d’amour ou de haine, souvenir effacé. Mais le Destin m’avait mené à elle. Je pouvais me réhabiliter. Je pouvais laisser les Orzacs détruire celui qui avait tué mon ami et m’avait détruit.

Et après ? Ce mot, je l’entendis, comme si un ironique contradicteur l'eût prononcé à mon oreille. Oui vraiment, et après ? M’en aimerait-elle davantage, et n'en aurait-elle pas moins aimé cet homme qui tremblait en ce moment de la plus abjecte terreur ? Car elle l'aimait, elle l'aimait de tout son être, la misérable femme. Sa voix, quand elle avait appelé, avait crié son amour. Elle l'exprimait encore maintenant par son attitude, debout, étreignant ses enfants dans ses bras comme si elle eût voulu défendre l'accès du foyer contre ce péril. Dès lors, à quoi bon ? La vengeance me rendrait-elle un impossible bonheur ? Cela me sauverait-il du désespoir d'y plonger Clodidiel à son tour ? Qu'arriverait-il quand lui serait mort et déshonoré, laissant une veuve et des orphelins totalement démunis ? Cela me rendrait-il un bonheur perdu ? N'y avait-il pas mieux à faire : laisser à celle que j’adorais l'illusion de sa vie heureuse et conserver pour moi la douleur, toute la douleur, dont j’avais une si longue habitude ? À quoi ma triste destinée pourrait-elle être mieux employée ? Je n'étais plus, ne pouvais plus être jamais rien. La route était barrée et rien n'existait plus qui permette d'espérer. Quel meilleur emploi de mon être inutile que de le donner pour le salut d'un autre, pour un autre être qui déjà possédait son cœur, dont la vie serait ma vie, dont le bonheur serait le mien ?

Je jaillis de ma cachette, et, me jetais sur le cheval pour faire descendre son cavalier. Je le forçais à se coucher au sol, tandis que je lui faisais un bouclier de mon corps. Il me reconnut, et blêmit. Je lui dit, crachant mes mots :

-C’est pour elle et ses enfants que je le fais, pas pour toi, assassin.

-Je l’ai regretté, je te le jure. Lem était un elfe inoubliable. Et toi… je ne pensais pas que tu l’aimais, je ne voulais pas devoir mon bonheur à un double crime. Mais il fallait un coupable à la mort de Lem.

C’était vrai qu’il avait changé entre-temps, sans quoi elle ne l’aurait jamais aimé. Tant mieux. La volée de flèches des Orzacs me transperça, et un flot de sang me coupa la parole. Je le lâchais, pour qu’il coure se mettre à l’abri derrière les miliciens qui arrivaient.

Quand je me réveillais, percé de vingt flèches, agonisant sur un lit d’hôpital, je demandais à écrire. Avec ma vie s'en va ma peine et je serais enfin libre de cet amour impossible si puissant. Et je ne regrettes plus rien. »

Fait le 29ème du Mois des Brumes, à CarlRoth, ce jour de ma mort.
 

DeletedUser362

AMOUR IMPOSSIBLE ou REFLUX FRONTALIER



- Mais cours donc Tom ! me cria Mormegil avec une once d’angoisse qui aiguillonna ma peur d’un délicieux frisson.



Elle virevoltait entre les arbres de la forêt comme un papillon autour des fleurs. Mais en dehors de la grâce, « L’Épée-Noire » n’avait rien du petit papillon inoffensif. Alors que les éclairs des Nécromanciens se rapprochaient, elle disparut soudain. Je courais sans même prendre la peine de me retourner pour utiliser ma baguette : cela faisait longtemps que j’avais compris que mes sorts humains n’avaient guère d’effets en ce monde.



Une véritable inquiétude me transperça soudain : où était passée Mormegil ? Et que dire de ces fichus Nécromanciens qui flottaient dans les airs sans avoir à enjamber les racines : ils n’étaient pas si rapides, mais aucun obstacle ne les ralentissait et ils semblaient infatigables !



Une clairière s’étalait, juste devant moi. Je continuais à courir, priant désormais pour mon salut, n’hésitant pas à en appeler aux puissances qui régissent ce monde… Moi qui un an plus tôt n’avais que faire de la mort, je voulais soudain vivre ! Je fermai les yeux un court instant et une cascade d’évènements s’imposa à ma conscience, déferlant depuis ma mémoire. Étrange comme l’esprit peut nous jouer des tours aux moments les plus improbables !

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La lumière m’éblouissait quand je repris connaissance et des ombres indistinctes se penchaient au-dessus de moi. Je sombrai de nouveau dans l’obscurité. Il ne me reste guère de souvenir de ma convalescence mais ceux qui m’avaient secouru se relayaient dans ma chambre. Pendant mes rares instants de lucidité, une jeune femme toute de noir vêtue et d’une infinie élégance dans ses moindres mouvements veillait sur moi – ses grands yeux sombres reflétaient une sévérité que démentait pourtant un soupçon de perplexité lorsqu’ils se posaient sur mon visage. Progressivement, je repris des forces et je pus de nouveau m’exprimer. Mais il me fallut des semaines pour commencer à comprendre mes sauveurs. Ils étaient elfes, issus d’un monde que je ne connaissais pas, échoués sur une terre qui m’était toute aussi étrangère : Elvenar. Leur langue était difficile – plus d’un an après mon arrivée, je ne pouvais toujours pas prétendre la maîtriser correctement. Mormegil me reprenait sans cesse !



Je compris qu’on l’avait chargée de me surveiller : non seulement je n’étais pas elfe mais je n’étais pas même un humain issu d’Elvenar ou du monde qui l’avait précédé… Comment me faire confiance ? Je me posais moi-même bien souvent cette question tant j’avais accumulé d’erreurs dans ma courte existence. En à peine dix-huit ans, je m’étais fourvoyé avec les puissances les plus obscures – certes, encouragé en ce sens par mon géniteur… Démence et orgueil, ambition et mépris des sentiments et de la vie d’autrui… Fallait-il que je sois fou pour avoir osé rejoindre les rangs des séides de ce qui n’était finalement qu’un meurtrier effrayé de sa propre mortalité ?



Mais les elfes ignoraient tout de mon passé. L’artefact que j’avais utilisé pour fuir ma première vie ne m’avait pas seulement laissé presque mort, il m’avait expédié bien plus loin que je ne l’aurais imaginé. Peut-être mon dernier directeur se doutait-il que je l’utiliserai avant la fin ; il m’aimait bien je crois. Il aurait pu l’ensorceler de la sorte : il était tellement plus que la plupart ne le croyait… Même si je ne suis pas directement responsable de sa mort, elle aussi pèse sur mon âme indigne.



Ainsi Mormegil surveillait-elle une ombre d’un autre monde – sans se douter quel monstre se cachait derrière les apparences, monstre qu’elle avait contribué à sauver. Elle m’apprit que son nom signifiait Épée Noire, un titre qu’elle avait gagné dans les combats qui opposaient souvent son peuple pacifiques de citadins aux diverses tribus nomades particulièrement agressives errant sur Elvenar ou hantant ses régions les plus reculées. Insaisissable et mortelle Mormegil… Mais son véritable nom, elle ne me le révéla pas. Une tradition de son peuple. Je n’insistai pas sur ce point : comment la blâmer ? Moi-même, je ne pus lui révéler mon identité – qu’elle ne pouvait pourtant connaître. Par quelque perversité de mon esprit tortueux, je prétendis m’appeler… Tom. Si les elfes furent étonnés de ce patronyme sans aucune signification, ils l’acceptèrent et me permirent de séjourner parmi eux.



Un mois après mes premiers pas, je décidai de travailler à leurs côtés : bien sûr, je choisis le travail le plus dangereux, à la fabrique de marbre. Les golems n’étaient pas très attentifs : les blocs de marbre pesant des tonnes s’envolaient en tous sens… Et si la grâce des elfes leur permettait invariablement d’éviter les maladresses de leurs amis de pierre, je ne pouvais prétendre à ce genre de prouesses. Je ne l’avais pas prévu, mais je crois que c’est la première chose que Mormegil trouva vraiment intéressante en moi : ce courage supposé – de l’inconscience plutôt, et peut-être même une insidieuse volonté d’expier mes crimes en revendiquant un travail potentiellement mortel.



Pourtant, nul bloc de marbre ne vint achever ma misérable existence. Tout au contraire, je repris des forces grâce à cette activité ; et je me retrouvai bientôt avec une musculature plus impressionnante qu’à mon arrivée : il est vrai que cela n’était pas très difficile ! Je crois que cela aussi plut à Mormegil.



Elle devait me surveiller. Nous en vînmes à discuter. Elle était jeune… pour une elfe. À peine une centaine d’années… Plus que je n’en vivrai assurément ! Mais nous ne parlions pas de nos passés respectifs. Tout ce que j’appris d’elle avant notre rencontre, d’autres elfes me le confièrent – même son âge. Elle ne paraissait pas curieuse de ce que j’avais fait avant, pas même des raisons pour lesquelles je m’étais retrouvé nu, inconscient et tremblant de fièvre à quelques kilomètres de sa merveilleuse cité. Non. Comme les autres elfes, elle vivait dans le moment présent. Elle ne parlait que des évènements en cours et de l’avenir. Cela me convenait parfaitement. Je l’imitai bientôt et nous fûmes tous deux très surpris de constater nos vues communes sur tant de sujets. Je partageais son goût pour observer les fêtes sans totalement y participer, sa joie de se promener dans l’écrin éblouissant de sa cité de Tyrenval, ses éclats de rire quand nous dévalions à toute vitesse les pentes des collines entourant la ville, sa concentration lorsqu’elle m’enseignait les rudiments de la magie de son monde, son ironie face aux piètres résultats que j’obtenais ici en lançant des sorts avec ma baguette, sa patience amusée quand ma gorge récalcitrante ne parvenait pas à reproduire les sons de sa langue elfique, son mépris du danger au milieu des blocs de marbres voltigeant dans les airs, sa sagacité et son sens aigu de l’observation qui lui permettait de comprendre aussi bien les gens que les animaux de toutes sortes et jusqu’aux nombreuses créatures magiques, sa passion de la chasse et de ses longues attentes à l’affut des proies dont il faut percer les mystère de la pensée pour mieux les surprendre au moment opportun…



J’étais particulièrement impressionné lorsqu’elle m’emmenait à la caserne de Tyrenval : elle s’y entraînait régulièrement et dansait avec les lames comme nul autre. Je compris vite pourquoi elle avait été désignée pour m’escorter : elle n’aurait aucun mal, avec ou sans épée, à trancher le fil de ma vie ! Mais s’attendait-elle à ce que j’en sois émerveillé ? Elle croyait que cela mettrait entre nous une distance infranchissable car elle était là pour punir de mort toute traîtrise de ma part, non pour me servir de guide ou de garde du corps… Et pourtant, quelle différence ?



Nous nous rapprochions sans cesse. Pas un matin au moment de se saluer, pas un repas, pas une promenade, pas une chasse, pas une heure à la manufacture, pas un regard… pas un moment sans cette complicité qui ne cessait de grandir entre nous…



Nous dinions tous les soirs dans la salle commune de l’Hôtel de ville de Tyrenval. Elle me raccompagnait ensuite invariablement à mes appartements situés dans ce même bâtiment, dans l’aile des invités, laquelle est constamment sous la surveillance de la garde de la cité. Après un bref sourire, un regard perçant et un hochement de tête, elle me souhaitait la bonne nuit et s’en retournait sans même attendre que j’ouvre la porte.



Les mois passèrent. Les elfes ne voient pas le temps s’écouler comme les hommes… Je le compris assez vite.



Aussi, un soir, alors que la salle commune s’était vidée, je pris le risque de devancer le destin dont je souhaitais l’avènement : j’avouai mon amour à Mormegil, comme un enfant pris en faute. Attablée face à moi, comme à l’accoutumée, elle me regarda gravement pendant plusieurs minutes. Elle ne dit rien. Je baissai la tête comprenant qu’un autre « guide » me serait bientôt affecté, regrettant déjà mon impulsion. La reverrai-je jamais ? Elle me laissa regagner seul mes appartements. C’était la première fois. Cette nuit-là, je pleurai. Cela faisait si longtemps que cela ne m’était pas arrivé… Le monstre ne devait jamais pleurer : une faiblesse mortelle. Mais je pleurai néanmoins et le monstre sembla se dissiper dans les brumes de mes larmes. Finalement, je m’endormis.



Le lendemain matin, ma toilette exécutée machinalement, je gagnai tristement la salle commune en me demandant si mon nouveau guide m’y attendrait déjà ou si je devais me rendre directement à la manufacture de marbre après le petit-déjeuner. Mormegil était assise à notre table habituelle, impassible. Elle leva ses yeux sombres alors que j’approchai. Je dois avouer que je tremblais légèrement. Nos regards se croisèrent. Je tressaillis. Une étincelle ironique traversa le regard de Mormegil. Elle me fit signe de m’asseoir en inclinant légèrement la tête. La grâce incarnée ! Je m’exécutai aussitôt.



Les jours – et les nuits – que nous passâmes depuis, je ne saurais les confier à un journal, même intime. Mais j’y trouvai tout le bonheur dont l’ambition, le mépris ou l’inhumanité privent à jamais certains… Les pauvres… Comme je les plains !



Les elfes acceptèrent cette union sans mal. Cela me surprit mais il semblait une fois de plus qu’en dépit de leur vie presque éternelle, ou peut-être de ce fait justement, ils ne s’intéressaient qu’à l’instant présent : je n’étais plus désormais un étranger à leur espèce et à leur monde, mais juste l’époux librement choisi de Mormegil. Ses parents et sa famille m’accueillirent comme l’un des leurs. Jamais je ne ressentis plus d’affection au sein des miens.



Elle m’emmena au sanctuaire d’Enar pour officialiser notre union sous le regard des Dieux d’Elvenar. Ce fut aussi simple que rapide – sans public, ni même le moindre prêtre. Mais pendant ces quelques minutes sous le masque de pierre en lévitation, je sentis la Présence d’Enar lui-même, et sa bienveillance m’emplit d’une joie indescriptible. J’appris plus tard qu’il était rarissime que le Dieu des forêts bénisse en personne les unions placées sous sa protection. Mormegil le sentit elle aussi et laissa échapper une larme qui trouva bientôt ses sœurs dans mes propres yeux : les dieux approuvaient ; et rien n’aurait pu davantage m’étonner. Eux devaient bien savoir qui j’étais avant… Avais-je tant changé ? Oui. Je me souvenais de celui que j’avais été. Mais il n’était plus depuis des mois, peut-être même des années maintenant que j’y songeais objectivement. Parfois, il suffit de cesser de se détester soi-même pour devenir celui que l’on mérite d’être.

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Je rouvris les yeux et fus de retour dans la clairière. Près d’un an avait passé depuis mon mariage mais en cet instant, tout ce bonheur ne me paraissait avoir duré qu’une seconde. Jamais je n’avais couru aussi vite. Les Nécromanciens continuaient de se rapprocher. Dans cet espace dégagé, les arbres ne les gêneraient plus pour viser : je serai une proie facile pour leurs tirs d’énergie. Il fallait continuer à courir, regagner le couvert de la forêt ! Mais Mormegil ? Elle ne pouvait être tombée sous leurs coups : je l’aurais senti ! Et puis, elle était si rapide et si agile ! Sa lame noire, enchantée, pouvait détourner les rafales des Nécromanciens : son habileté la mettait à l’abri. Sauf que… ils étaient plus d’une vingtaine. Je n’avais même pas eu le temps de les compter. Mormegil et moi étions tombés par inadvertance sur une de leurs réunions infâmes, une cérémonie aussi silencieuse qu’abominable. Insouciants, nous étions sur le sentier du retour, après une visite à une cité elfique jumelée avec Tyrenval au sein d’une confrérie comme il y en a tant sur Elvenar. Nos villes se soutenant fréquemment l’une l’autre, c’était notre tour d’assurer cette entraide. Mais nous n’étions pas assez sur nos gardes ; la région était supposée pacifiée… Une supposition qui allait peut-être s’avérer fatale…



Non ! Impossible ! Il n’en était pas question. Nous allions survivre. Il fallait courir et regagner la protection des charmes de la cité elfique de Tyrenval : ce n’était plus si loin. Nous aurions dû opter pour un voyage aéroporté : mais Mormegil supportait mal les secousses infligées par le vol des dragons, et la cité alliée était relativement voisine de Tyrenval… Absurde ! Nous ne pouvions finir sous les rafales verdâtres de Nécromanciens maléfiques. Je pensais en avoir fini avec de telles horreurs en arrivant à Elvenar !



Les tirs d’énergie reprirent juste avant que je plonge de nouveau sous le couvert des bois. Par chance, aucun ne m’atteignit directement. Pourtant, une grosse branche brisée net me tomba dessus et je m’écroulai sous son poids. Je parvins à la repousser. Après un rapide inventaire de mes blessures, je pus me relever malgré mes côtes douloureuses et mon bras gauche, probablement cassé. Il fallait courir. Mais surtout, il fallait retrouver Mormegil. Je criai son nom tout en me ruant sur le sentier boisé qui devait me ramener à Tyrenval. Seul le souffle du vent me répondit, et les craquements des tirs ennemis.



À leur tour, les Nécromanciens devaient maintenant avoir atteint la limite de la clairière : ils s’enfonçaient sur mes talons, sous le vitrail vert de la cathédrale forestière. Les rafales allaient reprendre sous peu. Ralenti par la douleur, je ne tarderai pas à être rattrapé. Finalement, ce n’était peut-être pas plus mal : en attirant ces sorciers sur ma piste, je laissai à Mormegil la possibilité de rejoindre Tyrenval en toute sécurité. Ma mort aurait un sens : cela me donnait presque un sentiment de plénitude. Presque.



Les rafales reprirent autour de moi. Les Nécromanciens étaient à moins de cent mètres. C’était bientôt fini. Une sorte de soulagement m’envahit alors et je me retournai calmement. Je sortis sereinement ma baguette – que je conservais toujours sur moi malgré son manque d’efficacité sur Elvenar. Je me mis en garde. Un sursaut d’orgueil me saisit et je me surpris à espérer partir avec un minimum de panache – peut-être aurais-je même la chance d’emporter avec moi quelques-uns de mes poursuivants que je voyais maintenant nettement et qui glissaient silencieusement entre les arbres, à quelques dizaines de mètres à peine.



Voyant leur proie désormais immobile, les Nécromanciens cessèrent leurs tirs et prirent le temps de se rapprocher de ma position, adoptant une formation alignée me faisant face. Fort bien. Moi aussi, je pouvais attendre. Cela me donnerait plus d’opportunité d’en faire tomber quelques-uns, surtout s’ils pensaient que le petit morceau de bois dans ma main n’avait aucun pouvoir. Malheureusement, ils ne se trompaient guère dans ce cas… Machinalement, je les comptai pendant qu’ils approchaient. Vingt-quatre. Cela serait rapide.



Au moment où les Nécromanciens levaient leurs bâtons de mort, un cri s’éleva de la droite de leur formation. « Orindil ! » Et une tempête de lames s'abattit sur le premier de la ligne, enchaîna avec le deuxième puis le troisième et le quatrième avant même que les survivants s’avisent de se tourner vers la source furieuse de cette tornade mortelle. Mormegil s’enfonçait dans la ligne ennemie avec une détermination et une efficacité remarquables. Je me permis un sourire songeur : je m’étais comporté en parfait petit appât pour lui servir les Nécromanciens sur un plateau. « Voilà ma chérie, c’est servi ! »



Je décidai qu’il fallait quand même que je participe à l’action : je lançai à mon tour quelques sorts. Les plus puissants dont j’étais capable sur ce monde ne pourraient probablement pas faire grand-chose à ces Nécromanciens, mais cela détournerait peut-être leur attention. Cela fonctionna quelques instants : les sorciers maléfiques hésitèrent entre les tirs impressionnants et rougeoyants issus de ma baguette et la tempête de lames noires qui les fauchait un par un. Après quelques tirs au but, ils s’avisèrent que ma magie ne pouvait que les étourdir et ils me dédaignèrent pour se focaliser sur Mormegil.



Cette hésitation avait suffi à ma belle guerrière elfique pour se débarrasser de la moitié des Nécromanciens qui demeuraient debout après sa première attaque. Redoutable. Au corps à corps, elle n’avait pas d’équivalent.



Sans pause, elle continua à progresser en fonçant dans la dizaine de Nécromanciens qui restaient : mais leur ligne se défit soudain et les survivants se répartirent en flottant rapidement face à Mormegil pour la noyer sous leurs rafales convergentes. Son épée noire et sa longue dague semblèrent se muer en un indistinct brouillard capable de repousser chaque tir qui lui était destiné.



Mais Mormegil ne pouvait plus progresser. Et sa défense ne pourrait éternellement contenir ses adversaires. Agiter ses lames à cette vitesse vidait mon aimée de son énergie… Je devais agir ou… la regarder mourir.



Un véritable maelstrom d’émotions m’envahit et une sensation d’immense pouvoir me traversa soudainement : ma véritable magie vibra, réveillée. Je sus avant même de lancer mon sort suivant qu’il allait fonctionner comme si j’étais de retour sur mon monde. La rafale écarlate balaya la dizaine de Nécromanciens qui s’acharnaient sur Mormegil. Les sorciers s’écroulèrent inanimés et sans un bruit. Pourtant un cri terrible résonna à mes oreilles.



Il me fallut quelques instants pour réaliser que j’en étais l’auteur ! Je criai, criai comme jamais auparavant. Et je compris vite pourquoi. La magie était de retour en moi… pour moi. Non pas celle de ce monde dont je ne pouvais utiliser qu’une infime fraction, mais la magie de mon monde, celle dont je ne connaissais que trop bien les effets. Et cela ne pouvait signifier qu’une chose !



Je cessai de crier pour me tourner vers Mormegil qui me regardait avec surprise, heureuse de notre victoire inattendue, mais perplexe en percevant ma détresse.



- Mon aimée, la magie que j’ai utilisée a rouvert un pont… commençai-je.

- Un pont ? Tom, je ne… fit-elle avant que je ne l’interrompe.

- Avec mon monde, criai-je précipitamment. Comme j’en avais vraiment besoin pour nous sauver, j’ai réussi à rouvrir un canal avec mon monde. Et ce canal va se refermer. Je le sens déjà.

- Mais qu’est-ce que cela veut dire ? s’affola Mormegil qui sentit l’urgence de la situation.

- La magie de mon monde est en train de me rappeler vers elle, expliquai-je désespérément. Je m’y oppose de toutes mes forces en ce moment-même mais je ne vais pas tenir beaucoup plus longtemps. Je suis comme écartelé entre Elvenar et la Terre, emporté par le reflux de la frontière de nos mondes.

- Mais c’est impossible, tu ne peux pas partir ! protesta Mormegil.

- Je ne le veux pas et je fais tout ce que je peux pour y résister, balbutiai-je en tremblant sous l’effort, mais je sens que les forces en jeu me dépassent. Je ne peux même pas lâcher ma baguette…



Je ne pus rajouter un mot, tout entier à l’effort mental de résister à la vague qui enflait pour me ramener vers la Terre. Mormegil se précipita vers moi, me saisit le bras droit, tenta d’arracher la baguette rétive, de la briser ; elle entonna un charme puissant… en pure perte.



Elle comprit. Elle était tellement intelligente. Elle tourna son visage vers le mien, sourit pour me montrer sa confiance et son amour. Elle m’offrit un dernier baiser, long, passionné, définitif.



- Je m’appelle Moryndël, me souffla-t-elle à l’oreille.

- Je m’appelle Draco, répondis-je en lâchant prise pour pouvoir prononcer avec amour et fermeté les derniers mots destinés à ma douce Moryndël, et je fus emporté par la magie déchaînée.



La violence du retour me fit rapidement sombrer dans les limbes du néant. Je me réveillai, le corps brisé sur une grève battue par des flots gris. Mon bras était toujours cassé ; mes côtes me faisaient affreusement souffrir ; ma peau glacée était couverte de plaies sous mes habits lacérés. Mais tout cela n’était rien. J’étais sur Terre et j’avais perdu Moryndël : mon âme était déchirée. Habités par l’urgence, nous n’avions même pas pu attendre les cinq années traditionnelles avant de nous révéler nos noms véritables…



Ma baguette fonctionnait très bien sur Terre et je pus rejoindre facilement mes semblables qui m’aidèrent. La magie me permit de me remettre rapidement. Physiquement.



Aussi tôt que possible, je rejoignis l’école où j’avais laissé le puissant artefact magique modifié grâce auquel mon voyage improbable vers Elvenar avait été possible. Mais quoi qu’ait fait mon protecteur décédé, je fus incapable de le reproduire. Je travaillais sans relâche pendant deux ans sur cette armoire de malheur, consultant les meilleurs spécialistes. Rien n’y fit. En son temps, ce fichu meuble magique avait résisté à un feu infernal, m’avait même envoyé sur un autre monde ; mais il semblait désormais définitivement inerte.



Les portes d’Elvenar sont à jamais closes. Je doute qu’Enar lui-même puisse les rouvrir… Amour impossible béni par un dieu hors de portée… Je ne peux retrouver Moryndël qu’au travers de mes souvenirs. À quoi bon cette bénédiction divine ?



À l’heure où j’écris ces lignes, les années se sont succédé et la douleur de la perte de Moryndël n’est plus qu’une cicatrice. Je me suis pardonné pour mes erreurs passées comme pour mon impuissance à retourner à Elvenar. J’ai fondé une famille. J’aime les miens tendrement. Je suis un homme heureux. La plupart du temps. Beaucoup respectent celui que je suis devenu, même si d’aucuns doutent que j’ai vraiment changé – et je les comprends sans peine. Mais ceux-là ne savent pas : ils n’ont pas connu Moryndël, son rire clair, sa lame vive, son regard sombre, ses oreilles pointues et sa peau bleue, sa patience et sa générosité, son esprit serein toujours tourné vers l’instant vécu. Puisse-t-elle ne pas avoir dérogé à la règle des elfes pour moi : aller de l’avant, toujours – se réjouir des bons moments du passé et profiter du présent pour mieux envisager l’avenir.



Cet amour désormais impossible m’a transcendé et m’a définitivement rendu meilleur. Je rends grâce à Moryndël, aux elfes d’Elvenar, à Enar le dieu des forêts de cette bénédiction ; et je pense souvent à mon amour perdu. Moryndël.



Moryndël… Pour moi, cela signifie : « à jamais ». Moryndël…







Extrait du journal de D.M., commencé trois mille cinquante-sept jours après la chute définitive de Lord V. tombé face à H.P.
 

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Eléonore et Guillaume



Le crépuscule dessinait à l’horizon ses couleurs chaudes de cette fin d’été dans le monde de Felyndral. Les teintes pastelles du ciel se noyaient langoureusement aux deux lunes majestueuses.
Eléonore posa sa tasse d’élixir sur la table de marbre de la véranda du château. Fornick, son domestique, un petit gobelin à la peau brunâtre dépoussiérait les garde-fous à ses côtés. Fornick n’était pas un gobelin stupide et braillard comme les autres. Il était même doué d’intelligence si l’on peut dire. Elle le regardait des ses yeux en amandes avec un sourire qui lui était presque toujours présent. Un sourire doux et compatissant. Sa longue chevelure blonde et lisse tombait sur une tunique nacré tissée dans la plus pur des soies.
Son père Karl, le seigneur incontesté de ce château et de dizaines de provinces alentour venait tout juste de revenir d’une réunion avec le Roi Philippe, humain de naissance et seigneur voisin… Malgré leurs différences de races et de gestion de royaume, ils avaient une trêve commune vieille de cinquante ans… Pour Karl alors âgé de 853 ans il n’était qu’une passade dans cette longue lignée de ces humains. La réunion avait pour but de rencontrer Guillaume., son fils et successeur en vue de perpétrer l’alliance entre les deux contrées pour le futur mandat de ce dernier.
Eléonore n’avait rencontrée qu’une fois Guillaume. C’était un homme de 21 ans au teint halé et un véritable guerrier. C’était au cours du dernier anniversaire de paix six mois auparavant. Ils avaient échangé quelques mots et s’étaient vite trouvé une alchimie peu commune. Évidemment ce n’était qu’un homme et on ne fait que traiter avec eux. Se sont pour la plupart des êtres imprévisibles et brutaux… Durant cette soirée de printemps dernier, pendant que leur pères respectifs trinquaient et riaient avec leurs généraux, Eléonore et Guillaume se contenter de se sourire et d’alterner politesses habituelles et questions personnelles.
En bas, dans la cour, son père descendait de son cheval et la regarda déjà avec un air soucieux qu’elle ne lui connaissait que très rarement… Elle se leva de son fauteuil et descendit les escaliers en colimaçon pour prendre des nouvelles. Elle participait activement aux fonctions diplomatiques de son père et le fait qu’il revienne avec ce visage fermé présumait une réunion mal terminée… En arrivant devant lui, elle remarqua que quelques uns de ses lieutenants étaient blessés et portés des marques de combat… L’inquiétude la gagna et il la regarda dans les yeux. Lui aussi avait cette couleur vert émeraude qui vous donne la sensation d’être percé à vif jusqu’au profond de votre âme. Chez les Elfes on a cette faculté de lire dans les pensées des gens avec qui on a des liens de parentés, d’amitié de longue durée ou d’amour inconditionnel. Elle vit… Elle vit ce qui s’était passé…

En arrivant au château du Roi Philippe, Karl et ses soldats avait passé le pont-levis comme d’habitude… Leur réunion étaient régulières et se faisaient tous les mois en général. La confiance était donc installée depuis longtemps… Cette fois, la herse s’était abattu derrière eux en embrochant au passage les deux derniers danse lames de l’escouade… Une horde des soldats du Roi Philippe leur tomba dessus . Parmi eux, des nains… Elle vit certains de ses amis d’enfance succomber pendant l‘assaut. Karl et ses hommes réussirent a échapper aux assaillants au terme d’une escalade agile et rapide derrière les remparts du château. A aucun moment on ne vit Guillaume ou son père. Impossible de savoir s’ils étaient oui ou non à l’origine de l’embuscade…

Le soir tombait maintenant à Felyndral. Philippe et son fils étaient attablés avec deux nains.
- Il était temps pour nous! déclara l’un des deux invités.
- Oui, il était temps comme vous dites… Son arrogance d’Elfe et ses demandes d’impôts toujours plus élevées commençaient sérieusement à m’agacer… Celle la, il ne l’a pas venu venir… Il faut s’attendre à des représailles…
- Ne vous en faites pas… Nous les nains, nous sommes à vos côtés maintenant…
- Vous m’avez coûté une petite fortune en or, répondit Philippe avec un sourire amer.
- C’est un bon investissement, déclara le nain dans sa barbe rousse. Il vaut mieux payer une fois une grosse somme pour se débarrasser des impôts à vie de ce dictateur d’Elfe!
- Et comment vous voyait l’avenir maintenant qu’ils vont sûrement répliquer?
- On ne va pas attendre qu’ils répliquent! On va les attaquer chez eux et le plus tôt possible. Ils sont encore sous le choc et il mettront un peu de temps à s’organiser…
- Ils ne faut pas sous-estimer les Elfes cher Nain… Vous ne les portez pas dans votre cœur mais se ne sont pas des imbéciles non plus!
- Pff, un seul de mes guerriers en vaut trois de ces fossiles!!! Il faut attaquer! Cette nuit! Mes troupes sont prêtes depuis longtemps! Et mes hommes motivés par la perspectives des tonnes de trésors qu’on trouvera dans leurs navires volants!!!
Sur ce, il continuèrent leur repas de viande de grisons et de poulardes aux cèpes… Le tout arrosé de bières bien évidemment..

Guillaume regardait et écoutait le débat de ses compagnons sans dire mot ni exprimer ses opinions… C’était sa façon à lui de juger les gens et leurs intentions… Il prit congé de la tablée et fila dans son bureau…
- Et votre fils? demanda l’un des deux nains.
- Il ne parle pas beaucoup… dit l’autre.
- Il n’a pas besoin!!! L’an dernier, je l’ai vu tuer un troll des cavernes après un combat singulier avec le monstre! On est peu à pouvoir se vanter une telle prouesse! Dit le Roi Philippe pour les rassurer.
- Et question loyauté…? S’inquiéta le nain.
- C’est mon fils! Jamais il ne me décevra! S’indigna-il.
- Je l’espère…
- C’est un valeureux guerrier et un fin stratège, il est sûrement monté préparé un plan d’attaque a nous présenter…



Chère Eléonore,

Je vous fais part de mon indignation face aux agissements de mon père vis-à-vis du votre. Je ne sais s’il convient de vous écrire encore après ce qu’il s’est passé aujourd’hui chez moi… Ni même si vos sentiments pour moi ont changés… Depuis tellement de temps nous nous écrivons et je vous connais maintenant si bien… Vous vous invitez dans mes rêves toutes les nuit… Je ne comprends pas toujours comment cela est -il possible mais je me laisse porter a chaque fois que vous le faites… Une faculté d’Elfe à laquelle je ne pourrais jamais vous répondre… Je me sens désarmé face a vous et suis prêt a continuer de l’être pour mériter l’amour que vous me portez… Je ne vous ai vu qu’une seule fois dans la triste réalité de notre monde… Pourtant toutes ces nuits dans le monde des songes passées à vos côtés me promettent un tout autre avenir pour nos peuples…
Cette nuit, mon père attaquera. J’espère que mes corbeaux seront assez rapides et que cette lettre vous parviendra a temps…
Tenez vous prêt… Se sera moi qui dirigerais les opérations… Les résidences situées a l’ouest de votre cité seront les première attaquées… Ce sont elles qui sont le plus proche de vos navires volants… Préparez vous défense a cet endroit précis… Se seront des nains qui mèneront l’assaut. De mon côté, mes troupes tenteront une attaque frontale devant votre mur d’enceinte… Un bélier d’Ivoire est prévu pour forcer votre porte. Même le sort qui la scelle ne pourra y résister longtemps… Je suis désolé, il y a de grandes chances que la bataille tourne à votre désavantage avec ces deux assauts en simultané.
Je ne peux me décider à trahir mon père ou vous trahir mon amour… Je ne sais que faire…

Votre bien-aimé, Guillaume.


- Ils vont attaqués… Cette nuit… Je connais les hommes et encore mieux ces pourritures de nains, annonça Karl à sa fille…
- Savez-vous si Guillaume et son père sont directement responsable de cette rébellion?
-Évidemment, lors de notre dernière réunion il y a un mois, j’avais lu dans ses yeux la réticence qu’il portait à payer ses tributs…
-Alors pourquoi y être retourné ce mois-ci? S’exclama-t-elle.
-Je ne pensais pas qu’il s’allierait aux Nains… Ils sont encore plus bourrus et avides d’or que les hommes… Et encore moins qu’ils auraient le courage de s’attaquer à moi directement…
- Et Guillaume… tenta-t-elle.
-Je ne suis pas idiot Eléonore… Je connais les sentiments que tu lui portes… Ce n’est qu’un homme. Valeureux et courageux certes, mais juste un homme! Pourquoi une si belle Elfe comme toi s’intéresserait-elle autant à un vulgaire humain? A un tel point de l’inviter dans le monde des songes réservé à nous et nous seuls!
-Comment savez-vous que…
-Je le sais! C’est tout! Je suis le Seigneur Karl! Je vais les écraser! Ils attaqueront cette nuit! Les nains sont encore plus impatient qu’eux! Il faut nous hâter!
-Eléonore, tu sais ce que tu as à faire. Allons ma jolie princesse, il faut trouver la force d’oublier ce vaurien…

Elle baissa les yeux face son père… Et il comprit que c’était peine perdu… Elle releva la tête et lui annonça qu’elle allait rejoindre les escouades d’archers et préparer la défense du palais. Pour sa part, il allait donner ses ordres aux golems pour protéger les navires volants des nains…
La nuit avançait et les deux lunes étaient pleines dans le ciel. Elles donnaient une clarté avantageuse pour l’armée défensive… C’était un bon présage pour le peuple Elfique. Minuit approchait et dans le château de Karl, tous s’agitaient… Le gobelin Fornick rejoignit Eléonore sur les remparts ou des centaines d’archers installaient leurs flèches et vérifiaient leurs arc… Les Elfes étaient bien organisés et tout prenait enfin une allure de cité préparée au siège à venir.
Vers 3h du matin, les éclaireurs revinrent de leur patrouille. Karl, au cœur de la cour vint les rejoindre pour se tenir au courant des nouvelles. Apparemment, les humains étaient en route et serait la dans moins d’une demi heure. Pour ce qui était des nains, ils étaient à plusieurs lieues a l’ouest… Du côté des navires volants. Karl avait vu juste. Ils allaient attaqués sur deux front simultanément. Il ne changea donc pas ses plans et laissa les golems à leur poste. Tout était fin prêt. Satisfait de ses ordres, il rassembla cinq escouades de danse lames pour renforcer l’arrière porte principale.
Lorsque les troupes humaines apparurent au loin, la premières lignes d’archers sur les remparts, bandèrent la corde de leur arc et attendait le signal du Seigneur Karl qui dirigeait les opération du haut de la portes centrale. La Horde approchait! Plusieurs centaines d’hommes couraient vers l’enceinte du château! Certains portaient des échelles, d’autres des grappins et au milieu de la marée noire, un bélier en ivoire monté sur roues avançait à vive allure. Karl eut un petit rictus… ça s’annonçait bien. Eléonore de l’autre côté des remparts motivait ses archers en leur donnant des doses de poussière magique… Ils la sniffaient goulûment et tous se sentaient plus fort que jamais. Puis, alla se poster en haut de tour Est. Elle s’accroupit contre les pierres du mur et ferma les yeux…

Mon cher Guillaume,


Nous voici arrivés à une impasse… Qu’allons-nous faire maintenant? Il semblerait qu’on soit bloqués? Devrions-nous renoncer à l’amour pour sauver nos peuples respectifs? Votre force et votre loyauté légendaire prendront-t-ils le dessus sur vos sentiments envers moi? Je vous aime tellement.
Qu’il serait bon de pouvoir échapper à toute cette barbarie et nous retrouver tous les deux loin d’ici, seuls au monde… Comme dans nos rêves… Je ne vous cache pas que je tuerais chaque hommes qui se mettra en travers de mon chemin. Je n’aurais aucune pitié pour ceux qui attaqueront mon peuple. Vous pouvez arrêter tout ça… N’attaquez pas. Vous êtes perdu d’avance… Nos défense sont bien préparer et vous mourrez tous… S’il vous plait… Faites quelque chose pour sauver nos peuples… Pour sauver notre amour…

Guillaume, monté sur un cheval noir, s’arrêta d’un coup… Ses yeux devinrent blancs… Il eut une vision… Eléonore lui parlait par l’esprit. Ils appelaient cela le jubjotage. Ils rêvaient ensemble et communiquaient ainsi depuis des mois. Elle lui montra. Par quelques flashs… Il vit ses troupes périrent au combat. Son père se prosterner devant le Seigneur Karl. Eléonore en larme le visage tailladé par une lame… Des visions d’horreur par dizaines! Et il entendit sa douce voix le supplier de ne pas attaquer…
Une main lui secoua l’épaule.
- Pourriture de sorcière!!! Ne te laisse pas avoir mon fils!
Il se réveilla, ses yeux reprirent une couleur normal et il se senti groggy comme après une cuite. Comme à chaque fois qu’il revenait.
-Elle commence bien tôt la bataille la garce!!! C’est bien une façon de se battre elfique ça!! Grogna son père lui aussi sur son cheval.
Guillaume baissa la tête en guise d’acquiescement.
- Aller! Le bélier approche de la porte! Ordonnes aux hommes de se protéger avec leur boucliers! A l’assaut!!!!!

Le Roi Philippe jaugea son fils. Attitude qu’il avait parfois en cas de doute… Mais Guillaume galopa jusqu’à l’arrière de l’arme lourde. Il leva son épée vers le ciel en criant des discours de motivation comme il savait les dire. Ses talents d’orateurs s’étaient montrés plus qu’efficaces lors des batailles précédentes.
L’attaque était imminente. On apercevait le fief des elfes au loin… Ses torches luisaient comme des feu follets dans un cimetière.. Cimetière qui serait peut être le leur à l’issue du combat…

En face, les Elfes attendaient encore pour tirer les premières flèches… Lorsque la horde d’humains arriva a portée d’arc, Karl donna l’ordre de la première slave. Des centaines de projectiles fendirent les airs en sifflant comme le feraient des feux d’artifices. Et c’est presque autant d’hommes qui s’écroulèrent lorsque ceux-ci atteignirent leur cible. Mais les pertes étaient à peine visible compte tenu de l’ampleur de l’armée de Philippe. Le régiment, d’où s’échappait des cris de guerre en tout genre se mouvait telle une vague sombre et bruyante à une allure effrayante. Lorsque la deuxième slave fut tirée, le bélier fonça sur la porte de l’enceinte qui se fendit du premier coup. Les flèches continuaient de tomber sur les porteurs et malgré leur protection en bouclier, certains tombèrent au sol. Bientôt d’autres les remplacèrent. Les roues de l’arme lourde écrasaient les corps sans vie imperturbables. Des grappins et des échelles s’abattirent sur les remparts et la bataille commença.. Les Elfes résistèrent longtemps mais peu à peu perdaient du terrain sur leur corniche. Les Hommes étaient beaucoup plus nombreux…
Eléonore en visant aperçut Guillaume dans sa ligne de mire. Elle le trouva si beau, si sûr de lui… Et a aucun moment elle songea qu’il était là pour tuer des Elfes… Elle changea de cible et continuait de tuer à tout va! Entre deux tirs, elle jetait un coup d’œil sur la position de son amour pour ne pas le perdre de vue. Elle espérait encore un revirement de sa part…
Guillaume derrière l’arme lourde reçut une flèche dans la cuisse. Il poussa un râle de douleur et l’arracha d’un coup sec… Le sang gicle sur la selle de son cheval. Alors que le bélier était sur le point de franchir la porte et que les cadavres s’accumulaient sur le sol, il comprit que la victoire était proche mais qu’il ne resterait plus beaucoup d’hommes pour la fêter… Il longea la bas du château en se protégeant grâce aux hommes qui grimpaient au-dessus de lui. Il veillait juste à ne pas s’en prendre un sur la tête… Une autre flèche atteignit cette fois la croupe de son cheval. Il rua et Guillaume faillit choir sur le sol a son tour mais parvint à rester sur la selle. Lorsqu’il eut été sûr si le cheval pouvait encore le porter, il arracha la flèche et vit qu’un mot y était roulé dans un parchemin. Il le mit dans une poche intérieur et continua son chemin pour se mettre à l’abri un peu en retrait de la bataille centrale. Au loin, il entendit un lourd fracas sourd. La porte venait de céder sous les assauts à répétition du bélier.
Eléonore courait le long du rempart, elle suivait Guillaume qui d’en bas de l’avait pas encore vu. Ils atteignirent maintenant le flanc du château qui se vidait peu à peu que tous, des deux côtés se concentraient sur la bataille à la porte. Elle vit Guillaume s’arrêter, descendre de cheval et dérouler le parchemin qu’elle avait écrit à la va vite quelques minutes plus tôt. Puis elle prépara son arc. Sans le bander. Si il choisissait de revenir à la bataille… Mais une intime confiance en lui prit le dessus… Elle attendit de voir sa réaction…




Rejoins moi aux arbres chuchoteurs à l’extérieur du château!


Bien souvent ils s’y étaient rendus tous les deux… En rêve bien évidemment Mais Guillaume savait où ils étaient… Ils y avait vécu leurs premiers pas d’idylle au tout début de leur relation secrète. Cependant il allait s’éloigner encore plus de la bataille qui faisait rage… Il replia le message et resta la, sans bouger pendant plusieurs secondes… Il inspira fort. Le cor de son armée retentit au loin… Deux fois. Les troupes de renfort étaient en route… Le combat semblait plus rude qu’il ne l’avait prévu… Les Elfes devaient usé de magie ou autres sortilèges et les hommes n’arrivaient qu’en petit nombre dans l’enceinte du château pour livrer combat au corps a corps, leur point fort. Pour ce qui est des nains, aucunes nouvelles depuis leur séparation quelques kilomètres auparavant. En espérant qu’ils ne se soient pas enfui du fait que le conflit tournait plus ou moins au vinaigre… Il fallait qu’il y aille leur prêter main forte et soutenir son père qui menait les troupes de renfort. Mais les arbres chuchoteurs, son amour qui l’y attendait déjà sûrement… C’était un endroit si paisible, si beau, plein de lumières et de doux bruissements. Il hésita un moment encore… Le cor répéta ses attentes au loin… Finalement, il remonta cheval, regarda le brasier qui se levait haut dans le ciel sur les rempart au-dessus de la porte… Puis, ses talons claquèrent les flancs du cheval et il galopa vers les arbres chuchoteurs en laissant ses frères derrière lui…
Eléonore cria dans sa direction dans son perchoir. Mais il ne l’entendit et continua sa route sans se retourner. Elle s’accroupit et tenta de se mettre en jubjotage avec lui. Elle ferma les yeux et se concentra. Mais les cris des hommes se faisaient de plus en plus proche dans la cour du château. Peu à peu ils gagnaient du terrain…

Attends. Attends-moi! Tu m’entends! Attends-moi là-bas!



Alors qu’elle était accroupit les paumes sur le front, elle capta enfin l’esprit de Guillaume. Mais elle sentit des mains empoigner ses cheveux et la relever violemment. On l’arracha à sa communication télépathique. Elle vit un visage barbu orné d’une longue balafre qui le cisaillait de la tempe au menton. Du sang coulait encore sur sa cote de maille. Un autre qui lui enlaça la taille. Derrière elle. Le premier lui envoya un coup de poing dans le ventre et elle se plia en deux sous la douleur. Il la releva par les cheveux et s’apprête a réitérer son geste.
- En voici un beau butin!!! Brailla-t-il.
- C’est la fille de Karl!!! Lui répondit l’autre derrière elle.
- Et bien, c’est bien notre veine ça!!!
- On va baiser une princesse aujourd’hui!!!
Ils la traînèrent par les cheveux alors qu’elle se débattait. Elle parvint à glisser ses longs doigts dans sa botte et à en sortir un dague serti de gemmes. Comme elle pu, elle la planta de toutes ses forces dans la fesse d’un de ses assaillants. Il poussa un cri de douleur et la gifla violemment en retour. Elle senti son nez claquer et du sang atterrit en masse sur son épaule. Ils réussirent à l’emmener dans une petite pièce qui servait à l’entretien des armes. Puis, il tentèrent de se débarrasser de ses vêtements pour assouvir leurs envies. C’est à ce moment que Fornick, le petit gobelin jaillit de la porte entrebâillée et planta ses longues griffes dans la gorge du premier. Il s’agrippa aux flancs de l’homme avec ses pieds. Il resserra encore son étreinte ses doigts étaient maintenant enfoncés jusqu’à ses deuxième phalange dans le cou… L’homme s’écroula avant même que le second ne puisse lui venir en aide. Fornick tomba sous le poids et resta coincé dessous. Le deuxième homme releva son pantalon à la hâte et Eléonore se redressa sur son séant. Elle se rua sur lui et lui envoya un coup de coude dans les parties a demi découvertes. Puis un coup de poing au visage et l’homme trébucha dans son propre pantalon avant de s’empaler sur la manivelle de l’aiguiseuse à flèche… Paniquée et tremblante, elle poussa le corps de l’humain pour libérer son ami le gobelin.
- Merci Fornick! Merci mille fois!
- C’est normal madame… C’est normal…
Il s’épousseta et se releva, s’essuya les mains plein de sang et donna un coup de pied dans le cadavre à ses pieds. Il regarda sa maîtresse d’un air triste, les oreilles tombantes comme un chien le ferait.
- Je sais que vous nous abandonner… Je vous entendu plusieurs fois dans votre sommeil…
- Tu en a parlé a quelque un s’inquièta-t-elle.
- Non, j’ai gardé ça pour moi…
- Bien …
- Il faut que vous le rejoignez… Un amour comme ça vous n’en trouverais pas deux dans votre vie aussi longue soit-elle…
Elle lui sourit et l’embrassa.
-Je dirais à votre père la vérité lorsque le combat aura prit fin… Mais j’attendrais que vous partiez…
- Je ne pourrais plus jamais revenir si je m’en vais… Pas avec Guillaume en tous cas…
Le petit être lâcha une larme et s’enfuit par la porte , la laissant la, seule avec les deux corps gisant sur le parquet.


Les arbres chuchoteurs. Un endroit magnifique et majestueux. Fruits de la plus haute distinction des Elfes. C’est là que Guillaume attendait sa bien-aimée… De petits insectes semblaient discuter dans les buissons et des oiseaux aux couleurs exotiques piaillaient dans les cimes… L’aube se levait. Mais toujours pas de trace d’Eléonore… Il commençait à s’inquiéter, sur le chemin du retour, il avait bien senti qu’elle essaya de rentrer en contact avec lui mais il n’avait rien vu…
Il entendit un bruit à l’entrée des arbres qui formaient comme une serre animal et végétale autour de lui… Il aperçut une silhouette. Svelte avec des cheveux qui tombait sur les épaules… Un sourire s’afficha sur son visage. L’Elfe s’approcha encore.
- Et bien petit homme, tu croyais peut-être m’échapper? T’échapper avec ma fille qui plus est…
Karl avançait, une épée dans la main, le visage souriant. Il avançait confiant de sa supériorité face a Guillaume… Ce dernier resta sans voix, médusé… Il dégaina son épée à son tour.
- Où est Eléonore?
- La ou elle doit être. Au combat, à défendre notre cité face à des vermines comme toi!
Il avançait encore, leva sa lame devant lui comme pour la montrer fièrement à son adversaire. C’est Guillaume qui attaqua le premier. La première parade Karl semblait si rapide, si facile… Il tomba à terre… Se releva et fit face à l’Elfe qui se tenait debout devant lui.
- Non! Père!!!! Laissez-le!
Karl se retourna. Sa fille se tenait la, à l’entrée des arbres chuchoteurs, une lame de poignard sous la gorge. Son sourire s’effaça et il baissa son arme, le visage fermé.
- Tu croyais quand même pas que je te laisserais tuer mon fils sans régir, massacrer mon peuple sans que je ne fasse rien!!!
Le Roi Philippe avança d’un pas en maintenant fermement son otage dans ses bras.
- Laisse le partir! Lança-t-il.
- J’en veux pas de ton rejeton! Et je veux encore moins le voir tourner autour de ma fille.
- Laisse le partir! S’impatienta Philippe en appuyant la lame dans la peau de la jeune Elfe.
Karl lâcha son arme, regarda sa fille puis tourna les yeux vers son agresseurs. Il resta un moment dans cette position.
-N’y pense même pas! Débarrasses-toi de ton arc aussi!
Philippe connaissait bien Karl. Il savait que très rapidement, il pouvait dégainer et lui tirer un flèche en pleine tête sans qu’il ne pu faire quoique se soit. Le Seigneur Elfe lui sourit et lui obéit…
- Tu me connais mieux que ce que je pensais… Pas si ignorant que ça le petit homme…
- Laissez nous! Supplia Eléonore.
- Laissez nous! Répéta Guillaume en se relevant difficilement.
Il se mit à côté de Karl.
- Vous savez qu’on préfère mourir ensemble plutôt que de voir l’autre se faire tuer… Père, si vous la tuez, je vous tue.
Philippe n’en croyait pas ses oreilles.
- Qu’est-ce qui te prends? Cette garce te manipule avec ses sortilèges!!!
- Non, Père, ça n’a rien à voir. Jamais je ne pourrais aimé une femme autant que je l’aime. Laissez-la partir.
- Et après? Vous vous marierez! Et vous aurez des hybrides!!! Laisse-moi rire!!! Les Elfes et les hommes ne peuvent pas s’unir! C’est contre nature!!!
- C’est bien rare de vous entendre dire des choses censées, ironisa Karl.
Eléonore empoigna la main ferme de l’homme et commença elle -même a appuyer sur la lame… Une première goutte de sang perla le long de son joli cou. Elle ferma les yeux et une larme roula le long de sa joue.
- Pitié Père, laissez-nous…
Karl ne bougea pas. Guillaume la regardait avec désarroi incapable de réagir… Il prit à son tour sa dague dans sa botte, releva sa manche et regarda son père ensuite.
- N’importe quoi, lança Karl… Bon écoutez. Je vous laisse votre fiston Philippe… Redonnez-moi ma fille avant que ces jeunes ne fassent n’importe.
- Et pour la guerre? S’inquiéta Philippe.
- On réglera ça plus tard entre nous. Pour le moment, on a un objectif commun. Sauver nos enfants de leur bêtise.
Philippe lâcha la jeune Elfe et Karl poussa Guillaume vers son père. Eléonore et Guillaume étaient enfin l’un en face de l’autre… L’un et l’autre se regardèrent, sûrs de leur amour, les yeux plein de rêves. Le regard ténébreux du jeune plongeant dans la clarté du vert émeraude de ceux d’Eléonore. Ils joignirent leurs mains et leurs lèvres vinrent s’effleurer. Leurs pères respectif assistaient à la scène mitigés entre le bonheur de leur enfant et le dégoût d’une telle vision. Le baiser semblait une éternité pour les deux spectateurs et bien trop courts pour les protagonistes… Tout semblait disparaître autour d’eux… Il n’y avait plus qu’eux au monde. Seuls au monde…
 

DeletedUser362

Iliana et Calis

Rien ne laissait présager cette rencontre... D'ailleurs, elle n'aurait même pas dû avoir lieu ! Mais le destin, ou le hasard que sais-je, décident sans rien demander... Et nous, pauvres mortels, devons faire avec.



Iliana, jeune elfe des forêts, était partie ce jour là pour faire sa toute première quête, qui, si elle réussissait, la passerait du passage de l'adolescence à l'adulte. Cette quête consistait à ramener trois crins de licorne blanche, qui seraient tressés dans sa chevelure noire, afin de bien montrer qu'elle n'était maintenant plus une enfant. Toutes les jeunes elfes ne réussissaient pas du premier coup, mais Iliana était bien décidée à mener cette quête à bien.

Elle pourrait enfin chasser, participer aux réunions de la communauté, donner son avis et surtout être libre ! Libre de voyager partout dans ce vaste monde, de voir des forêts inconnues et des vastes prairies, de boire à la naissance des sources des montagnes lointaines... Depuis enfant, elle avait soif d'aventures, comme celles que son père et son père avant lui avaient vécues.



Donc, ce jour là, elle avançait joyeusement vers les contrées des licornes, au sud de la forêt elfique. Elle avait avec elle un arc et un carquois, un couteau, deux couvertures elfiques aussi légères que des capes mais aussi chaude que de la laine, un sac avec des gâteaux elfiques (on en mange un, ça fait un repas!), une gourde, un gobelet, des herbes, du pain, des graines et des fruits séchés. De quoi tenir plusieurs jours sans chasser.

Elle s'arrêta devant un petit ruisseau à proximité d'une clairière, qui bondissait entre des rochers, afin de se désaltérer et d'y remplir sa gourde. En relevant la tête, elle avisa un buisson en face. Un grand sourire gourmand naquit sur ses lèvres et elle s'empressa de sauter par-dessus le ruisseau.

Elle était en train de se gaver de framboises quand un bruit la figea. Ce n'était pas un des innombrables bruits de la forêt, non, c'était un bruit qui ressemblait au son de la forge, quand Galain, le forgeron, tapait sur du fer.



Doucement, elle rangea sa gourde dans son sac et progressa en silence vers la provenance des bruits. Elle se hissa sur un haut rocher pour avoir une vue plongeante sur la clairière, et là elle vit trois humains en train de ferrailler. Que faisaient-ils si loin de leur royaume, voilà qui était un mystère ! Un jeune humain reculait lentement, l'épée levée, devant deux hommes sales et dépenaillés, qui s'avançaient vers lui en souriant méchamment.



Son professeur lui avait appris la langue du royaume des humains. Il l'avait emmenée plusieurs fois à l'orée de la forêt, à l'ouest, pour les étudier. Elle a appris l'histoire de ces êtres... Fût un temps ou les elfes et les humains se connaissaient et s'estimaient... Il y eut dans le passé des humains amis des elfes... Des guerres ensemble avaient été menées pour faire face à d'autres envahisseurs sans âmes... Mais c'était il y a de cela des centaines d'années... Aujourd'hui, cela avait changé... Les elfes et les humains n' avaient plus aucun rapport entre eux, à de très rares exceptions près.



Iliana pense que ce sont des êtres bizarres ! Ils ressemblent aux elfes, mais sont moins grands, ne savent pas marcher dans une forêt sans qu'on les entendent à plusieurs lieues de là, parlent fort, ont les yeux et les oreilles rondes, et surtout ils sont incompréhensibles dans leurs manières d'agir ! Toujours en train de se faire la guerre, entre eux et contre les autres... Les elfes, les nains, les gobelins... Les elfes ne font la guerre que pour se défendre ou défendre Aglarann, leur Cité, mais les humains... A croire qu'ils aiment s'entre-tuer ! Ils vivent dans des « villes » ou des « villages » ou il n'y a ni herbe, ni arbre, ni fleurs... Étranges ces humains, vraiment étranges !



Son regard se porta sur le combattant seul... Il était jeune, grand pour un humain et avait la souplesse et la légèreté d'un elfe. D'un coup d'épée, il se débarrassa de l'un de ses assaillants, mais il en restait un et il était plus que fatigué. Son adversaire lui assena un coup d'estoc qui lui rentra dans l'épaule. Il tomba par terre et roula de justesse pour éviter un deuxième coup sournois. Il arriva à se redresser pour enfin porter un coup fatal à l'autre humain et s'écroula d'un coup. Il avait, semblait-il, perdu connaissance.



Iliana attendit un petit moment mais plus rien ne bougeait dans la clairière. Une large tâche de sang s'élargissait sous l'épaule de l'humain survivant. Elle s'approcha sans aucun bruit, vérifia vivement que les deux autres étaient morts et parvint au jeune homme. Elle était sur le qui-vive et était prête à bondir dans la forêt au moindre mouvement. Mais l'humain restait là, étendu, livide, respirant faiblement.



Iliana prit dans son sac une poignée d'herbes. Elle se munit d'un caillou et commença à réduire en pulpe les herbes, qu'elle mélangea ensuite dans un peu d'eau, afin d'obtenir une pâte épaisse. Ainsi fait, elle déchira la chemise de l'humain à l'épaule, lui nettoya la plaie avec de l'eau et mis la pâte obtenue sur la blessure. L'humain gémit, elle se figea, mais il ne se réveilla pas.

La journée étant bien avancée, elle fit un feu, le recouvrit d'une couverture et entreprit d'aller ramasser des herbes afin de préparer une tisane contre la douleur si le jeune homme se réveillait.

Elle lui jetait régulièrement un regard , mais il ne bougeait pas. Sa respiration était devenue plus forte et maintenant, il dormait.



Elle s'assit près du feu, en face du blessé, mit de l'eau à chauffer sur le feu. Pendant que l'eau chauffait, elle détailla l'homme. Les cheveux blonds coupés courts, le corps musclé et bien fait, ses traits étaient détendus dans le sommeil

Elle se méfiait de lui mais elle n'avait pas peur. Quelque chose en lui lui inspirait confiance... Peut-être l'absence de rides sur son front et la présence de petites rides aux commissures des lèvres et autour des yeux... Cela indiquait que cet humain ne fronçait pas souvent les sourcils, que c'était quelqu'un de souriant et d'avenant.



Elle s'aperçut qu'elle le trouvait très beau... pour un humain.



Les elfes ne fraient plus avec les humains. Ils sont trop... belliqueux, dangereux et bagarreurs. Il y avait quelques années, un magicien humain était arrivé à Aglarann, attiré par la beauté, la paix et la magie des lieux. Il était resté quelques temps parmi eux, puis était reparti dans son royaume. Cela n'était arrivé qu'une seule fois en plusieurs centaines d'années, et c'était très bien comme ça !



Elle était plongée dans ses pensées, quand un frisson lui parcourut la nuque. Vivement, elle releva les yeux vers l'homme, et elle vit qu'il la regardait. Il avait les yeux les plus bleus qu'elle ait jamais vu, d'une douceur et d'une pureté telle qu'elle dût détourner les siens pour échapper à son regard.

Doucement, il la remercia et lui sourit. Puis il posa son regard sur la mixture qu'elle lui avait étalée sur l'épaule et bougea légèrement son bras en grimaçant de douleur.

Iliana lui tendit son gobelet rempli de la tisane qui sentait merveilleusement bon. Absolument sans peur, il lui prit des mains et bût doucement... Le goût était aussi bon que l'odeur.



- Je m'appelle Calis dit-il dans la langue du royaume. Je te remercie de ce que tu fais pour moi. Je me suis retrouvé séparé de mes amis et de mon frère pendant une chasse. Je me suis égaré pendant un moment et j'ai finis par tomber sur un groupe d'hommes qui avaient un camp dans la forêt. Malheureusement, c'étaient des bandits. Quand je suis arrivé dans leur camp, il avait l'air désert. Je suis descendu de mon cheval en pensant trouver refuge pour la nuit, et c'est là qu'ils se sont jetés sur moi... Ils m'ont ligotés. Ils en voulaient à un or que je n'ai pas mais ils n'ont rien voulu entendre. J'ai réussi à me libérer de mes liens et à m'enfuir, mais deux d'entre eux m'ont poursuivis... Et je suis arrivé dans cette clairière. Je ne pouvais plus courir, je leurs ai donc fait face et tu connais la suite... Je vois bien que tu es une elfe, et je parle, je parle mais je ne sais même pas si tu me comprends... Quel est ton nom ? Parles-tu la langue du royaume ?



Iliana ne répondit pas tout de suite. Elle sentait qu'elle pouvait lui faire confiance, mais c'était un humain ! Cependant, elle suivit son instinct, et répondit :



- Je m'appelle Iliana et oui, je parle la langue du royaume. J'ai assisté au combat, j'en ai déduit que tu ne faisais que te défendre... C'est pour ça que je t'ai sauvé. Ils voulaient te tuer et ils ont tué ton cheval me dis-tu. Toute vie est précieuse pour un elfe, ce qui n'est apparemment pas le cas pour les humains. Mais je te sens différent... Ai-je raison de croire cela ? -



Il la rassura d'un grand sourire et ses yeux se mirent à pétiller de joie.



- Je ne sais pas si je suis différent à tes yeux, mais toujours est-il que je ne te ferai aucun mal...Tu m'as sauvé d'une mort certaine ! Il eut un petit rire... Quand je vais raconter à mon frère que j'ai été secouru par une magnifique elfe aux yeux verts, il ne me croira jamais !



En souriant, elle lui tendit un gâteau elfique. - Mange, et repose-toi. On discutera demain de ce qu'il convient de faire... Le cataplasme que je t'ai fais a nettoyé ta blessure... Il faudra le refaire dans les jours qui viennent. Elle esquissa un petit sourire. Tu n'en garderas qu'une petite cicatrice, que tu pourras montrer à ton frère !



Épuisé, il ferma les yeux et s'endormit. Il rêva d'une grande elfe au long cheveux noirs, aux yeux couleur de sapin et à la silhouette parfaite et sourit dans son sommeil.

I

Iliana mangea quelques fruits secs et un gâteau elfique. Elle s'allongea près du feu et contempla les étoiles. Quelque chose l'attirait chez cet homme. Elle ne comprenais pas ce que c'était et pourquoi. Elle écouta les bruits nocturnes de la forêt, et le bruit de la respiration paisible de Calis. Elle n'avait pas peur que le reste des bandits les retrouve... De toute façon, elle les entendrait venir de loin ! Les sons portent loin la nuit et les humains n'étaient pas réputés pour leur silence !

Son esprit dériva tout doucement vers le sommeil et elle finit par s'endormir.



Le craquement sec d'une branche la réveilla à l'aube. Elle écouta et entendit des bruits de sabots. Lentement, elle tourna la tête vers l'orée de la clairière... Une biche et son faon se tenaient là, leurs oreilles bougeaient à l'écoute du moindre danger. Iliana sourit, ferma les yeux et les appela.

Elle rouvrit les yeux, tendit la main, et caressa d'une main légère le museau soyeux de la biche, qui s'était approchée. Lentement, Iliana sortit une poignée de fruits secs de son sac et en offrit aux deux animaux. Ils prirent ce qu'elle lui offraient, et rejoignirent la forêt en trois bonds.



Elle s'étira et se tourna vers Calis. Celui-ci avait les yeux ouverts, et avait observé la scène avec grand intérêt, sans faire le moindre bruit afin de ne pas effrayer ces animaux craintifs. Il sourit à Iliana, bougea un peu le bras et son sourire s'élargit, car il ne ressentait quasiment plus de douleur. Il se demanda quelles pouvaient bien être ces herbes qui soulageait une blessure qui aurait dû le faire souffrir mille morts.



Iliana se leva souplement. Il détailla son corps parfait sans se cacher. Elle était belle ! D'une beauté sauvage et indomptable. Des cheveux noirs comme la nuit, des yeux verts sombres, des membres déliés, une taille et des jambes fines... Elle bougeait comme une panthère et avait une grâce innée. Il ne comprenais pas ce qu'il ressentait en la regardant... Du désir ? Oui bien sûr ! Seul un fou sans raison n'éprouverait pas de désir pour cette elfe ! Mais il y avait autre chose, une chose qu'il ne connaissait pas... Il secoua la tête pour s'éclaircir les idées et tenta de se lever. Il dû s'y reprendre à deux fois mais il finit par y arriver.



Iliana fût à ses côtés très vite, et il pût s'appuyer sur elle pour aller vers le ruisseau. Une fois là, il se mit à genoux et s'aspergea le visage, et pût se nettoyer les mains du sang des bandits. Elle en profita pour aller cueillir le reste des framboises de la veille, et lui en profita pour se soulager pendant qu'elle était occupée. Enfin, toujours appuyé sur Iliana, il retourna auprès du feu dont il ne restait que des braises, pour s'asseoir. Elle lui changea son cataplasme, lui banda l'épaule et lui redonna une tisane ainsi qu'un gâteau elfique. Il mangèrent lentement, en silence, avec des framboises en guise de dessert.



Après ce repas, ils parlèrent... Il lui dit qu'il venait de Port d'Envaux, la ville côtière à l'ouest. Iliana connaissait cette ville, c'est là qu'elle allait étudier les humains avec son professeur. Calis était le cadet du Duc d'Envaux. Il venait de revenir dans le pays, ayant été faire ses études à Tiroise, une grande cité de l'autre côté de la mer.

Il lui demanda ou était la Cité Elfique, mais elle ne voulût pas lui dire. En effet, il y avait des enchantements autour d'Aglarann pour la cacher aux yeux des hommes et aucun de ceux-ci ne connaissaient son emplacement (sauf le magicien!).

Ils décidèrent enfin qu'ils partiraient en début d'après-midi pour ramener Calis chez lui. Elle ferait une partie du chemin avec lui.

Ils parlèrent pendant encore un petit moment et Calis finit par se rendormir, la tisane faisant effet.



Iliana partit dans la forêt cueillir des champignons et des fruits des bois. Quand elle revint, Calis était réveillé, debout et marchait lentement. Elle fit cuire les champignons et fit une salade avec les fruits qu'elle avait récoltés.

Calis se sentait bien mieux et n'avait plus mal du tout à l'épaule. Ses jambes étaient encore un peu faibles, mais ça irait mieux quand il commencerait à marcher.



Il ne voulait pas quitter cet endroit. Il ne voulait pas la quitter, elle. Mais ils ne pouvaient rester indéfiniment seuls dans cette clairière, elle ne pouvait pas venir à Port d'Envaux et lui ne pouvait pas aller à Aglarann.

L'aimait-il ? Est-ce que l'amour pouvait naître aussi rapidement ? Ou n'était-ce que du désir ? Il n'avait jamais ressenti ça. Il en déduit que oui, l'amour pouvait naître d'un seul regard.. Qu'il l'aimait... follement !

Il ne lui dit rien et il partirent donc de cette petite clairière bordée par de grands chênes. Il grava l'endroit dans sa mémoire et se retourna pour entamer son retour.



Ils marchèrent toute la journée, et finirent par arriver pas loin d'un embranchement... S'il continuait vers l'ouest, il finirait par tomber sur la grand route qui le ramènerait chez lui. C'était encore assez loin, ils décidèrent de s'arrêter pour la nuit.

Ils firent un feu et mangèrent les champignons et la salade de fruits des bois.

Ils rirent en se racontant des anecdotes mais leurs rires sonnaient faux et étaient empreint d'une certaine tristesse.



Enfin, Calis dit à Iliana qu'il était fou d'elle... Elle hocha la tête, des larmes dans les yeux... Elle aussi était tombée amoureuse du jeune homme... De son regard, de son rire, de sa voix... De tout ce qui faisait qu'il était Calis.

Il lui demanda de venir avec lui... Elle ne pût accepter. Malgré tout leur amour, ils ne pouvaient être ensemble. Ils ne pouvaient vivre ensemble. Ils ne pouvaient avoir des enfants... Des elfes étaient déjà tombés amoureux d'humains, il y avait très longtemps de cela... Mais les enfants qui étaient nés de ces unions étaient tous déformés, non viables...



De plus, le père d'Iliana était le Chef de Guerre d'Aglarann... Elle était promise au Prince Valheru, fils de la Reine des Elfes. Elle ne pouvait se dérober à ce devoir. Elle finirait par aimer Valheru avec le temps, pensait-elle, mais c'était un mariage de raison et elle ne pouvait s'y soustraire.

Si elle faisait ça, c'en était terminé de la paix ! Ce serait la guerre et elle ne voulait pas être la responsable de plusieurs milliers de morts...



Calis ne pouvait accepter cet état de fait. Il lui demanda de partir avec lui, loin, par delà les mers, par delà les montagnes... Tristement, elle lui tendit une tasse de tisane et lui dit qu'elle allait y réfléchir... Elle lui donnerait sa réponse au matin.



Il se leva, et la prit dans ses bras. Elle s'y blottit et respira son odeur. Ils s'allongèrent enlacés près du feu, et doucement, Calis s'endormit.



Iliana le veilla toute la nuit, écoutant les doux bruits de la forêt, et un étrange regret naquit dans son cœur... Le regret de ne pas être humaine et de ne plus pouvoir entendre le rire et la voix de cet homme dès demain.

Elle était un elfe, il était un homme. Jamais ils ne pourraient se revoir. Jamais ils ne pourraient danser ensemble autour du feu de la première nuit d'été, jamais ils ne pourraient monter dans les hauts arbres or et argent d'Aglarann, jamais ils ne pourraient se marier sous l'Arbre Roi...

Elle mémorisa les traits de Calis pour pouvoir s'en souvenir à vie.



Quand l'aube pointa, elle rassembla ses affaires sans faire de bruits, et se cacha dans un arbre pas loin de l'endroit ou Calis dormait, afin de pouvoir le surveiller jusqu'à son réveil.



Le chant des oiseaux réveilla Calis. En ouvrant les yeux, il constata qu'Iliana était partie. Le feu était mourant, elle devait être partie depuis un petit moment déjà. Il reçut comme un coup de poignard au cœur, et ses yeux s'embuèrent. Il ne lui avait fallu qu'un instant pour tomber fou amoureux de cette elfe. Dès le premier regard, il a su qu'il ne l'oublierait jamais et qu'il la rechercherait durant sa vie entière.



Il se leva, enleva son cataplasme... Une fine cicatrice était le seul témoin de cette rencontre improbable. Il leva son regard vers la cime des arbres, et cria :



- Je te chercherai Iliana ! Je te chercherai, je te retrouverai et je t'aimerai à jamais ! - Puis, désespéré et le cœur lourd, il prit le chemin qui le ramènerait auprès de son frère qui devait le chercher à plusieurs lieues d'ici.



Là-haut, dans l'arbre, Iliana sentit des larmes couler le long de ses joues. Oh qu'elle l'aimait elle aussi ! Elle n'aurait jamais dû le rencontrer, jamais. Elle resta sur la branche, sanglotant doucement. Une larme tomba jusqu'au bas de l'arbre et une fleur naquit. Une fleur blanche avec le cœur d'un bleu pur.



Elle resta là un moment, puis enfin descendit du grand chêne et partit vers le sud et les licornes, sans se retourner.



Il existe une légende parmi les humains.

La légende raconte qu'un jeune noble nommé Calis chercha tout au long de sa longue vie celle qu'il aimait sans jamais la retrouver. Son corps fût retrouvé pas loin de la Forêt Interdite, à côté d'un petit ruisseau, au pied d'un grand chêne à l'orée d'une clairière. Posée sur son cœur, il y avait une fleur. Une magnifique fleur blanche avec le cœur d'un bleu pur.



La légende dit encore qu'il a enfin retrouvé celle qu'il aimait dans l'autre monde... Mais ceci est une légende... C'est long, une vie d'elfe...



Quant à Iliana, ceci est une autre histoire... Peut-être vous la conterai-je une autre fois.
 

DeletedUser362

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DeletedUser1843

Rhooooooo j'ai failli ne pas voter tellement les textes sont tous magnifiques.... mais voilà, si tout le monde fais ça on ne va pas avancer... j'ai donc choisi, non sans mal. :)

Un grand bravo à tout les participants. :) Que de talents! :)
 
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