[Nouvelle] Domination

  • Auteur de la discussion DeletedUser5997
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DeletedUser5997

Bonjour à vous,
Ceci est la deuxième nouvelle que je publie ici. Elle est le résultat d'un atelier d'écriture dont le thème était "un monstre".
J'ai fait un choix très particulier sur ce texte-ci : l'emploi du "je", ma première expérience d'ailleurs.
J'ai du aussi faire des recherches assez poussées sur le contexte historique que vous allez découvrir.
Encore une fois, c'est versé dans l'horrifique.

Londres, septembre 1888.

J’ouvre difficilement les yeux. Ma tête est prête à exploser. Ai-je bu à ce point pour m’être mis dans un tel état ? Je ne me souviens plus. Où suis-je ? Quel est cet endroit ? Mes muscles, ils sont si douloureux. J’étais à cette soirée. C’était agréable d’ailleurs. Je me souviens d’un visage de femme. Je n’arrive pas à me rappeler plus.
Je me redresse sur le lit, mais mes forces s’amenuisent. Je me laisse retomber. La pièce où je suis, baigne dans une semi-pénombre. Je tente de rassembler mes souvenirs. Quelle bonne ou mauvaise fortune m’a fait me retrouver ici ? Je sens le satin sur ma peau. Je réalise enfin que je suis nu. Je tourne la tête afin de découvrir mon environnement, et là, à quelques distances, j’aperçois mes habits pliés sur un fauteuil.
Une porte grince. Une femme d’une trentaine d’années entre. Elle sourit.
« Le bel endormi reprend enfin conscience ? » dit-elle sans préambules.
Désarçonné par l’irruption inattendue, je ne sais que bredouiller en guise de réponse. Je tire, au mieux, le tissu qui me dissimule. La femme semble s’en amuser et persiste à me détailler entièrement. Des bribes de scènes passées me reviennent. C’est cette femme qui m’a séduit, entraîné je ne sais où. Sans doute, suis-je chez elle. Ai-je passé la nuit avec elle ? Je ne m’en souviens pas. Elle va penser que je suis un gougeât.
« Je suis Heather, Maîtresse Heather pour toi. »
Interloqué par cette dernière phrase, je ne réponds rien. Je la vois m’approcher telle une panthère. Elle tend la main vers ma joue. Le contact est électrique.
« Tu es mien dorénavant, Andrew. Vois cette marque dans ton cou. Elle inaugure le début de ta nouvelle vie. »
Pourquoi suis-je incapable de répliquer à cette folle ? Elle prend ses désirs pour des réalités ? Je n’arrive pas à réfléchir avec cette migraine qui me met au supplice. Et cette lumière qui filtre, elle me vrille la tête. Mais le pire est ma gorge en feu. J’ai tellement soif. Je n’ose tâter mon cou là où elle prétend m’avoir marqué.
« Tu dois être affamé ! Viens, lève-toi ! »
À ces mots, elle se redresse, se dirige vers mes vêtements repliés.
« Rhabille-toi, nous sortons ! »
Mes pensées se bousculent. Pourquoi ne suis-je pas en mesure d’émettre le moindre son, de simplement dire non ? Au lieu de cela, j’obéis. Même ma pudeur de me montrer nu devant elle ne me retient pas. Pourquoi ?

La nuit était tombée depuis mon réveil. Je n’y avais pas prêté garde, tellement les évènements avaient mal tourné. Je ne me reconnais pas. D’habitude, je suis celui qui ordonne et certainement pas le contraire. Il me faut absolument reprendre le contrôle de moi-même. Je ne vais pas continuer à suivre cette folle. Elle a dû me droguer. Je ne vois que cette raison pour qu’elle ait ce pouvoir sur moi. D’ailleurs, cela expliquerait cet état fiévreux dont je suis la victime depuis mon réveil. Elle est là, juste à côté de moi, dans cette calèche où elle m’a fait monter. Je pourrai simplement ouvrir la porte, sauter et disparaître dans la nuit.
« Je sais ce qui se passe en toi. Sache-le, il est inutile d’essayer de lutter. Il n’y a plus de retour possible. Et puis le souhaiterais-tu ? Après tout, tu t’es offert à moi. »
De quoi parlait-elle ? Une image du passé se forme dans mon esprit.
J’étais à ce bal, dansant et virevoltant avec une charmante demoiselle, lorsqu’Heather était entrée dans la grande salle. Elle avait attiré les regards de tous à cet instant. J’entendais, à nouveau, les commentaires autour de moi, sur sa tenue d’un rouge vif qui frôlait l’indécence. Elle dégageait une telle assurance, une telle autorité que nul être dans la salle ne semblait vouloir lui disputer. C’en était irréel. Elle n’était pourtant qu’une femme. Son seul regard transperçait ceux qui le croisaient. Chacun faisait mine de s’éloigner prudemment d’elle. Lorsqu’elle porta ses yeux sur moi, mon monde s’écroula. Je cessais instantanément de danser délaissant ma partenaire. Je me sentais attiré tel un papillon fasciné par la lumière d’une lanterne. Nous avons alors commencé à tournoyer sous la mélodie. Je me souviens avoir désiré cette femme comme nulle autre auparavant, lui avoir murmuré des mots doux à l’oreille espérant la conquérir et l’avoir entendue rire de mes manœuvres. Puis, il y eut le contact de ses lèvres dans mon cou, juste à l’endroit de sa « marque ». Un tourbillon de sensualité m’avait submergé sous l’humidité de son baiser. Ma peau en frissonne encore.
« Suis-moi » ordonna-t-elle.
Plongé dans mes pensées, je ne m’étais pas rendu compte de l’arrêt du fiacre. Ma volonté perd encore la lutte. Je la suis à l’extérieur, jusqu’à une cour d’un immeuble peu reluisant. La nuit, humide, enveloppe tout. Une femme s’y abrite sous un porche. Heather se dirige vers elle, comme si elle savait qu’elle allait l’y trouver.
« Très chère Liz, tu es exactement celle qu’il nous faut.
- C’est double tarif pour un couple, ma p’tite Dame. »
La ravisseuse sourit. Comment a-t-elle fait pour être déjà derrière cette prostituée ? Je dois délirer. Sa main s’est portée à la gorge de cette Liz, la caressant, la cajolant, laquelle ne réagissait pas.
« Ta gorge est en feu n’est-ce pas, Andrew ? »
Je me tais encore. Je suis comme hypnotisé par ce cou. Et là… du sang, que de sang…
Heather lui a ouvert la carotide. Ma soif est si violente que j’avance vers elles.
« Il ne te reste que ce dernier détail pour achever ta transformation, mon cher ange.
Lorsque tu auras pris une vie et bu son sang, ton âme m’appartiendra complètement.»
Ses mots me glacent d’effroi. Quel monstre ai-je devant moi ? Que croit-elle que je sois ? Je ne suis pas comme elle. Pour la première fois, j’ai arrêté d’avancer vers elle, j’ai même fait un pas en arrière. Je dois lutter pour rompre son emprise sur moi. Je vois sa surprise. Je résiste. Je recule. Encore un pas… Elle ne bouge pas. Me laisse-t-elle partir ? Je ne dois pas laisser ma chance passer.
J’ai quitté la cour. Je me mets à courir. Je vais y arriver. Une rue, une autre… Je me retourne. Personne. J’aperçois un square. Je me dirige vers lui. La peur me donne des ailes, mais il y a cette soif. Je m’écœure moi-même. J’ai eu envie de boire le sang de cette pauvre malheureuse. Aux prises de mon émotion, je percute une femme dans le square. Je m’excuse bêtement et l’aide à se relever. Une autre prostituée.
« Celle-ci est plus à ton goût mon ange ? »
Le démon est là. Comment a-t-elle fait pour me rattraper ? Déjà, le sang coule de la jugulaire de la deuxième femme. Je m’écroule à genoux dans la terre. Ma soif me torture. Que suis-je devenu ? Mon Dieu, que m’a-t-elle fait ?
« Son goût est délicieux à souhait. Ton instinct ne t’a pas trompé Andrew, celle-ci me paraît plus succulente. »
Le monstre traîne sa victime vers moi. Devant moi, elle lui ouvre le ventre de ses mains. Mes yeux pleurent. Je ne veux pas devenir comme cette abomination. Je lutterai de toutes mes forces pour ne pas céder à cette soif qu’elle a fait naître en moi. Ses yeux sont devenus rouge carmin. Ses lèvres sont souillées du sang de la pauvre femme. Deux canines aiguisées sont apparues.
« Bois mon ange, bois ! »
Je résiste à l’impérieuse voix. Mon « non » muet me laisse immobile. La douleur est terrible. Une part de moi veut étancher ma soif. Un monstre est né. Elle l’a fait naître. Il crie. Je halète. Je sens dans ma bouche mes gencives saigner. Il se délecte du goût. De la salive rougie coule de ma bouche. Les lèvres de l’infamie s’approchent des miennes. Mon esprit se refuse à ce contact maudit. Et pour la première fois, j’entends ma voix.
« NON ! »
Elle recule choquée. Ce seul mot m’a demandé un effort surhumain. Je tombe à terre.
L’inconscience me sauve.

Depuis, mon acte héroïque qui se résume en un seul mot, Heather me laisse enfermé dans la chambre de mon réveil. Chaque jour, elle vient me voir. Et chacune de ses visites est l’occasion de nouvelles tortures, ne me laissant aucun répit. Elle ne me pardonne pas de lui avoir dit non. Elle ne cesse pas, d’ailleurs, d’y faire mention. Selon ses dires, elle est une femme-vampire vampire. Un nom bien doux pour une telle abomination. C’était lors de ce fameux bal qu’elle a fait de moi ce que je suis maintenant. Ses dents m’avaient effectivement bien marqué, diffusant dans mes veines son poison. Apparemment, mon instinct meurtrier ne s’était pas encore révélé empêchant ma mutation de se parachever. À chaque heure qui passe, je laisse des forces contre ma soif qui grandit. Mais je tiens bon. J’ai choisi la mort plutôt que de devenir ce prédateur. Je n’attends qu’une occasion de pouvoir mettre fin à mon cauchemar. Il me semble que le temps s’est arrêté, pourtant, une semaine s’est écoulée depuis mon emprisonnement. Mon humanité est mon seul rempart contre les tentations d’Heather.
La porte s’ouvre. Ma tortionnaire entre. Son visage a perdu son sourire cette fois. Ce changement m’apporte un peu d’espoir. Elle semble contrariée. Je me tais, attendant. Elle ressort sans un mot, laissant la porte ouverte. Je suis surpris. Hésitant, je franchis néanmoins le seuil. Elle est là dans le couloir. Elle se retourne et prend une autre porte, la laissant aussi ouverte. Quel est ce nouveau manège ? Un nouveau jeu dont elle veut me voir la victime ? Je n’ai pas le choix. Je la suis. Aucun mot n’est prononcé. Nous nous retrouvons dehors. Je respire cet air frais dont j’ai été privé si longtemps. Elle me regarde. Je n’ose prendre l’initiative de m’enfuir. Le souvenir de ma dernière tentative est encore trop amer dans ma bouche. Les bruits nocturnes de la ville me parviennent comme amplifiés par mon emprisonnement. Les odeurs sont quasi-insoutenables. Serait-ce un effet de mon imagination ou un autre symptôme de ma malédiction ? Mais j’ai l’impression que mes sens sont plus aiguisés. La tête me tourne. Ma soif que j’étais arrivé à nier depuis quelques heures se fait soudainement plus forte. Je serre la mâchoire. Heather me dévisage. Elle sait parfaitement mon tourment. Détournant les yeux, elle remonte la rue, me laissant là. Je pourrai profiter de l’occasion pour en finir maintenant, ayant une relative liberté de manœuvres. J’hésite. Ma raison me dicte de ne pas gâcher cette occasion, mais ma soif, impérieuse me l’interdit. La lutte fait rage. Finalement, je continue de la suivre, guettant le moindre de ses mouvements.
La nuit s’avance encore. À chaque coin de rue, elle m’attend pour être bien sûre que je ne la perde pas. Elle m’emmène dans les bas-fonds de Londres, dans le quartier de Whitechapel, ce quartier où elle avait déjà assassiné par deux fois. Je suis devenu son ombre contre toute raison. Elle s’immobilise, se retourne comme pour vérifier que je suis toujours là et pénètre finalement dans une pension. Je crains de deviner ce qui va se dérouler. Malgré tout, je ne rebrousse pas chemin et pénètre à sa suite. Je vois la porte d’une chambre entrouverte. Je sais l’épreuve que va m’imposer mon initiatrice. Je me refuse de me soumettre à ma soif. Mon âme est la dernière chose qu’il me reste. Pourtant je choisis de pousser la porte et d’entrer. Heather est là. Elle n’est pas seule. Je ferme la porte. La femme-vampire vampire enserre la gorge d’une autre prostituée. Cette dernière est plus jeune que les précédentes. Son effroi se lit sur son visage. Pauvre Mary Jane… Mes yeux s’arrondissent à cette dernière pensée. Comment est-ce que je connais son nom ? Ma malédiction grandit. Là, sur le lit, un couteau est posé. Ma main s’en saisit. C’est ma dernière chance. Je vais pouvoir en finir. Je le porte à mon cou. Un geste précis et rapide suffira. D’ici quelques minutes, je serai libéré. Un petit cri s’échappe de la catin. Je n’ai pas besoin de lever les yeux vers elle pour savoir qu’Heather lui a entaillé la chair. Je le sais par l’odeur de sang frais qui se dégage de la pièce. Un nouvel étourdissement s’empare de moi. Mes yeux se ferment. Le parfum de la mort qui s’annonce me rend fou. Ce nectar de vie qui s’écoule amplifie ma soif ainsi que mon désir de goutter ce fumet délicieux. Mon esprit lutte contre mes horribles pensées. Je dois me presser avant de ne plus pouvoir lutter. Ma main se porte à mon cou. Je fais mes adieux à ce monde. Dans ma bouche, je sens un liquide chaud, sirupeux. Ma soif se gorge de mon propre sang. Je suis victorieux. Je veux lire sur le visage du monstre sa défaite. Je rouvre les yeux.
Mais, ce que je découvre m’horrifie. Là, dans mes bras, à quelques centimètres, se tient la gourgandine. Son corps, déchiqueté par plus d’une morsure, laisse sa vie s’enfuir. Je n’ai plus soif. Je hurle…
À l’instant précis où Marie Jane rendit son dernier soupir, ce neuf novembre mille huit cent quatre vingt-huit, la chandelle d’humanité d’Andrew s’éteignit…
 

DeletedUser426

Après l'inactivité de ce sujet, je ferme et j'archive celui-ci.
N'hésitez pas à me contacter pour une possible réouverture. ;)
 
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