Thorondhor
Élève assidu
Les légendes de la Terre du milieu racontent Thorondor, du nom sindarin que donnèrent les elfes au Roi des Aigles, disparut après la fin de la guerre en Bereliand, lorsque finit le Premier Âge du monde... Mais une rumeur prétend qu'il n'a pas disparut pour autant. Il aurait été mandé par Eru Illuvatar même pour une autre mission, très loin dans le temps et l'espace, redonner vie à un jeune homme, avec qui il fusionnerait son corps et son esprit, et de l'envoyer dans une contrée étrange et encore sauvage, rempli d'une magie enfouie...
Cet être hybride vit le jour, et il fut nommé Thorondhor, l'Aigle de la Terre. Il était demeuré Roi des Aigles qui l'avaient suivi en ces terres, mais il allait solitaire. Le peuple des Aigles ne se donne de Roi que pour la guerre, ils restent libres en dehors. Aussi Thorondhor erra longtemps, sans but, dans ces contrées nouvelles. Le feu des Aigles l'habitait toujours, et les vents d'orage grondaient et hurlaient en lui. Il découvrait à la fois ces terres inconnues, et ce qui avait changé en lui.
Il avait l'apparence d'un Grand Aigle de l'âge équivalent à sa nature humaine, et de l'humanité, il avait gardé bras et mains, dissimulés sous ses ailes repliées. Il était capable de parler la langue des hommes comme celle des elfes, et de maintes races. Lorsqu'il prit de l'âge, les plumes de son dos et de ses ailes se changèrent en acier aux reflets mordorés, plus léger que le mithril.
Par des hasards fortuits, Thorondhor prit sous son égide des cités, qui s'en remirent à lui. Ses pérégrinations l'amenèrent un soir d'automne à la croisée des mondes. Là, dans cette ville dont le nom s'est oublié, il avait traîné dans les Tavernes, observateur curieux des mœurs de la contrée. Il y avait fait de curieuses rencontres, et vécu de drôles d'aventures. Ce sont celles-ci qui sont ici contées.
Vyrenzo
Depuis longtemps
Sur un clou accroché,
Ce vieux serpent
Ne siffle plus,
Ne mords plus.
Tout tristement
Remisé, il pend...
Déjà hors d'âge,
Est-il hors d'usage?
J'étends mes serres,
Saisis la lanière
Qui doucement glisse,
Vipère factice...
Je cherche celui
Qui fera l'essai
De ses effets...
Qui s'enfuit?
Demeurez, mais craignez
De tâter de trop près
La mèche de mon fouet
Qui descend, très discret,
Caresser le dos
Du dragon Vyrenzo !
Depuis longtemps
Sur un clou accroché,
Ce vieux serpent
Ne siffle plus,
Ne mords plus.
Tout tristement
Remisé, il pend...
Déjà hors d'âge,
Est-il hors d'usage?
J'étends mes serres,
Saisis la lanière
Qui doucement glisse,
Vipère factice...
Je cherche celui
Qui fera l'essai
De ses effets...
Qui s'enfuit?
Demeurez, mais craignez
De tâter de trop près
La mèche de mon fouet
Qui descend, très discret,
Caresser le dos
Du dragon Vyrenzo !
PriissL
Pas un souffle de vent.
Je m'élance en avant
Droit dans le vide,
Epuisé et avide
De faire un arrêt
A l'orée d'une forêt.
Soudain mon vol solitaire
Au-dessus des hêtres
Croise la route d'un être
A la beauté stellaire.
Pas de hâte vaine...
Mais elle va passer!
Je sors mon fouet,
Pour qu'il me l'amène.
Va, arme fidèle.
Enroule-toi,
Reviens avec elle
Auprès de moi...
Comme deux ailes,
Le fouet l'enlace.
Qu'il ne lui fasse
Pas de mal réel.
La lanière revient,
Elle la tient bien.
Alors timidement
J'offre un baiser ardent
Au plus beau Lys...
Passé le brouillard, la grisaille
Se dresse au milieu de l'eau verte
Un château aux hautes murailles
Et un donjon dont la porte entrouverte
M'invite à aller plus avant.
Trompant le guet et les vigiles,
Je passe, oiseau agile,
Comme un souffle de vent.
Comme la brise effeuille les roses
Je vole à la reine qui se tient ici
Un baiser sans qu'elle s'y oppose
Et puis je repartis…
_____________________
"Heureux qui, comme Ulysse,
A fait un beau voyage,
Puis sur le flot propice
A regagné son rivage...
Heureux qui peut s'en aller loin,
Plus haut que le sol bourbeux
Sans souci du lendemain,
L'esprit léger, aventureux
.
Mais plus heureux encore
Celui que le vent ramène
Les soirs sans lune au port
Vers sa bien-aimée reine..."
L'Aigle se blottit contre la belle Reine en murmurant ces vers, et lui rendit son baiser avec tendresse. Cette fois-ci, Ama ne rêvait pas, elle était bien éveillée, et un jeune oiseau ravi la regardait avec un respect infini, les plumes encore humides d'avoir traînées dans l'écume des vagues et la frange des nuages.
Se dresse au milieu de l'eau verte
Un château aux hautes murailles
Et un donjon dont la porte entrouverte
M'invite à aller plus avant.
Trompant le guet et les vigiles,
Je passe, oiseau agile,
Comme un souffle de vent.
Comme la brise effeuille les roses
Je vole à la reine qui se tient ici
Un baiser sans qu'elle s'y oppose
Et puis je repartis…
_____________________
"Heureux qui, comme Ulysse,
A fait un beau voyage,
Puis sur le flot propice
A regagné son rivage...
Heureux qui peut s'en aller loin,
Plus haut que le sol bourbeux
Sans souci du lendemain,
L'esprit léger, aventureux
.
Mais plus heureux encore
Celui que le vent ramène
Les soirs sans lune au port
Vers sa bien-aimée reine..."
L'Aigle se blottit contre la belle Reine en murmurant ces vers, et lui rendit son baiser avec tendresse. Cette fois-ci, Ama ne rêvait pas, elle était bien éveillée, et un jeune oiseau ravi la regardait avec un respect infini, les plumes encore humides d'avoir traînées dans l'écume des vagues et la frange des nuages.
Beauty
Un flot sombre et gris
Au fond de ses yeux vit...
Parfois elle est plus douce
Qu'un chant d'eau sur la mousse,
Parfois aussi pleine de rage,
Elle est tempête et orage.
Est-ce une Muse,
Est-ce une reine?
J'attends qu'elle s'amuse
Avec ses cadeaux qui traînent...
Pourvu qu'elle ne me refuse
A cette heure confuse
De lui déposer
Cet amical baiser
Un flot sombre et gris
Au fond de ses yeux vit...
Parfois elle est plus douce
Qu'un chant d'eau sur la mousse,
Parfois aussi pleine de rage,
Elle est tempête et orage.
Est-ce une Muse,
Est-ce une reine?
J'attends qu'elle s'amuse
Avec ses cadeaux qui traînent...
Pourvu qu'elle ne me refuse
A cette heure confuse
De lui déposer
Cet amical baiser
La pluie tombe doucement,
Et l'eau ruisselle sur son plumage.
Il court dans le vent,
Et poursuit son voyage.
La route est longue,
Le temps s'écoule.
Un moineau gris
A sa vue s'enfuit.
Mais où va-t-il donc?
Oh, pourquoi fuit-il?
Quelle son de conque
L'appelle hors de son île?
Le voici qui descend
Au ras d'un torrent
Vers l'embouchure
Du fleuve du Silure.
Dans ces méandres
Il passe, rapide
Et il s'en va prendre
Un baiser à kyhd
Et l'eau ruisselle sur son plumage.
Il court dans le vent,
Et poursuit son voyage.
La route est longue,
Le temps s'écoule.
Un moineau gris
A sa vue s'enfuit.
Mais où va-t-il donc?
Oh, pourquoi fuit-il?
Quelle son de conque
L'appelle hors de son île?
Le voici qui descend
Au ras d'un torrent
Vers l'embouchure
Du fleuve du Silure.
Dans ces méandres
Il passe, rapide
Et il s'en va prendre
Un baiser à kyhd
Il les avait regardé faire,
Lents et terribles à la fois,
Déversant leur colère
Sur l'infortunée proie.
Beauty, fatale et fascinante,
Princess au fouet qui chante ;
Weldan, calme et puissant,
Elfe Noir menaçant...
Ils déchiraient la chair,
Bourreaux aux doigts experts,
Et, magnifiques tortionnaires,
Étanchaient leur soif sanguinaire.
Mais retombée face contre terre,
Luttant pour retrouver la lumière,
Le front dans la poussière,
Gisait la téméraire.
L'Aigle était parfois sentimental,
-Défaut bien rare, mais fatal-
Et du corps inerte de Kyhd, il s'approcha,
La recueillit, inconsciente, entre ses bras.
La Sabreuse frémit au contact des plumes
Contre sa peau noyée d'une écarlate écume.
L'oiseau royal, pris de soudaine compassion,
Soigna ses plaies pour hâter la guérison.
Afin de réconforter la belle Sabreuse,
Victime de son insolence audacieuse,
Oublieux des sarcasmes anciens provoquants,
Thorondhor l'embrassa, la serrant doucement.
Lents et terribles à la fois,
Déversant leur colère
Sur l'infortunée proie.
Beauty, fatale et fascinante,
Princess au fouet qui chante ;
Weldan, calme et puissant,
Elfe Noir menaçant...
Ils déchiraient la chair,
Bourreaux aux doigts experts,
Et, magnifiques tortionnaires,
Étanchaient leur soif sanguinaire.
Mais retombée face contre terre,
Luttant pour retrouver la lumière,
Le front dans la poussière,
Gisait la téméraire.
L'Aigle était parfois sentimental,
-Défaut bien rare, mais fatal-
Et du corps inerte de Kyhd, il s'approcha,
La recueillit, inconsciente, entre ses bras.
La Sabreuse frémit au contact des plumes
Contre sa peau noyée d'une écarlate écume.
L'oiseau royal, pris de soudaine compassion,
Soigna ses plaies pour hâter la guérison.
Afin de réconforter la belle Sabreuse,
Victime de son insolence audacieuse,
Oublieux des sarcasmes anciens provoquants,
Thorondhor l'embrassa, la serrant doucement.
À Lapiinette :
Lapiinette
approche ta tête
mon fouet caresse
comme le vent
sur ta joue il laisse
comme un fin ruban
À H.rock
Quel est cette vipère,
Qui siffle et s'abat
Sur ce cher compère
Qui ne le mérite pas?
H.rock, venez là
et dites si celui-là
valait la peine d'un achat?
À Beauty
La plume acérée
Autant que son épée,
Le fouet sorti,
Le pinceau léger:
A toi Beauty
Je donne ce baiser.
Lapiinette
approche ta tête
mon fouet caresse
comme le vent
sur ta joue il laisse
comme un fin ruban
À H.rock
Quel est cette vipère,
Qui siffle et s'abat
Sur ce cher compère
Qui ne le mérite pas?
H.rock, venez là
et dites si celui-là
valait la peine d'un achat?
À Beauty
La plume acérée
Autant que son épée,
Le fouet sorti,
Le pinceau léger:
A toi Beauty
Je donne ce baiser.
L’Aigle vengeur
La taverne du fouet cinglant... Jadis, quand il était encore un très jeune aigle, il en avait été un des habitués, et avait souvent perdu des plumes sous la lanière magistrale des vieux bretteurs... Il n'avait jamais réussi à saisir tous leurs secrets, mais il avait fini par apprendre. C'était avant qu'il ne fasse ce long vol, qui l'avait mené hors du temps et des forêts d'elvenar... A présent, tous ces nouveaux habitués, qu'il aurait pu prendre pour de nouveaux venus, devaient sûrement se demander qu'est ce qu'il faisait là, voyageur tardif et solitaire. Assis dans la pénombre, il observait ces lieux familiers et ces visages inconnus avec curiosité. Des bruits, des rumeurs, des rires et des éclats de voix lui parvenaient… Une animation perpétuelle où il cherchait à retrouver sa place.
C'est alors qu'il la vit. Un frisson glacial parcourut son échine. Quelque chose éclata en lui comme un millier d'étoiles qui lui emplissaient soudain les yeux. Une voix hurla dans sa tête... Non, deux échos, qui le déchiraient comme l'éclair transperce les nuages. Rapides et meurtrières. Voix qu’il n’aurait pas dû écouter.
Je ne peux pas. Pas cette fois.
Tu n'es plus un aiglon, et tu n'as jamais été un lâche ! Qu'est-ce que tu redoutes ?
Un pauvre volatile...
Un Aigle!
C'est une Reine...
Et tu es Roi!
...
Un sourire triste se dessina sur son visage. Le Roi des Aigles prit pris sa forme humaine pour s'avancer vers le comptoir. Jamais auparavant il n'avait fait cela ici. Personne ne le reconnut. Seuls, ses yeux noirs, noirs comme un ciel d'orage, étaient toujours semblables. Il s'abattit sans un bruit sur la Reine Ama et la tira à l'écart. Il apprécia le calme olympien de l'intrépide souveraine, mais aussi la stupeur et la colère qui se lisaient dans son regard.
Ne bougez pas. Silence. Où est-t-il?
Bien sûr, il n'attendit pas la réponse. Son regard l'avait cherché alors même qu'il prononçait ces mots. Il le voyait à présent. Sa main se referma sur Glaurung. Son ancien fouet. Laissé pendu à un clou, dans ce recoin sombre. Il ne prendrait pas celui qu'il portait à présent. Il voulait une arme fidèle à sacrifier...
Il attira la Reine détrônée plus près encore. Et il lui murmura:
Peut être des explications seraient nécessaires? Mais je crois que vous comprendrez à merveille.
Il se pencha alors vers elle, et lui vola un long baiser, passionné. Puis il relâcha son étreinte, fit volte-face, et se tourna vers un jeune chevalier qui devisait au comptoir:
Trahir les reines déchues se paye très cher Sire Peritus . Je pense que vous le comprendrez assez vite.
Mais déjà il s'était transformé à nouveau. Il arracha quelques plumes de ses ailes. Elles étaient d'acier aussi acéré que des sabres. Il les fixa sur son fouet, et d'un mouvement rapide, arracha les frusques qu'il portait fit pleuvoir les coups sur l'échine du perfide chevalier. Le sang gicla, et bientôt il tomba à terre comme une pluie d'automne. Thorondhor n'attendit pas que Sire Peritus lui demande grâce. Il savait que le vieux fouet ne tiendrait plus très longtemps. Il assenna un dernier coup, d'une violence calculée, et tira brusquement. Le fouet claqua, les lanières se déchirèrent. Peritus n'avait ni hurlé grâce, ni gémi.
Dommage, pensa-t-il. Puis, en se retirant, il leur lança:
Sire Peritus, Majesté, ce fut un honneur. Au plaisir!
Bien entendu, il savait que le Sire Peritus se vengerait à son tour, mais il était curieux de voir comment
____________________________
Quand l’eau remplace le mojito…
L’eau coulait doucement. Le verre se remplissait dans un tintement cristallin. L’Aigle reposa maladroitement la carafe. Mû par une espèce d’automatisme, il se redressa, saisit le verre, et passa dans la pièce d’à côté. Son esprit était ailleurs lorsqu’il poussa d’un coup d’aile la porte grinçante.
Dans la taverne, un feu joyeux crépitait, et les flammes dansantes se reflétaient dans les yeux d’Ama, qui se tenait debout devant l’âtre. En voyant l’aigle revenir de la réserve avec son verre d’eau, Ama ne bougea pas tout de suite. Et l’Aigle ne se transforma pas non plus. En cet instant, il restait tout entier le rapace fier et farouche, le Roi gardien de la loi et de l’ordre. Il se tenait droit, un peu raide. Il tendit le verre, et la reine le prit avec une résignation forcée. Pas de mojito ce soir, Thorondhor était certain qu'elle devait déjà s'être servie pour la journée. La jeune femme était morose, peut-être davantage que le rapace.
Les récents événements qui avaient mené à sa condamnation par la cour martiale de Star Fleet Rebels semblaient l’avoir profondément contrariée. Même si son sort était moins terrible qu’elle ne le laissait accroire, la jeune reine avait été atteinte dans son désir d’être respectée, et avait reporté son courroux et son mécontentement sur tous ceux qu’elle en jugeait responsables. L’Aigle n’y échappait pas.
Thorondhor ne tenait pas vraiment rigueur à sa douce reine de son escapade dans les étoiles. A vrai dire, il pouvait comprendre ce que l’espace immense avait de fascinant. Quelques semaines plus tôt, n’avait-il pas emmené lui-même Ama voir les astres dansants au plus haut dans le ciel nocturne ? Il avait seulement rempli son devoir et ramené la Reine aux siens.
Depuis que Ama avait demandé une autorisation pour quitter le territoire rebelle, le Roi des Aigles avait été chargé de veiller sur elle, dût-il aller à l’encontre de sa volonté. Et puis, il y avait cette menace de fouet qui planait. À peine entrée dans la taverne, la Reine avait tenté de faire appel au fouet de la Sabreuse, n’osant s’en prendre en personne à son roi, mais Thorondhor n’avait pas hésité à répliquer en désignant ostensiblement le fouet pendant à sa ceinture. Ce qui ne pouvait être du goût de l’exigeante souveraine...
Les choses avaient repris leur cours, mais l’Aigle ne pouvait s’empêcher de se sentir mal à l’aise face à sa Reine, avec ce verre d’eau à la main… La main...
Bon, voilà que je me transforme à nouveau, songea-t-il.
Ce n’était pas le moment, c’était certain. Il repensa avec inquiétude que cette instabilité n’avait pas toujours été. Comment en était-il arrivé là ? L’Aigle avait fusionné avec un être qui sortait de l’enfance, avant de plonger sur Elvenar… Souvent les traits et les défauts du jeune homme avaient percé sous les plumes de l’Aigle, mais jamais ils n’avaient pris la place de ceux de l’Aigle. C’était avant son exil et son retour en Elvenar. C’était avant que lui, le fils des vents d’orage, ne fasse jouer son fouet pour une autre cause que la sienne, et ne ploie le genou devant une reine dont il ignorait tout. Par le passé, il avait toujours agi comme bon lui semblait. Libre, comme les vents qu’il habite. Maintenant, la flamme, l’étincelle de foudre qui l’animait avait changé de nature. Il avait l’impression qu’on pourrait le prendre pour… Pour un oiseau apprivoisé. Ce qu’il n’était pas. La passion l’avait-il aveuglé à ce point ? Il fallait rappeler à la Reine ce qu’il était avant tout, afin d’être fixé. Qui avait réellement conquis le cœur de la belle souveraine ? Si ce n’était qu’une partie tronquée ou édulcorée de lui-même, il ne l’accepterai pas.
Il posa le verre d’eau sur le comptoir le plus proche.
-J’ai réfléchis, lança-t-il brusquement, mais d'une voix égale. Il y aurait quelques petites choses à mettre au clair.
-Tu me fais peur, mon roi, quand tu commences comme cela.
Il ne répondis pas tout de suite. Il détacha son fouet de sa ceinture, et posa son arme redoutable sur la table. C’était son premier fouet, le plus ancien. Une seule lanière, dont le cuir usé était teintée d’un brun qui ne laissait pas de doutes : cette arme avait un long passé sanglant, et devait avoir connu maintes rixes de taverne. Moins dangereux, mais plus maniable que le nouveau, et d’une portée symbolique. Thorondhor était un fidèle jusque dans le choix de ses armes. L’implacable résolution qui se lisait sur les traits fermés de l’Aigle glaça la Reine. Elle protesta faiblement :
-Tu as promis de ne pas me fouetter… qu'est-ce que tu fais ?
Thorondhor cligna des yeux, et haussa les épaules.
-Je n’ai qu’une seule parole. Mais je n’ai pas fait de serment qui aille dans ce sens. Tout au plus ai-je déclaré l'intention de retirer mes menaces.
Et, à titre d’échauffement, il se saisit de son fouet, et envoya le serpent de cuir faire sauter une bouteille du comptoir, dans un claquement sec. Deux morceaux brisés net, quelques débris, une tache humide sur le sol, c'était tout ce qu'il restait de la flasque de mojito.
Une discussion calme
Ama regarda la bouteille explosée à terre avec un peu d’appréhension. Thorondhor était parfois instable, mais il était cette fois-ci parfaitement maître de lui. Et il la regardait avec une insistance qui finit par la mettre mal à l’aise. Ama voulut partir et tenta de gagner la porte. Une aile se tendit et lui barra le passage dans un cliquetis d’acier.
-Restez-là, ma Reine. J’ai dit qu’il y avait des choses à mettre au clair, vous ne partirez pas sans m’avoir… disons… entendu.
Autour d’eux, les habitués de la taverne commençaient à comprendre ce que leur discussion à mi-voix avait d’étrange. Leurs regards curieux se tournèrent vers l’Aigle et la Reine. Thorondhor s'amusa de leurs murmures intrigués. Mais il lui fallait penser aux choses sérieuses.
Venez, ma Reine, nous serons mieux ailleurs pour ce que nous avons à faire.
Et la Reine n’eut d’autre choix que de se laisser conduire vers l’escalier.
Après avoir descendu quelques marches, Ama balbutia :
Je ne comprends pas très bien ce que tu es en train de faire…
Thorondhor ne put empêcher son regard s'illuminer d'une étincelle de rire silencieux. Il sentait l’angoisse monter chez la souveraine, l’angoisse qui paralysait toute forme de résistance ou de colère.
Je ne vais pas vous conduire dans un cachot obscur, si c’est cela que vous redoutez.
Il fit passer Ama devant lui, et la conduisit dans les dépendances souterraines du Fouet Cinglant. Thorondhor mena la reine à une petite salle voûtée, cave mal située et désaffectée, dont les murs suintaient d’humidité. Il referma la porte derrière lui.
Dans la pénombre, les yeux d’Ama distinguèrent une table, couverte d’objets divers. Une lance de cavalier au fanion déchiré, un poignard persan à la lame courbe et damasquiné, un bouclier écartelé de pourpre et de sable, des fioles de liquide translucide...
La jeune femme commençait à comprendre où Thorondhor l’avait amenée. Une sorte de repaire où l'Aigle se retirait seul, parmi les vestige d'une vie antérieure tourmentée... Son anxiété n’en fut que plus grande. L’Aigle se plaça du côté de la porte, afin de pouvoir contrer toute tentative de fuite. Dos à la muraille humide, il commença :
Ma Reine, il est temps pour moi de vous éclaircir l’esprit sur certains détails. Écoutez-moi. Je ne puis demeurer plus longtemps silencieux là-dessus. Ama, vous avez voulu tirer vengeance de moi, mais vous n’avez pas voulu lever le fouet contre moi en personne. Vous avez tenté de me défendre de recourir à mon tour au fouet contre vous. Mais que cherchez-vous donc ? Désirez-vous un valet auquel on puisse faire payer ses insolences sans crainte ? Je ,e puis être celui-là. Je me suis placé de moi-même à votre service, ne croyez pas que cela fasse de moi un esclave. Je pensais que vous commenciez à savoir qui j’étais, mais vous essayez de me faire oublier ce que je suis. J’ai employé mon arme à votre défense, dès le premier jour où je vous ai connue. Était-ce mon zèle qui vous servait; ou ma déférence qui vous flattait, qui me valut de conquérir votre cœur ? Oh, pourquoi tenter de m’imposer des limites, auxquelles tout fils des Vents d’orage ne saurait s’astreindre ? Ama, j’ai choisi votre service, non une servitude qui me révulse. Je suis le Roi des Aigles, avant d’être votre roi.
Il vous faut sans doute des preuves… tangibles... pour vous détromper à ce sujet.
En disant ces mots, Thorondhor trancha d’un coup de serre les rubans qui fermaient la vêture de sa reine, dénudant son corps jusqu’à la taille. Son autre serre tenait son fouet, au cuir encore imprégné d’alcool. Toutefois, elle n’arrivait toujours pas à croire que Thorondhor lèverait le fouet sur elle. Le rapace pouvait lire dans ses yeux qu’elle ne croyait pas à ce geste inconsidéré. Aussi, une immense détresse envahit le regard de la jeune femme, quand le fouet vint mordre sa chair. Le choc était presque imperceptible, mais elle était comme démultipliée dans sa sensibilité. Une marque légère traversait à présent sa peau rosée. Thorondhor arma à nouveau son bras. Un coup plus fort s’abattit, arrachant un léger cri à sa victime. L’Aigle ferma les yeux. Il serra plus fort encore le manche de son fouet, et le bras d’Ama, qu’il tenait pour éviter qu’elle ne bouge. Il pouvait sentir le corps de la reine se raidir contre la douleur, au fur et à mesure que les coups descendaient sur ses frêles épaules, et que la lanière venait mordre son dos. Il entendait les plaintes venir mourir sur ses lèvres.
Pourtant, Ama ignorait que le rapace retenait ses coups. Non, l’aigle ne déchaînait pas encore la totalité de sa puissance de frappe. Il voulait rester maître des coups qu’il infligeait, maître de leur force, comme de leur direction. L’avantage du fouet à une seule lanière résidait là : il était le prolongement fidèle et précis de lui-même. Et à la fin, il n’y aurait pas de longues traînées de sang sur le sol, pas de perles pourpre ourlant les plaies laissées par le fouet... Il n'entacherait pas ses armes du sang de sa reine : c’était sa façon de répercuter les scrupules d’Ama, qui se refusait à le fouetter elle-même... Quant à ceux qui pourraient l’accuser d’indulgence voire de faiblesse coupable... Les larges ecchymoses qui boursouflaient la peau du dos royal, si lisse quelques instants plus tôt, témoignaient que ce n’était pas un défaut de volonté. Il aurait même été plus facile à l’Aigle de se laisser emporter par la rage forcenée, la frénésie destructrice que donne aux tortionnaires la vue, et surtout l'odeur du sang, que de continuer à vouloir chacun des coups qu’il portait, lentement, l’un après l’autre. Car, lorsqu’il se laissait gagner par l’attrait de la souffrance, le visage de la victime s’effaçait, et devenait indifférent, sa voix et ses cris se perdait dans des sons lointains et anonymes. En cet instant, au contraire, l’Aigle ne quittait pas des yeux le menu visage pâle et décomposé de la reine, et était attentif aux râles qui lui échappaient : il veillait à ne pas dépasser le seuil de douleur qu'il désirait atteindre, et à ne pas y parvenir trop vite. Et il goûtait l’instant où il pourrait encore faire revenir le coup, et où son esprit pouvait encore faiblir, mais où le coup partait tout de même, et où il se sentait reprendre possession de lui-même.
Lorsqu’il arrêta son fouet, la jeune femme qui se tenait face à lui avait un regard changé, et une expression de souffrance physique se lisait dans ses traits altérés. Des larmes brillaient dans ses yeux si fiers d’ordinaire. Elle grelottait de froid, et mais pas assez pour engourdir son corps perclus de douleur. Mais elle ne s’était pas effondrée, et ses mâchoires serrées avaient retenu les cris qu’il s’était attendu à la voir pousser. Même ainsi, le stoïcisme où elle se réfugiait méritait un certain respect, et un sentiment nouveau de fierté emplit l'Aigle. Thorondhor replia son fouet et le remit à sa ceinture. Sa voix était tendue; et vibrait étrangement. Il n’avait encore jamais fouetté de cette façon-là.
C’est fini. J’espère que je n’aurai pas à recommencer.
Il marqua un bref silence. Il se rapprocha d’Ama, posa un long manteau d’hoplite sur ses épaules nues, et l’entoura de ses deux ailes.
Ne restons pas là, vous allez attraper froid.
Il la serra contre sa poitrine aussi fort que le lui permettait l'état où elle se trouvait. Thorondhor plongea à nouveau son regard dans celui de la jeune femme. Son visage d’aigle commença à se dissoudre. Mais cette fois, il pouvait reprendre sa forme humaine sans qu’elle ne fasse oublier celle de l’Aigle impétueux. Du revers de la main, il essuya les larmes de sa reine, et il se pencha pour lui murmurer :
Vous êtes ma reine, non mon tyran. Laissez moi vous offrir ce que je suis, mais n’essayez plus jamais de me le ravir de force.
Et il déposa un baiser fougueux sur les lèvres transies de la reine, comme s’il avait peur de la perdre, après avoir osé porter la main sur elle. Il desserra son étreinte après quelques instants, et lui prit la main pour la mener à la sortie.
La taverne du fouet cinglant... Jadis, quand il était encore un très jeune aigle, il en avait été un des habitués, et avait souvent perdu des plumes sous la lanière magistrale des vieux bretteurs... Il n'avait jamais réussi à saisir tous leurs secrets, mais il avait fini par apprendre. C'était avant qu'il ne fasse ce long vol, qui l'avait mené hors du temps et des forêts d'elvenar... A présent, tous ces nouveaux habitués, qu'il aurait pu prendre pour de nouveaux venus, devaient sûrement se demander qu'est ce qu'il faisait là, voyageur tardif et solitaire. Assis dans la pénombre, il observait ces lieux familiers et ces visages inconnus avec curiosité. Des bruits, des rumeurs, des rires et des éclats de voix lui parvenaient… Une animation perpétuelle où il cherchait à retrouver sa place.
C'est alors qu'il la vit. Un frisson glacial parcourut son échine. Quelque chose éclata en lui comme un millier d'étoiles qui lui emplissaient soudain les yeux. Une voix hurla dans sa tête... Non, deux échos, qui le déchiraient comme l'éclair transperce les nuages. Rapides et meurtrières. Voix qu’il n’aurait pas dû écouter.
Je ne peux pas. Pas cette fois.
Tu n'es plus un aiglon, et tu n'as jamais été un lâche ! Qu'est-ce que tu redoutes ?
Un pauvre volatile...
Un Aigle!
C'est une Reine...
Et tu es Roi!
...
Un sourire triste se dessina sur son visage. Le Roi des Aigles prit pris sa forme humaine pour s'avancer vers le comptoir. Jamais auparavant il n'avait fait cela ici. Personne ne le reconnut. Seuls, ses yeux noirs, noirs comme un ciel d'orage, étaient toujours semblables. Il s'abattit sans un bruit sur la Reine Ama et la tira à l'écart. Il apprécia le calme olympien de l'intrépide souveraine, mais aussi la stupeur et la colère qui se lisaient dans son regard.
Ne bougez pas. Silence. Où est-t-il?
Bien sûr, il n'attendit pas la réponse. Son regard l'avait cherché alors même qu'il prononçait ces mots. Il le voyait à présent. Sa main se referma sur Glaurung. Son ancien fouet. Laissé pendu à un clou, dans ce recoin sombre. Il ne prendrait pas celui qu'il portait à présent. Il voulait une arme fidèle à sacrifier...
Il attira la Reine détrônée plus près encore. Et il lui murmura:
Peut être des explications seraient nécessaires? Mais je crois que vous comprendrez à merveille.
Il se pencha alors vers elle, et lui vola un long baiser, passionné. Puis il relâcha son étreinte, fit volte-face, et se tourna vers un jeune chevalier qui devisait au comptoir:
Trahir les reines déchues se paye très cher Sire Peritus . Je pense que vous le comprendrez assez vite.
Mais déjà il s'était transformé à nouveau. Il arracha quelques plumes de ses ailes. Elles étaient d'acier aussi acéré que des sabres. Il les fixa sur son fouet, et d'un mouvement rapide, arracha les frusques qu'il portait fit pleuvoir les coups sur l'échine du perfide chevalier. Le sang gicla, et bientôt il tomba à terre comme une pluie d'automne. Thorondhor n'attendit pas que Sire Peritus lui demande grâce. Il savait que le vieux fouet ne tiendrait plus très longtemps. Il assenna un dernier coup, d'une violence calculée, et tira brusquement. Le fouet claqua, les lanières se déchirèrent. Peritus n'avait ni hurlé grâce, ni gémi.
Dommage, pensa-t-il. Puis, en se retirant, il leur lança:
Sire Peritus, Majesté, ce fut un honneur. Au plaisir!
Bien entendu, il savait que le Sire Peritus se vengerait à son tour, mais il était curieux de voir comment
____________________________
Quand l’eau remplace le mojito…
L’eau coulait doucement. Le verre se remplissait dans un tintement cristallin. L’Aigle reposa maladroitement la carafe. Mû par une espèce d’automatisme, il se redressa, saisit le verre, et passa dans la pièce d’à côté. Son esprit était ailleurs lorsqu’il poussa d’un coup d’aile la porte grinçante.
Dans la taverne, un feu joyeux crépitait, et les flammes dansantes se reflétaient dans les yeux d’Ama, qui se tenait debout devant l’âtre. En voyant l’aigle revenir de la réserve avec son verre d’eau, Ama ne bougea pas tout de suite. Et l’Aigle ne se transforma pas non plus. En cet instant, il restait tout entier le rapace fier et farouche, le Roi gardien de la loi et de l’ordre. Il se tenait droit, un peu raide. Il tendit le verre, et la reine le prit avec une résignation forcée. Pas de mojito ce soir, Thorondhor était certain qu'elle devait déjà s'être servie pour la journée. La jeune femme était morose, peut-être davantage que le rapace.
Les récents événements qui avaient mené à sa condamnation par la cour martiale de Star Fleet Rebels semblaient l’avoir profondément contrariée. Même si son sort était moins terrible qu’elle ne le laissait accroire, la jeune reine avait été atteinte dans son désir d’être respectée, et avait reporté son courroux et son mécontentement sur tous ceux qu’elle en jugeait responsables. L’Aigle n’y échappait pas.
Thorondhor ne tenait pas vraiment rigueur à sa douce reine de son escapade dans les étoiles. A vrai dire, il pouvait comprendre ce que l’espace immense avait de fascinant. Quelques semaines plus tôt, n’avait-il pas emmené lui-même Ama voir les astres dansants au plus haut dans le ciel nocturne ? Il avait seulement rempli son devoir et ramené la Reine aux siens.
Depuis que Ama avait demandé une autorisation pour quitter le territoire rebelle, le Roi des Aigles avait été chargé de veiller sur elle, dût-il aller à l’encontre de sa volonté. Et puis, il y avait cette menace de fouet qui planait. À peine entrée dans la taverne, la Reine avait tenté de faire appel au fouet de la Sabreuse, n’osant s’en prendre en personne à son roi, mais Thorondhor n’avait pas hésité à répliquer en désignant ostensiblement le fouet pendant à sa ceinture. Ce qui ne pouvait être du goût de l’exigeante souveraine...
Les choses avaient repris leur cours, mais l’Aigle ne pouvait s’empêcher de se sentir mal à l’aise face à sa Reine, avec ce verre d’eau à la main… La main...
Bon, voilà que je me transforme à nouveau, songea-t-il.
Ce n’était pas le moment, c’était certain. Il repensa avec inquiétude que cette instabilité n’avait pas toujours été. Comment en était-il arrivé là ? L’Aigle avait fusionné avec un être qui sortait de l’enfance, avant de plonger sur Elvenar… Souvent les traits et les défauts du jeune homme avaient percé sous les plumes de l’Aigle, mais jamais ils n’avaient pris la place de ceux de l’Aigle. C’était avant son exil et son retour en Elvenar. C’était avant que lui, le fils des vents d’orage, ne fasse jouer son fouet pour une autre cause que la sienne, et ne ploie le genou devant une reine dont il ignorait tout. Par le passé, il avait toujours agi comme bon lui semblait. Libre, comme les vents qu’il habite. Maintenant, la flamme, l’étincelle de foudre qui l’animait avait changé de nature. Il avait l’impression qu’on pourrait le prendre pour… Pour un oiseau apprivoisé. Ce qu’il n’était pas. La passion l’avait-il aveuglé à ce point ? Il fallait rappeler à la Reine ce qu’il était avant tout, afin d’être fixé. Qui avait réellement conquis le cœur de la belle souveraine ? Si ce n’était qu’une partie tronquée ou édulcorée de lui-même, il ne l’accepterai pas.
Il posa le verre d’eau sur le comptoir le plus proche.
-J’ai réfléchis, lança-t-il brusquement, mais d'une voix égale. Il y aurait quelques petites choses à mettre au clair.
-Tu me fais peur, mon roi, quand tu commences comme cela.
Il ne répondis pas tout de suite. Il détacha son fouet de sa ceinture, et posa son arme redoutable sur la table. C’était son premier fouet, le plus ancien. Une seule lanière, dont le cuir usé était teintée d’un brun qui ne laissait pas de doutes : cette arme avait un long passé sanglant, et devait avoir connu maintes rixes de taverne. Moins dangereux, mais plus maniable que le nouveau, et d’une portée symbolique. Thorondhor était un fidèle jusque dans le choix de ses armes. L’implacable résolution qui se lisait sur les traits fermés de l’Aigle glaça la Reine. Elle protesta faiblement :
-Tu as promis de ne pas me fouetter… qu'est-ce que tu fais ?
Thorondhor cligna des yeux, et haussa les épaules.
-Je n’ai qu’une seule parole. Mais je n’ai pas fait de serment qui aille dans ce sens. Tout au plus ai-je déclaré l'intention de retirer mes menaces.
Et, à titre d’échauffement, il se saisit de son fouet, et envoya le serpent de cuir faire sauter une bouteille du comptoir, dans un claquement sec. Deux morceaux brisés net, quelques débris, une tache humide sur le sol, c'était tout ce qu'il restait de la flasque de mojito.
Une discussion calme
Ama regarda la bouteille explosée à terre avec un peu d’appréhension. Thorondhor était parfois instable, mais il était cette fois-ci parfaitement maître de lui. Et il la regardait avec une insistance qui finit par la mettre mal à l’aise. Ama voulut partir et tenta de gagner la porte. Une aile se tendit et lui barra le passage dans un cliquetis d’acier.
-Restez-là, ma Reine. J’ai dit qu’il y avait des choses à mettre au clair, vous ne partirez pas sans m’avoir… disons… entendu.
Autour d’eux, les habitués de la taverne commençaient à comprendre ce que leur discussion à mi-voix avait d’étrange. Leurs regards curieux se tournèrent vers l’Aigle et la Reine. Thorondhor s'amusa de leurs murmures intrigués. Mais il lui fallait penser aux choses sérieuses.
Venez, ma Reine, nous serons mieux ailleurs pour ce que nous avons à faire.
Et la Reine n’eut d’autre choix que de se laisser conduire vers l’escalier.
Après avoir descendu quelques marches, Ama balbutia :
Je ne comprends pas très bien ce que tu es en train de faire…
Thorondhor ne put empêcher son regard s'illuminer d'une étincelle de rire silencieux. Il sentait l’angoisse monter chez la souveraine, l’angoisse qui paralysait toute forme de résistance ou de colère.
Je ne vais pas vous conduire dans un cachot obscur, si c’est cela que vous redoutez.
Il fit passer Ama devant lui, et la conduisit dans les dépendances souterraines du Fouet Cinglant. Thorondhor mena la reine à une petite salle voûtée, cave mal située et désaffectée, dont les murs suintaient d’humidité. Il referma la porte derrière lui.
Dans la pénombre, les yeux d’Ama distinguèrent une table, couverte d’objets divers. Une lance de cavalier au fanion déchiré, un poignard persan à la lame courbe et damasquiné, un bouclier écartelé de pourpre et de sable, des fioles de liquide translucide...
La jeune femme commençait à comprendre où Thorondhor l’avait amenée. Une sorte de repaire où l'Aigle se retirait seul, parmi les vestige d'une vie antérieure tourmentée... Son anxiété n’en fut que plus grande. L’Aigle se plaça du côté de la porte, afin de pouvoir contrer toute tentative de fuite. Dos à la muraille humide, il commença :
Ma Reine, il est temps pour moi de vous éclaircir l’esprit sur certains détails. Écoutez-moi. Je ne puis demeurer plus longtemps silencieux là-dessus. Ama, vous avez voulu tirer vengeance de moi, mais vous n’avez pas voulu lever le fouet contre moi en personne. Vous avez tenté de me défendre de recourir à mon tour au fouet contre vous. Mais que cherchez-vous donc ? Désirez-vous un valet auquel on puisse faire payer ses insolences sans crainte ? Je ,e puis être celui-là. Je me suis placé de moi-même à votre service, ne croyez pas que cela fasse de moi un esclave. Je pensais que vous commenciez à savoir qui j’étais, mais vous essayez de me faire oublier ce que je suis. J’ai employé mon arme à votre défense, dès le premier jour où je vous ai connue. Était-ce mon zèle qui vous servait; ou ma déférence qui vous flattait, qui me valut de conquérir votre cœur ? Oh, pourquoi tenter de m’imposer des limites, auxquelles tout fils des Vents d’orage ne saurait s’astreindre ? Ama, j’ai choisi votre service, non une servitude qui me révulse. Je suis le Roi des Aigles, avant d’être votre roi.
Il vous faut sans doute des preuves… tangibles... pour vous détromper à ce sujet.
En disant ces mots, Thorondhor trancha d’un coup de serre les rubans qui fermaient la vêture de sa reine, dénudant son corps jusqu’à la taille. Son autre serre tenait son fouet, au cuir encore imprégné d’alcool. Toutefois, elle n’arrivait toujours pas à croire que Thorondhor lèverait le fouet sur elle. Le rapace pouvait lire dans ses yeux qu’elle ne croyait pas à ce geste inconsidéré. Aussi, une immense détresse envahit le regard de la jeune femme, quand le fouet vint mordre sa chair. Le choc était presque imperceptible, mais elle était comme démultipliée dans sa sensibilité. Une marque légère traversait à présent sa peau rosée. Thorondhor arma à nouveau son bras. Un coup plus fort s’abattit, arrachant un léger cri à sa victime. L’Aigle ferma les yeux. Il serra plus fort encore le manche de son fouet, et le bras d’Ama, qu’il tenait pour éviter qu’elle ne bouge. Il pouvait sentir le corps de la reine se raidir contre la douleur, au fur et à mesure que les coups descendaient sur ses frêles épaules, et que la lanière venait mordre son dos. Il entendait les plaintes venir mourir sur ses lèvres.
Pourtant, Ama ignorait que le rapace retenait ses coups. Non, l’aigle ne déchaînait pas encore la totalité de sa puissance de frappe. Il voulait rester maître des coups qu’il infligeait, maître de leur force, comme de leur direction. L’avantage du fouet à une seule lanière résidait là : il était le prolongement fidèle et précis de lui-même. Et à la fin, il n’y aurait pas de longues traînées de sang sur le sol, pas de perles pourpre ourlant les plaies laissées par le fouet... Il n'entacherait pas ses armes du sang de sa reine : c’était sa façon de répercuter les scrupules d’Ama, qui se refusait à le fouetter elle-même... Quant à ceux qui pourraient l’accuser d’indulgence voire de faiblesse coupable... Les larges ecchymoses qui boursouflaient la peau du dos royal, si lisse quelques instants plus tôt, témoignaient que ce n’était pas un défaut de volonté. Il aurait même été plus facile à l’Aigle de se laisser emporter par la rage forcenée, la frénésie destructrice que donne aux tortionnaires la vue, et surtout l'odeur du sang, que de continuer à vouloir chacun des coups qu’il portait, lentement, l’un après l’autre. Car, lorsqu’il se laissait gagner par l’attrait de la souffrance, le visage de la victime s’effaçait, et devenait indifférent, sa voix et ses cris se perdait dans des sons lointains et anonymes. En cet instant, au contraire, l’Aigle ne quittait pas des yeux le menu visage pâle et décomposé de la reine, et était attentif aux râles qui lui échappaient : il veillait à ne pas dépasser le seuil de douleur qu'il désirait atteindre, et à ne pas y parvenir trop vite. Et il goûtait l’instant où il pourrait encore faire revenir le coup, et où son esprit pouvait encore faiblir, mais où le coup partait tout de même, et où il se sentait reprendre possession de lui-même.
Lorsqu’il arrêta son fouet, la jeune femme qui se tenait face à lui avait un regard changé, et une expression de souffrance physique se lisait dans ses traits altérés. Des larmes brillaient dans ses yeux si fiers d’ordinaire. Elle grelottait de froid, et mais pas assez pour engourdir son corps perclus de douleur. Mais elle ne s’était pas effondrée, et ses mâchoires serrées avaient retenu les cris qu’il s’était attendu à la voir pousser. Même ainsi, le stoïcisme où elle se réfugiait méritait un certain respect, et un sentiment nouveau de fierté emplit l'Aigle. Thorondhor replia son fouet et le remit à sa ceinture. Sa voix était tendue; et vibrait étrangement. Il n’avait encore jamais fouetté de cette façon-là.
C’est fini. J’espère que je n’aurai pas à recommencer.
Il marqua un bref silence. Il se rapprocha d’Ama, posa un long manteau d’hoplite sur ses épaules nues, et l’entoura de ses deux ailes.
Ne restons pas là, vous allez attraper froid.
Il la serra contre sa poitrine aussi fort que le lui permettait l'état où elle se trouvait. Thorondhor plongea à nouveau son regard dans celui de la jeune femme. Son visage d’aigle commença à se dissoudre. Mais cette fois, il pouvait reprendre sa forme humaine sans qu’elle ne fasse oublier celle de l’Aigle impétueux. Du revers de la main, il essuya les larmes de sa reine, et il se pencha pour lui murmurer :
Vous êtes ma reine, non mon tyran. Laissez moi vous offrir ce que je suis, mais n’essayez plus jamais de me le ravir de force.
Et il déposa un baiser fougueux sur les lèvres transies de la reine, comme s’il avait peur de la perdre, après avoir osé porter la main sur elle. Il desserra son étreinte après quelques instants, et lui prit la main pour la mener à la sortie.
Aut tace aut loquere meliora silentio
Je ne ferai pas de longs discours.
Ce soir encore, j'ai le cœur lourd.
Je n'ai rien qui me vienne à t'écrire
Mais j'aurais tant à te dire...
Je ne dis rien mais je pense :
J'aimerai te prendre la main,
Te la serrer fort, en silence,
Qu'on oublie et hier et demain,
Que tu lises dans mes yeux
Tout ce que je ne sais pas dire,
Qu'un peu de lumière et de feu
Dans ton regard vienne luire...
Que je voudrais dépasser les mots,
Impuissant à soulager ton fardeau...
Et pourtant, je suis là, et ce baiser
Que j'ai volé pour toi, je viens te le déposer
Je ne ferai pas de longs discours.
Ce soir encore, j'ai le cœur lourd.
Je n'ai rien qui me vienne à t'écrire
Mais j'aurais tant à te dire...
Je ne dis rien mais je pense :
J'aimerai te prendre la main,
Te la serrer fort, en silence,
Qu'on oublie et hier et demain,
Que tu lises dans mes yeux
Tout ce que je ne sais pas dire,
Qu'un peu de lumière et de feu
Dans ton regard vienne luire...
Que je voudrais dépasser les mots,
Impuissant à soulager ton fardeau...
Et pourtant, je suis là, et ce baiser
Que j'ai volé pour toi, je viens te le déposer
Dernière édition: