Help !!!! Besoin d'aide pour mon roman ! ^^

  • Auteur de la discussion DeletedUser949
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DeletedUser949

Bonjour tout le monde !

Je suis une grande fan de Elvenar depuis longtemps, mais je suis nouvelle sur le forum... En ce moment j'écris un livre - un roman de fantasy, bien sûr ! ^^

J'aurais besoin de gens qui sont prêts à lire mes textes, un chapitre après l'autre, au fur et à mesure que je les écris: à la fois pour me donner un avis sincère sur la qualité de l'histoire, des personnages, etc... (oui, oui, vous avez très bien le droit de critiquer) mais aussi pour m'aider à corriger les nombreuses fautes d'orthographes qui se sont cachées un peu partout ! ^^

Je préviens tout de suite : c'est très long, rien que le 1er chapitre fait déjà 28 pages, donc faut pas être pressé ! lol

Est-ce qu'il y aurait des volontaires parmi vous pour m'aider ?

(je publierai le 1er chapitre dès que j'aurai obtenu quelques réponses positives, parce que je ne tiens pas à polluer ce forum avec mes textes énormes si ça n'intéresse personne ^^)
 

DeletedUser

Bonjour,

Graine d'artiste ! :) Je serai disponible pour lire et te donner un retour sur tes textes ;)

Je t'attend en privé !

Elfiquement
Dymphna
 

DeletedUser

Coucou,

Cela m’intéresserait aussi de lire tes premiers "essais" :)
 

DeletedUser949

Merci pour vos réponses ! ^^

Je met le 1er chapitre en ligne, y a des morceaux de phrase qui manquent à certain s endroits c'est normal, le texte n'est pas encore fini à 100 % mais je suis curieuse d'avoir quelques avis ! ^^

Et surtout - si vous trouvez des fautes signalez-les pour que je puisse les corriger !

Et n'hésitez pas à faire des critiques sincères, même si elles sont négatives, c'est comme ça que je pourrai m'améliorer ! ;-)
 

DeletedUser729

Bonsoir , moi , moi , moi , je suis volontiers volontaire ;) Je lis beaucoup d'heroic fantasy et de surnaturel ( vampire , lycaon et autre bestioles pas jolie )
Attention a mes critiques : franche mais sincère ! :cool:
 

DeletedUser949

Petit souci, le chapitre est trop long, je vais devoir le couper en 2 ça va me prendre un peu de temps ^^

Tes critiques seront les bienvenues ! ^^
 

DeletedUser949

CHAPITRE 1

Les Princes du Jolinor



« Le Roi Augustius, cinquième du nom, descendant par ligne directe de Merilius le Conquérant et noble souverain de la puissante Nation du Jolinor, épousa Dame Thova de Lusignan à l'âge de seize ans, en l'an 1663. Celle-ci lui donna six filles : Léalyria, Hyloria, Davinia, Kilinya, Seléna et Berylia. Aucun fils, cependant, ne naquit de leur union. Aucun héritier pour faire perdurer la lignée royale. Pendant de longues années le Roi Augustius adressa ses prières les plus ferventes à la Déesse de la Lune afin qu'elle exauce son souhait le plus cher, mais elle resta sourde à ses suppliques. Dix années après la naissance de Berylia, lorsqu'il fut certain que la Reine ne donnerait plus naissance à un autre enfant, le Roi Augustius cessa d'implorer la Déesse afin qu'elle lui donne un fils. Il commença à tourner ses prières vers un petit-fils.

« Lorsque Dame Thova et ses trois plus jeunes filles furent emportées par la peste noire qui ravagea la capitale durant l'été 1697, le Roi Augustius se sentit libre d'épouser, quelques mois plus tard, la jeune Dame Valéria du Val d'Ochs, dont il était épris depuis de longues années. Leur mariage fut célébré au mois de Septembre de l'an 1698. Cette décision provoqua un véritable scandale, pour plusieurs raisons ; pour commencer, Dame Valéria était issue de la petite noblesse campagnarde, et n'avait rien à offrir au Royaume hormis sa beauté et sa bonne humeur. Mais ce qui choqua les opinions davantage encore que les humbles origines de la nouvelle Reine, ce fut la rapidité avec laquelle le Roi Augustius l'avait épousée, sans même respecter les trois années de deuil imposée traditionnellement par les lois sacrées de la Déesse. Les Prêtres de Lune, outragés, refusèrent d'accepter ce mariage. Ils déclarèrent l'union entre le Roi Augustius et Dame Valéria comme non valide aux yeux de la Déesse et de la loi. Les deux époux, cependant, ne se préoccupèrent guère de ce genre de détails. Après avoir passé ses jeunes années auprès d'une épouse froide et distante choisie pour lui par son père, le souverain du Jolinor voulait à présent profiter de la tendre compagnie de sa nouvelle épouse, qui lui prodiguait toute l'affection dont Dame Thova l'avait toujours privé. Et le reste n'avait aucune importance à ses yeux.

« Les chose se compliquèrent lorsque Dame Valéria comprit qu'une étincelle de vie avait pris racine dans son ventre. Cette nouvelle bouleversante prit tout le monde par surprise, car Dame Valéria avait été déclarée par les médecins comme incapable de concevoir un enfant après avoir contracté une maladie féminine pendant ses jeunes années. L'espoir d'avoir un fils bien à lui renaquit alors dans le cœur du Roi Augustius, malgré son âge déjà avancé – et cette fois la Déesse exauça ses prières. L'enfant qui naquit au mois de Juin de l'an 1699 était un petit garçon, fort et vigoureux, et en bonne santé. L'héritier royal que le souverain avait si ardemment désiré toute sa vie. Il fut nommé Arillius, en l'honneur d'Arillius le Téméraire qui avait autrefois combatte les horde du Dieu Maudit. Jamais encore le Roi Augustius n'avait été aussi heureux, aussi comblé. Les Prêtres de Lune, cependant, ne tardèrent pas à faire voler en éclats le bonheur du Roi : l'enfant étant né d'une union qui n'avait aucune valeur, il n'était guère plus qu'un bâtard avec du sang royal dans les veines. Il n'avait pas sa place dans la ligne de succession. Ce fut donc officiellement Iveccus, le fils premier-né de la Princesse Léalyria, né quelques jours à peine après Arillius, qui fut nommé au titre de Prince Héritier.

« Les choses auraient pu – et auraient dû – en rester là. Mais le Roi Augustius fit preuve d'obstination. Il aimait son fils plus que tout au monde et, faisant fi des lois de son royaume, il refusa de mettre le petit Arillius à l'écart aussi arbitrairement. Il s'opposa à la décision des Prêtres et refusa de signer les registres qui auraient fait d'Iveccus son héritier officiel. Laissons-les grandir, disait-l à qui voulait l'entendre. Laissons-les grandir, et au bout de quelques années nous verrons bien lequel des deux méritera de me succéder un jour. Bien entendu, cette décision grotesque offensa la noblesse, qui estimait que personne – pas même un Roi – ne pouvait se permettre de se moquer ainsi des lois sacrées de la Déesse. Et le Roi Augustius, comme à son habitude, les ignora pour n'en faire qu'à sa tête.

« Les années passèrent, et les deux garçons grandirent à la cour royale, sous le regard attentif du monarque qui ne cessait de repousser à plus tard le moment fatidique où il lui faudrait prendre une décision à leur sujet. Son cœur le poussait à choisir Arillius, son fils, la chair de sa chair. C'était un petit garçons imprévisible, téméraire, qui n'avait peur de rien et qui aimait relever tous les défis. Il avait un talent certain pour charmer et pour flatter les gens qu'il appréciait, un talent qui était cependant contrebalancé par son insolence envers ceux qu'il ne portait pas dans son cœur. Enfreindre les règles de la bienséance faisait partie de son quotidien, au grand dam de ses tuteurs qui avaient bien du mal à asseoir leur autorité face à ce jeune prince qui leur riait au nez quand ils essayaient de l'empêcher de faire quelque bêtise. La seule personne capable de venir à bout de ce jeune garnement royal était le souverain en personne, car Arillius aimait et admirait son père de tout son cœur.

« Face à Arillius se trouvait Iveccus, toujours sage et respectueux, toujours docile et obéissant, et faisant preuve d'une maturité exceptionnelle pour son âge. Il était fiable et digne de confiance, solide comme un roc, et d'une intelligence brillante. Il était courageux sans être téméraire, profondément gentil, et tellement désireux d'avoir une bonne image auprès de la noblesse qu'il ne se risquait jamais à faire quoi que ce soit de déplacé. Toujours parfaitement irréprochable. Il possédait en lui toutes les qualités requises chez un Prince Héritier, et il avait également la loi divine de son côté. Le Roi Augustius savait pertinemment que le jeune Iveccus représentait un choix beaucoup plus avisé, et pourtant il continua à refuser de signer les registres, car écarter définitivement son bien-aimé Arillius aurait été un véritable crève-cœur pour lui. C'était au-delà de ses forces.

« Les années continuèrent donc à passer, et les deux jeunes enfants grandirent dans une rivalité constante. La noblesse était partagée entre les partisans d'Arillius et ceux qui favorisaient Iveccus ; ces derniers étaient les plus nombreux, mais leur hostilité plus ou moins ouverte ne parvenait pas à atteindre Arillius. Plus ils le désapprouvaient, plus il prenait plaisir à leur manquer de respect.

« Finalement, lorsque les tensions et les rivalités devinrent invivables au sein du palais royal, les Prêtres de Lune décidèrent de prendre les choses en main. Au mois de Juin de l'an 1716, ils suggérèrent au Roi Augustius une solution qui lui permettrait de départager une bonne fois pour toutes les deux jeunes princes. Laissons la Déesse de la Lune choisir celui qui a le plus de mérite, murmurèrent-ils à l'oreille du souverain. Elle est sage et omnisciente. Elle fera le bon choix, vous libérant ainsi de ce fardeau qui pèse sur vos épaules depuis trop longtemps.

« Et le Roi Augustius, dit-on, fut grandement soulagé de ne pas avoir à prendre lui-même cette décision cruciale pour l'avenir de son royaume.


Histoire et généalogie des Rois du Premier Âge
par Scelenius du Mont d'Orange
historien à la cour royale du Jolinor
 

DeletedUser949

Le 13e jour du Mois de Juin de l'An 1716



« Ce soir la lune est pleine, et la Déesse pose sur nous son regard bienveillant ! » La voix puissante du Prêtre Suprême s'éleva dans les airs, jusqu'aux cieux couleur d'encre de cette belle nuit d'été. « Lorsque les treize cloches du Sanctuaire retentiront, les pouvoirs de la Déesse vont atteindre leur apogée ! Elle guidera vers une glorieuse victoire celui qui mérite de s'asseoir un jour sur le trône de notre puissante nation ! »

« Gloire à la Déesse de la Lune ! » répondit la foule à l'unisson, leurs voix empruntes de respect et de déférence.

Puis le Prêtre Suprême leva les deux bras au ciel, vers la lune qui brillait haut dans le ciel tel un disque d'argent. Ses manches se retroussèrent, révélant une paire de bras blafards, à la peau fripée.

« Une fois qu'elle aura désigné un vainqueur, aucun mortel ne sera plus en mesure de contester ou de remettre en cause son choix ! » poursuivit-il avec ferveur. « Ce soir nous assistons à un moment historique, qui restera gravé dans toutes les mémoires jusqu'à la fin des temps ! Ce soir nous assistons à la naissance d'un Roi ! »

« Gloire à la Déesse de la Lune ! » répéta la population. « Gloire à le toute-puissante Reine des Cieux ! »

Lorsque leurs voix moururent, un silence absolu retomba sur le Sanctuaire.

Les hommes et les femmes venus assister au duel n'étaient rien de plus que des ombres indistinctes, dans la lueur blafarde de la lune.

Ça y est, le grand jour est enfin arrivé, se dit Arillius avec un sourire confiant. Tout va se décider ce soir.

A dix-sept ans, Arillius du Val d'Ochs était un jeune homme fort avenant ; grand et mince, souple comme une tige de roseau, avec un visage aux traits fins et élégants. Son menton et ses joues lisses, soigneusement rasés, lui donnaient l'air plus jeune que son âge véritable. Il avait hérité le teint pâle et les yeux sombres de sa mère, ainsi que son ample chevelure noire qui était à présent attachée dans son dos pour ne pas le gêner ; comme toujours, quelques mèches s'étaient échappées et retombaient autour de son visage en boucles indisciplinées. Il avait délibérément choisi de ne pas porter d'armure pour le combat, préférant une cotte de mailles souple et légère qui le laisserait libre de ses mouvements. Iveccus n'était certes pas un maître dans le maniement de l'épée, mais il n'était pas médiocre non plus et Arillius voulait mettre toutes les chances de son côté.

« Nous allons lui mettre une belle dérouillée, à notre joli petit prince, » murmura-t-il avec un sourire confiant, tout en flattant affectueusement l'encolure de Rosmarin, son étalon de combat. « Nous allons déloger ce fichu lèche-bottes de la ligne de succession une bonne fois pour toutes, toi et moi. »

Comme s'il avait compris les mots de son cavalier, Rosmarin renâcla doucement.

Le Sanctuaire où ils se tenaient à présent était le lieu le plus important de la capitale, plus important même que le palais royal. Il était composé de vieux bâtiments larges et bas, parfaitement entretenus, aux murs peints en gris et ornés de runes lunaires. Les toits étaient composés de tuiles en ardoise noire, une marchandise rare et chère que les Prêtres de Lune avaient acheminé à grands frais jusque dans la capitale depuis un petit pays prospère situé à l'autre bout du monde. Au centre du Sanctuaire se trouvait une vaste cour intérieure, assez grande pour permettre d'y organiser des banquets en l'honneur de la Déesse, ou des joutes lors des grandes festivités de l'été. Le sol était recouvert de dalles en pierre polie, et des bas-reliefs complexes représentant les treize scènes traditionnelles du culte de la Déesse ornaient les différents murs. Des buissons fleuris, plantés dans des pots en terre cuite massifs, avaient été disposés dans chacun des quatre coins de la cour. Leur parfum était à présent si entêtant que Arillius se sentait légèrement nauséeux. Des torches étaient fixées aux murs à intervalles réguliers, mais aucune d'entre elles n'était allumée, afin que la Déesse puisse observer et juger les deux concurrents sans que la lumière impie des flemmes ne vienne la distraire.

Une véritable foule de nobles et de moins nobles s'était attroupée dans le Sanctuaire pour assister au duel ; ils se tenaient sur les balcons, derrière les fenêtres, et certains d'entre eux – plus téméraires que les autres – s'étaient même installés sur les toits pour avoir une meilleure vue. Hommes et femmes, riches ou pauvres, campagnards ou citadins, ils voulaient tous voir le combat de leurs propres yeux, et être parmi les premiers à savoir lequel des deux rejetons royaux allait remporter le titre de Prince Héritier.

Arillius était bien conscient que la majorité de ces gens espéraient voir Iveccus gagner sa place sur le trône, mais cela ne fit que renforcer sa propre détermination.

Ils me détestent, alors je ne leur ferai pas le plaisir de leur donner ce qu'ils désirent.

Son sourire s'élargit.

Bien entendu, le Roi Augustius en personne était venu assister à l'affrontement. Il était installé à côté du Prêtre Suprême, sous un dais luxueux en velours sombre rebrodé de fils d'argent, qui avait été érigé spécialement pour cette occasion.

Arillius leva les yeux vers lui et croisa son regard.

Je ne vous décevrai pas, Père, promit-il. Je leur prouverai que vous aviez raison de croire en moi.

Le troisième siège, réservé à l'épouse du souverain, était resté vide. Cela n'étonnait guère Arillius. Sa mère la Dame Valéria était formellement opposée à ce duel, car à ses yeux Arillius était le fils unique du Roi – et donc le seul véritable héritier. Elle estimait que le trône aurait dû revenir d'office à son fils, sans qu'il n'ait à prouver quoi que ce soit à cette bande de nobles hautains et suffisants qui étaient persuadés que le monde entier tournait autour de leur petite personne. Arillius avait, par les jours passés, tenté à plusieurs reprises de la convaincre de venir assister au spectacle, mais son enthousiasme n'avait visiblement pas réussi à faire fléchir la Reine. Et il ne lui en tenait pas rigueur, d'ailleurs. Il aurait bien assez de temps pour lui raconter en détail tous ses exploits, une fois qu'il porterait l'étincelante couronne de Prince Héritier sur son front.

Mais d'abord, il fallait remporter la victoire.

Il lança un regard de reproche vers la tour du clocher, qui avait été érigée à l'extrémité nord du Sanctuaire.

Quand donc les cloches allaient-elles se mettre à sonner ?

Il n'était pas de nature patiente et il n'aimait guère attendre ainsi.

« Du calme, Rosmarin, » dit-il doucement à son cheval, qui devenait lui aussi de plus en plus nerveux. Il trépignait et secouait sans arrêt sa lourde tête. « Garde ta hargne pour le combat, mon beau. »

Arillius prit une grande inspiration, et contempla Iveccus qui se tenait du côté opposé de la cour, sur un coursier à la robe pommelée et à la crinière soigneusement tressée. Arillius n'aimait pas l'admettre, mais la ressemblance entre son rival et le Roi Augustius était frappante. Ils avaient le même visage fier et noble, le même nez aquilin, les mêmes yeux couleur noisette, les mêmes cheveux châtain clair, la même carrure un peu trapue, la même démarche... à vrai dire, lorsqu'ils se tenaient côte à côte ils ressemblaient davantage à un père et à son fils, plutôt qu'à un grand-père et son petit-fils.

Alors que moi je suis réellement son fils, et je ne lui porte pas la moindre ressemblance, rumina Arillius avec rancœur.

Il leva à nouveau les yeux vers la tour du clocher.

Par les cornes du Dieu Maudit, mais qu'attendez-vous donc pour sonner ?

Il avait de plus en plus de mal à dominer son impatience. Chaque seconde paraissait durer des heures, et le silence absolu qui régnait dans le Sanctuaire était insoutenable. Il entendait son propre cœur cogner comme un foi dans sa poitrine. Il était persuadé que tous les autres pouvaient l'entendre aussi.

Une chouette hulula au loin.

Arillius essuya ses mains moites sur son pantalon, avant de reprendre les rênes. Puis il se força à prendre de grandes inspirations, lentes et régulières, pour calmer ses nerfs à vif, mais cela ne servit pas à grand-chose. Il était trop impatient, trop tendu. La seule chose qui pourrait le soulager, à présent, c'était de passer à l'action.

« D'un instant à l'autre, Rosmarin, » dit-il en resserrant légèrement les jambes autour des flancs de soncheval.« Tiens-toi prêt, mon beau. »

La chouette hulula une seconde fois, puis les cloches d'un petit Temple des quartiers pauvres retentit au loin. Une fraction de seconde plus tard, l'imposante cloche du Sanctuaire se se mit à sonner.

Ça y est, ça commence ! jubila Arillius.

Avant même qu'il n'ait le temps de talonner sa monture, Rosmarin fit un bond fulgurant en avant, droit sur le Prince Iveccus. La monture de ce dernier, qui semblait davantage taillée pour les champs de course que pour les champs de bataille, prit peur et fit un écart si brusque sur le côté qu'elle faillit désarçonner son cavalier.

Arillius ne put s'empêcher d'éclater de rire devant une telle déconfiture, alors que le combat en lui-même n'avait même pas encore vraiment commencé.

« Je m'en doutais que la victoire serait facile, mais je ne pensais pas qu'elle serait facile à ce point-là, » se moqua-t-il, sans aucun scrupule. Voir son rival en mauvaise posture était toujours un plaisir.

Mais Iveccus parvint à retrouver son équilibre et à se remettre en selle. Il talonna son coursier à la robe pommelée et prit la fuite.

Son cheval est plus rapide que le mien, comprit Arillius. Inutile de chercher à le poursuivre, car Rosmarin n'a aucune chance de rattraper ce maudit coursier. Aucune. Cela ne servirait qu'à nous épuiser inutilement. C'est d'ailleurs probablement la raison pour laquelle il a prit la fuite ainsi, pour nous inciter à galoper derrière lui et à dépenser toute notre énergie dès le début, mais nous sommes plus malin que lui et nous ne rentrerons pas dans son jeu, n'est-ce pas ?

« Il est temps de lui montrer ce qu'un vrai cheval de guerre a dans le ventre, » dit-il en relâchant légèrement les rênes de Rosmarin pour lui donner davantage de liberté de mouvement.

Cet étalon était un cheval tout à fait remarquable ; il possédait la force et la puissance de sa mère, une jument de labour, combinées au sang chaud et au caractère bien trempé de son père, le descendant d'une longue lignée de destriers renommés. Rosmarin avait déjà prit part à de nombreuses batailles avec Sire Gauvin, son précédent cavalier ; il avait affronté des légions d'hommes armés de lances et d'épées, ainsi que des Orques sanguinaires et nombre d'autres créatures malfaisantes. Il ne craignait rien ni personne, et il se mit à charger la monture de Iveccus avec une telle férocité que le coursier fut gagné par la panique. Il arracha les rênes des mains de son cavalier et se mit à courir frénétiquement le long des murs, les yeux écarquillés de terreur et les flancs couverts d'une écume blanche. Iveccus avait complètement perdu le contrôle de la situation ; il se contentait à présent de se raccrocher à la crinière de ses deux mains gantées de fer, dans un effort désespéré pour rester en selle – car tout le monde savait que le premier à terre commencerait le combat avec un net désavantage.

Voilà qui commence bien, triompha Arillius.

Lorsqu'ils en eurent assez de jouer avec leurs adversaires comme un chat avec une souris, Arillius et Rosmarin décidèrent de passer aux choses sérieuses. Ils acculèrent Iveccus et son coursier gris dans un coin de la cour, non loin du dais sous lequel se trouvaient le Roi Augustius et le Prêtre Suprême. L'imposant Rosmarin se mit à hennir et à ronfler bruyamment et à frapper le sol de ses gros sabots, les oreilles plaquées contre le crâne en signe de menace, tout en faisant rouler ses muscles d'étalon. Le petit cheval de Iveccus, terrifié, recula jusqu'à ce que sa croupe touche le mur. Puis, en désespoir de cause, lorsqu'il comprit qu'il n'y avait plus aucune échappatoire, il se cabra violemment jusqu'à la verticale. Iveccus, encombré par un plastron d'acier, fut incapable de se maintenir en selle ; il tomba en arrière et heurta d'abord le mur derrière lui, avant d'aller s'écraser lourdement, avec un bruit métallique, sur le sol de pierre polie.

« Bien joué, mon beau, » murmura Arillius à l'oreille de son cheval, puis sans perdre un seul instant il bondit à terre.

Ses jambes vacillèrent pendant un bref instant lorsque ses pieds touchèrent le sol, mais il ne lui fallut guère plus qu'une fraction de seconde pour se reprendre. S'il voulait conserver son avantage, il fallait absolument passer à l'attaque avant que Iveccus n'ait eu le temps de se remettre debout.

En passant devant le dais royal, il croisa brièvement le regard inquiet de son père et lui adressa un sourire rassurant.

Cessez donc de vous faire du mauvais sang, Père. Avec un tel avantage dès le début du combat, j'ai déjà quasiment gagné.

Iveccus était encore à terre lorsque Arillius lui tomba dessus ; l'un de ses pieds était resté coincé dans l'étrier lors de sa chute, et sa lourde armure de métal l'empêchait de se libérer. Et pour ne pas lui faciliter la tâche, sa monture affolée trépignait et s'agitait en tous sens, en proie à la panique.

Il est fichu, réalisa Arillius en voyant son rival en si mauvaise posture.

Un frisson d'excitation lui courut le long du dos. Jamais il n'aurait osé espérer – pas même dans ses rêves les plus fous – que devenir Roi allait être aussi facile.

Pourtant, alors qu'il était tout proche et qu'il s'apprêtait à dégainer son épée pour en poser la pointe sur la gorge de son ennemi, ce dernier se libéra soudainement de son étrier et se releva avec une souplesse insoupçonnée, l'épée déjà prête à frapper. Pris par surprise par ce revirement de situation inattendu, Arillius fut forcé de reculer d'un pas pour bloquer le coup que lui porta Iveccus.

« Tu croyais quoi, que j'allais me laisser avoir si facilement ? »

Iveccus souriait. Il paraissait confiant et très satisfait de lui-même ; il était évident que tout ceci n'avait été qu'une habile mise en scène destinée à endormir la méfiance d'Arillius et à s'assurer ainsi un avantage lors du premier contact.

Arillius ne put s'empêcher d'éclater de rire.

« Toi, Iveccus ? Toi toujours si noble, tu t'es abaissé à utiliser une vulgaire ruse contre moi ? Où est donc passé ton honneur ? »

Le Prince Iveccus ne répondit rien, mais Arillius se sentit néanmoins électrifié par un sentiment de triomphe.

S'il a agi ainsi c'est parce qu'il a peur de moi. Il sait qu'il n'a aucune chance de me battre à la loyale, alors il a changé de tactique et il a essayé de m'avoir par fourberie, le vile petit freluquet. Il est moins bête que je ne le croyais.

Arillius considéra son rival d'un œil nouveau, et sourit. Le défi n'en serait que plus intéressant à relever.

Puis l'affrontement commença.

Acier contre acier, lame contre lame, Arillius et Iveccus – qui avaient été des rivaux toutes leurs vies – combattirent avec toute la fougue et l'ardeur de la jeunesse. Iveccus n'était pas aussi rapide et agile que Arillius, et il n'avait de loin pas autant de panache que le fils du Roi, mais ses coups avaient davantage de force et de précision. Arillius avait déjà combattu des adversaires plus redoutables que lui, mais il ne fallait pas non plus le prendre à la légère.

Il m'a déjà surpris une fois, mais cela ne se reproduira plus, se promit-il. Il ne m'aura pas une seconde fois.

Tout autour d'eux, le Sanctuaire était plongé dans le silence et l'obscurité, à tel point que Arillius avait l'impression d'être coupé du reste du monde, rien que lui et son ennemi de toujours au milieu d'une cour blafarde illuminée par la pleine lune. Rien ne venait troubler leur concentration.

Pendant un moment, aucun des deux opposants ne prit le dessus sur l'autre, car leurs forces et leurs faiblesses respectives s'équilibraient parfaitement. Le combat s'éternisa, rythmé par le bruit des épées qui s'entrechoquaient ; ils ne portaient pas leurs véritables épées, mais des lames d'entraînement émoussées, afin de minimiser au maximum le risque de blessure sérieuse. Il s'agissait d'armes très simples, en acier noir, dénuées de toute beauté. Mais entre les mains adroites des deux princes qui s'entraînaient à l'épée depuis leur plus tendre enfance, elles étaient d'une efficacité redoutable. Celle de Arillius lui convenait parfaitement ; un petit peu trop lourde peut-être, mais tellement bien équilibrée et tellement agréable à manier qu'il avait l'impression qu'il s'agissait du prolongement de son propre bras. Il aurait pu continuer ainsi pendant des heures, à batailler dans la pénombre blafarde du Sanctuaire, sous l’œil attentif de la Déesse en personne.

Puis Iveccus commença à fatiguer ; ses coups se firent de moins en moins nets, de moins en moins précis.

Ça y est, maintenant je le tiens, se dit Arillius avec un sourire triomphant. Puis une autre idée lui vint en tête il fronça les sourcils. S'agissait-il d'une nouvelle ruse de la part de Iveccus ? Est-il vraiment en train de faiblir, ou alors cherche-t-il à me faire croire qu'il faiblit pour que j'abaisse ma garde ?

Mieux valait se méfier, en tout cas.

Arillius recula de quelques pas pour avoir de l'espace, puis il risqua le tout pour le tout, et décida de se lancer dans une nouvelle attaque avant que Iveccus n'ait eu le temps de se remettre de la précédente. Il feinta une frappe sur la gauche, avant de porter une attaque rapide et fulgurante sur le flanc droit légèrement exposé de son adversaire. Le coup avait été réalisé à la perfection, et pourtant la lame noire de Arillius heurta la carapace d'acier de Iveccus sans causer le moindre dommage, sans même le déséquilibrer.

J'aurais dû frapper avec davantage de force, réalisa-t-il. Son armure est bien faite. Elle a absorbé le choc et il n'a rien senti.

Arillius recula et prit une grande inspiration. Du coin de l’œil, il vit Rosmarin qui se tenait debout dans un coin, les yeux rivés sur le combat, prêt à revenir à la charge dès que son cavalier l'appellerait.

Lorsque le combat reprit, Arillius parvint à garder l'avantage sans trop de difficulté. Il enchaînait les attaques sans laisser à Iveccus le temps de reprendre son souffle, avec une audace et un brio qui arrachait des exclamations admiratives à la foule dissimulée dans les ombres. Et pourtant, le jeune fils du Roi n'était pas pleinement satisfait de sa performance. Il aurait pu faire mieux ; les autres ne s'en rendaient pas forcément compte, car ils ne savaient pas de quoi il était capable habituellement, mais lui-même le sentait bien. Ses coups étaient toujours un petit peu moins fort que prévu, un petit peu moins précis, un petit peu moins rapides. Ce n'était pas grand-chose, vraiment pas grand-chose. C'était à peine perceptible. Et ce n'était certainement pas suffisant pour permettre à Iveccus de reprendre le dessus. Et pourtant c'était bien réel. Et le fait que cela se produise justement aujourd'hui, alors qu'il était en train de livrer le combat le plus crucial de son existence, était particulièrement frustrant.

Voilà à quoi ça mène de festoyer toute la journée, se réprimanda-t-il.

Au lieu de se reposer et de se préparer pour le combat, comme son entourage le lui avait suggéré, il avait préféré passer la journée avec ses amis, à s'amuser et à imaginer toutes les grandes choses qu'il accomplirait une fois qu'il serait nommé Prince Héritier.

Et maintenant je paye le prix de ma stupidité. Mais il n'est pas trop tard. Je peux encore me rattraper. Je dois rester concentré, et tout ira bien.

Il parvint à frapper Iveccus dans le bas du dos, du plat de sa lame. Le fils de la Princesse Léalyria tomba à genoux sous la force du coup.

Voilà qui est mieux, jubila Arillius, en souriant.

« Tu ferais bien de t'habituer à cette position, mon cher petit Iveccus, » lui dit-il sur un ton moqueur. Il pouvait déjà sentir le doux parfum de la victoire. « A genoux devant moi, car c'est là que sera ta place lorsque je serai Roi ! »

« Je n'ai pas encore dit mon dernier mot, » répliqua le Prince Iveccus sur un ton calme et posé, en regardant son adversaire droit dans les yeux. « Tu vas peut-être gagner, j'en suis conscient, mais ne compte pas sur moi pour te facilité la tâche ! »

L'affrontement se poursuivit, plus féroce que jamais. Aucune des deux Princes n'était prêt à céder le moindre pouce de terrain. Mais plus le temps passait, plus Arillius perdait pied ; malgré ses résolutions de se reprendre en main et de se concentrer, il avait de plus en plus de mal à soutenir le rythme de Iveccus. Et ce dernier, bien entendu, ne tarda pas à remarquer les défaillances de son rival. Il en profita pour reprendre le dessus, petit à petit. Bientôt ce fut lui qui mena la danse, pour la plus grande satisfaction des nobles qui étaient venus assister au spectacle. Certains, plus jeunes et plus exubérants que les autres, applaudissaient à chaque fois que Iveccus parvenait à porter un coup à don adversaire.

Arillius fulminait.

Ça ne peut pas continuer ainsi.

Mais il était tellement agacé par ses propres faiblesses qu'il se sentait de plus en plus frustré. Il avait beaucoup de mal à rester concentré, tandis que colère et impatience rendaient ses gestes encore plus imprécis. Pour la toute première fois, il se demanda ce qui allait se passer si jamais il perdait ce combat – si jamais Iveccus était nommé Prince Héritier – et la réponse à cette question agit sur lui comme un coup de fouet.

Galvanisé par un soudain regain d'énergie, il chargea Iveccus et parvint à le frapper aux hanches, un coup grossier qui manquait de finesse et d'élégance, mais qui fut suffisamment fort pour précipiter le petit-fils du Roi à terre. Son épée vola dans les airs avant d'aller atterrir sur le sol avec un bruit métallique, près d'un pot de fleur.

« Bien joué, » admit Iveccus, en grimaçant de douleur. Il repéra son épée, et vit qu'elle était quasiment à portée de main.

« N'y songe même pas, » lui dit Arillius avec un sourire. De la pointe de son pied, il repoussa l'épée pour la mettre hors de portée de l'autre combattant. « Et maintenant, Iveccus ? Que vas-tu faire maintenant ? Comment vas-tu combattre, sans ton épée ? »

Un sourire se dessina lentement sur les lèvres d'Iveccus.

« Qui a dit que j'ai besoin de mon épée pour combattre ? » dit-il, et il y avait au fond de ses yeux la même lueur que chez un prédateur sur le point de fondre sur sa proie. Rapide comme l'éclair, il se précipita sur Arillius à mains nues, et son poing ganté de fer heurta la mâchoire du fils d'Augustius avec une violence inouïe, à tel point qu'il en fut sonné et que le monde bascula dans l'obscurité pendant quelques instants.

Lorsque sa vision s'éclaircit à nouveau, il se trouvait à terre, les genoux et les paumes écorchés contre le sol de pierre.

La pointe de l'épée de Iveccus était posé sur sa gorge.

Arillius avait perdu le combat.

Sa vie entière venait de s'écrouler autour de lui.

Il ferma les yeux comme si cela pouvait suffire à effacer tout ce qui venait de se passer, mais cela n'empêcha pas les acclamations et les vivats de la foule de parvenir jusqu'à ses oreilles. Ils scandaient le nom de Iveccus, encore et encore.

« La Déesse a fait son choix ! » déclara le Prêtre Suprême en levant une fois de plus les bras au ciel, droit vers l'astre lunaire qui semblait les observer depuis le royaume des cieux. Sa voix était vibrante d'intensité. « Ce sera le jeune et noble Iveccus qui portera la couronne de Prince Héritier, et qui régnera un jour sur le Jolinor ! »

La cloche se mit à sonner au sommet de la tour du Sanctuaire, pour célébrer cette glorieuse victoire.

Arillius était persuadé qu'il n'aurait jamais plus le courage de rouvrir les yeux et d'affronter les visages triomphants de tous ces nobles imbus d’eux-mêmes, pour qui sa défaite ne représentait rien de plus que la preuve irréfutable qu'ils avaient eu raison d'affirmer qu'un bâtard n'avait pas sa place à la cour royale. Des larmes amères et brûlantes lui montèrent aux yeux, mais il refusa de les laisser couler. Se ridiculiser davantage encore était bien la dernière chose dont il avait besoin, à cet instant.

« Tu t'es bien battu, Arillius fils d'Augustius, mais la Déesse ne t'a malheureusement pas jugé digne de monter sur le trône. »

En entendant la voix de son ennemi qui s'adressait à lui, ses yeux se rouvrirent instantanément. Iveccus souriait, un beau sourire franc et amical. Il n'y avait dans son regard nulle trace mépris ou de dédain. Nulle moquerie.

« Va en enfer, » grommela Arillius, qui n'avait aucune envie de bavarder avec celui qui venait de l'humilier en public.

Iveccus fronça brièvement les sourcils, puis son sourire réapparut. Il tendit sa main ouverte vers Arillius, en un geste de paix.

« Prend ma main et relève-toi, » suggéra-t-il. Puis il baissa le ton. « Nous avons grandi en tant que rivaux, toi et moi, mais cette époque est à présent révolue. La Déesse a tranché. Il n'y a plus aucune raison que nous gardions rancune l'un envers l'autre, à présent. »

Arillius sentit une vague de haine et de dégoût monter en lui. Pourquoi Iveccus était-il toujours aussi parfait ? Une personne normale en aurait profité pour humilier davantage encore son adversaire. Pour l'insulter. Pour le traîner dans sa boue et ainsi rendre sa propre victoire plus éclatante encore. Mais pas Iveccus. Il était trop noble, trop honorable pour se comporter ainsi. Jamais le moindre faux pas, jamais le moindre mot de travers. Même maintenant, l'attitude du fils de Léalyria était irréprochable de gentillesse.

Il est tellement parfait qu'il me donne envie de vomir, se dit Arillius, écœuré.

« Prend ma main et relève-toi, » insista Iveccus, toujours souriant. Visiblement, il n'avais pas conscience des pensées malsaines qui agitaient l'esprit tourmenté de son rival à terre. « Montrons-leur que nous sommes capables d'aller au-delà de cette haine qu'on nous a forcés à éprouver l'un envers l'autre depuis le jour de notre naissance. »

Je te hais, avait envie de dire Arillius, mais les mots restèrent coincés au fond de sa gorge nouée. Ses mains se refermèrent pour former des poings. Il vient de m'humilier devant la ville toute entière, alors qu'espère-t-il ? Que je m lève que je lui fasse un grand sourire et que je le serre dans mes bras comme un frère ?

« Je préférerais encore aller en enfer aux côtés du Dieu Maudit plutôt que de faire la paix avec toi, Iveccus fils de Léalyria ! » cracha-t-il, furieux.

Arillius le détestait au point qu'il s'agissait presque d'une douleur physique, juste là, au creux de son ventre.

Les deux rejetons royaux se dévisagèrent quelques instants, puis le regard de Arillius tomba sur la main de Iveccus, qui était encore tendue vers lui. La bienséance exigeait que le perdant fasse preuve de bonne grâce et qu'il accepte cette offre de paix, mais le jeune fils du Roi était au-delà de tout ça. Il repoussa brutalement la main de Iveccus et se remit sur ses pieds tout seul, sans l'aide de personne. Des murmures scandalisés s'élevèrent tout autour d'eux, mais Arillius n'en avait cure.

« Garde donc ta sale pitié, » murmura-t-il sur un ton venimeux. « Je n'en veux pas. Et dégage de mon chemin ! »

Il bouscula Iveccus d'un coup d'épaule, puis il passa à côté de lui à grandes enjambées furieuses. Ses yeux étaient obstinément rivés sur ses propres pieds tandis qu'il traversait la cour ; les rictus outragés des gens qui se pressaient dans les moindres coins et recoins du Sanctuaire ne le dérangeaient pas tant que ça, mais c'était surtout la déception dans le regard de son père qu'il ne voulait pas voir.

Il se dirigea droit vers Rosmarin, puis il attrapa les rênes et se hissa en selle, avant de lancer l'étalon au petit galop. La foule s'écarta sur son passage en poussant des cris offensés, mais bientôt Arillius se retrouva hors du Sanctuaire, loin de toute cette agitation. Les sabots ferrés de Rosmarin claquaient sur la route pavée, et la lune continuait à briller dans le ciel comme si de rien n'était.

« Maudite traîtresse, » grommela Arillius en la foudroyant du regard.

Il talonna Rosmarin plus fermement, et ils passèrent par les Portes d'Albâtre pour quitter la ville. L'air était plus frais dehors, dans la campagne. Arillius ferma les yeux quelques instants, puis ils reprirent leur course effrénée.

Il aurait voulu fuir jusqu'à l'autre bout du monde, juste lui et son cheval, et ne jamais plus cesser de galoper.
 

DeletedUser949

L'aube avait pointé lorsque Arillius et Rosmarin rentrèrent enfin au palais, épuisés et à bout de souffle après avoir chevauché pendant des heures. Il remit les rênes de l'étalon à un garçon d'écuries encore à moitié endormi, puis il prit le chemin familier de ses appartements. Tandis qu'il avançait dans les larges couloirs au plafond voûté du palais, il pouvait entendre les échos des festivités qui avaient lieu dans la Salle des Rois, pour célébrer la noble victoire du Prince Iveccus. C'était la Déesse elle-même qui avait guidé sa main et qui l'avait aidé à arracher la victoire face à son adversaire, le bâtard royal, qui était pourtant – d'après les dires du maître d'armes – un adversaire beaucoup plus talentueux que lui dans le maniement de l'épée. Le Prince Iveccus était béni par la Déesse. Il était l'Elu qu'elle avait choisi pour guider le peuple du Jolinor sur la voie de la sagesse. Arillius soupira, et entra dans ses appartements où il fut accueilli par son valet Garth, un jeune garçon enthousiaste et dévoué issu des quartiers les plus pauvres d'une petite cité campagnarde sans grande importance. Ce dernier avait passé la nuit à se ronger les sangs en voyant que son maître n'était pas revenu chez lui, et il ne chercha pas à cacher son soulagement lorsqu'il vit Arillius réapparaître sur le pas de la porte. Ce fut avec un sourire radieux, en chantonnant de joie, qu'il lui chercha de l'eau chaude aux cuisines pour qu'il puisse se laver.

Arillius soupira, dégoûté par toute l'agitation qui régnait autour du Prince Iveccus, là en-bas, dans la Salle des Rois. Mais il était bien plus dégoûté encore par sa propre incompétence. Il aurait dû gagner. Il aurait dû gagner. Et il n'arrivait pas à comprendre pourquoi les choses ne s'étaient pas déroulées comme prévu.

Garth ne tarda pas à revenir avec une bassine d'eau chaude et des linges pour se laver, puis le jeune valet se retira pour offrir à son maître un peu d'intimité pendant qu'il se lavait de la sueur et de la crasse qui lui collaient à la peau.

« Mon Prince, dois-je aller vous chercher de quoi vous restaurer aux cuisines ? » demanda Garth, toujours souriant, lorsque Arillius en eut terminé avec sa toilette. « Je suppose que vous devez être affamé après votre... »

« Je ne suis plus un prince désormais, Garth, » répondit sèchement Arillius. « Et non merci, je n'ai pas faim. Prépare-moi mon lit s'il te plaît. Je vais essayer de dormir quelques heures, avant que le soleil ne soit trop haut dans le ciel. »

« Je me permet d'insister, mon Prince, vous devriez au moins avaler un petit quelque chose avant de... »

« Garth, es-tu là pour me servir ou pour remettre en cause mes ordres ? » aboya arillius, excédé par l'attitude du valet.

Le sourire du jeune garçon disparut immédiatement, remplacé par une mine déconfite et des larmes brillantes dans ses grands yeux.

« Pardon, mon Prince. Je ferai comme vous me l'avez ordonné. »

Il s'éclipsa, et Arillius fut immédiatement pris de remords. Garth n'avait rien à voir avec ce qui était arrivé au Sanctuaire, et ce n'était certainement pas la faute du petit valet si les choses avaient mal tourné.

Passer tes nerfs sur lui n'arrangera rien du tout.

« Garth ? » appela-t-il sur un ton radouci, et le visage constellé de taches de rousseur du jeune garçon réapparut à la porte. Il avait de grands yeux verts, un nez pointu, et une épaisse tignasse rousse qui lui retombait sans arrêt devant les yeux. Il était petit et maigrichon pour son âge, et quelque peu maladroit aussi. Il ressemblait aux petits lutins farceurs que l'on voyait dans les illustrations des livres de contes pour enfants. « Viens par là, Garth, s'il te plaît. Je... je veux discuter avec toi quelques instants. » Le jeune garçon s'empressa d'obéir. Son sourire joyeux avait réapparu maintenant que son maître semblait à nouveau dans de meilleurs dispositions envers lui. On ne pouvait imaginer un valet plus serviable et plus docile que lui. « Dis-moi, Garth, depuis combien d'années es-tu à mon service ? »

« J'avais huit ans, mon Prince, lorsque votre noble Père le Roi Augustius m'a placé à votre service. »

« Et tu en as quatorze aujourd'hui, n'est-ce pas ? »

« Oui, mon Prince. »

« Cela fait donc six années, » résuma Arillius, car il savait que Garth n'avait jamais appris les calculs ni les chiffres. Ses connaissances en la matière se limitaient à savoir compter jusqu'à vingt ou trente. « Et tu m'as toujours bien servi. Pas une seule fois, au cours de toutes ces années, je n'ai eu la moindre raison de me plaindre de toi. »

« Merci, mon Prince. C'est un honneur de vous servir, » répondit-il en rougissant violemment.

« Ce soir, quand tu en auras fini avec moi, je veux que tu prépares tes affaires. Demain matin tu iras rejoindre ta famille. Je te payerai le voyage. Ta mère et tes sœurs seront probablement très heureuses de te revoir enfin, après toutes ces années. »

Le jeune garçon en resta bouche bée, les yeux écarquillés de stupeur.

« Vous... vous êtes trop généreux avec moi, mon P... mon Prince, » bredouilla-t-il maladroitement, en repoussant une mèche de cheveux de son visage.

Arillius lui sourit.

« Va, maintenant. Prépare-moi mon lit. »

« Merci, mon Prince. »

« De rien, Garth. Tu le mérites mille fois. »

Ils passèrent tous les deux dans la chambre à coucher, et Arillius se glissa avec bonheur sous ses draps frais. Il ne dormirait probablement pas beaucoup, il le savait. Son esprit ne cesserait de ressasser encore et encore ce qui s'était passé au Sanctuaire, mais son petit geste généreux envers Garth lui avait mis un peu de baume au cœur.

Le petit valet s'assura que tout était en ordre dans la chambre à coucher, puis il s'éloigna. Il avait déjà quasiment franchi la porte lorsque soudain il fit demi-tour et observa son maître. La flamme de la petite chandelle qu'il tenait à la main allumait des étincelles dans ses yeux, et faisait briller ses cheveux roux.

« Mon Prince, je voulais juste... » commença-t-il d'une toute petite voix. Puis il s'interrompit, et rougit jusqu'à la racine de ses cheveux. « J'ai entendu ce qui s'est passé au Sanctuaire. Tout le monde ne parlait que de ça partout. Mais je... Moi je m'en fiche. Pour moi, vous serez toujours le meilleur des deux. Et je suis fier de vous servir ! » dit-il avec une ferveur et une sincérité touchantes. « Même si on me payait le double pour servir le Prince Iveccus, je préférerais quand même rester travailler pour vous ! »

Arillius ne put s'empêcher de sourire.

« Merci, Garth, » lui répondit-il doucement. « Tu es probablement la seule personne dans tout le Royaume à avoir une si haute opinion de moi, et jecrains que ton jugement n'ait guère d'importance aux yeux de tous les nobles qui se pavanent à présent aux pieds de Iveccus... Mais tes mots me font néanmoins chaud au cœur, je peux te l'assurer. »

« Oh non mon Prince ! » s'empressa de répondre le jeune valet, en se rapprochant de quelques pas du lit où son maître était allongé. « Je ne suis pas le seul, non. Détrompez-vous. » Il hésita, se mordit les lèvres, puis il décida finalement de dire ce qu'il avait sur le cœur. « Nous les gens pas importants, les serviteurs et les cuisiniers et les garçons d'écurie... Et bien c'est rare que les nobles nous traitent gentiment. Oh personne ne nous maltraite, mais ils ne nous parlent que pour nous donner des ordres ou pour râler quand quelque chose a été mal fait. Parfois j'ai l'impression que pour eux nous ne sommes même pas vraiment des êtres humains. Pour eux nous sommes juste des... » Il se tut et fronça les sourcils tandis qu'il bataillait pour trouver les bons mots. « Pour eux nous sommes des... des choses qui marchent et qui parlent, et qui n'existent que dans le but de les servir. » Il fit une pausé et hésita, avant de poursuivre. « Mais vous mon Prince vous êtes différent, et la Dame Valéria aussi. Vous nous parlez. Parfois vous nous posez des questions et quand nous vous répondons vous écoutez ce que nous disons, comme si notre opinion avait vraiment de l'importance pour vous. Vous nous dites s'il te plaît et merci. Vous nous traitez vraiment comme des personnes. Comme des êtres humains. » Il fit à nouveau quelques pas pour se rapprocher de Arillius. « Alors nous en fait, ça nous est égal que vous soyez un Prince ou pas. Ça nous est égal que vous avez gagné ou perdu le combat dans le Sanctuaire. Pour moi et pour tous les autres gens dont personnes ne se préoccupe, vous serez toujours le seul vrai Prince. »

Garth était plutôt timide et exprimait rarement ses émotions, aussi Arillius fut-il surpris par cette longue tirade qui venait du fond de son cœur.

« Merci, » répondit-il, sincèrement touché mais également un peu mal à l'aise. Il se déplaça légèrement pour tenter de trouver une position plus confortable. « Je... Tes mots me vont droit au cœur, Garth, et je te remercie. Cela m'aidera à chasser les mauvais souvenirs de cette nuit et à trouver un peu de paix. » Il offrit au valet un sourire affectueux. « Mais maintenant tu devrais aller dormir, car la journée de demain sera longue et chargée pour toi, avec les préparatifs de ton voyage. »

« Oui, mon Prince. »

Garth s'inclina brièvement, puis il s'éloigna du lit à pas de loup et quitta la chambre à coucher de Arillius pour aller regagner son propre lit, dans une pièce aux dimensions modestes accolée à celle de son maître.

Le fils du Roi Augustius se retrouva seul, mais au moins se sentait-il légèrement moins misérable qu'avant. Le fait de savoir qu'il y avait encore des personnes au palais qui voyaient en lui quelqu'un de bien – quand bien même ne s'agissait-il que des serviteurs et des petites gens – lui remonta un peu le moral et l'empêcha de sombrer totalement dans le désespoir. Il soupira, et écouta la musique lointaine qui provenait de la Salle des Rois où les festivités battaient encore leur plein.

Il souffla sa chandelle et fermé ses yeux.

Il était tellement épuisé qu'il s'endormit en un rien de temps malgré les pensées tourmentées qui lui agitaient l'esprit.
 

DeletedUser949

A peine quelques heures plus tard, Arillius fut réveillé par la voix chantonnante de Garth, qui s'activait bruyamment dans sa chambre. Le valet tira les rideaux pour laisser entrer à flots la lumière du soleil.

« Vous avez de la visite, mon Prince, » dit-il sur un ton guilleret.

Ses grands yeux étaient brillants d'excitation, et pour un peu il se serait mis à danser de joie tout en travaillant. Visiblement, l'idée de revoir sa famille d'ici peu l'enchantait au plus haut point.

Malheureusement, Arillius ne partageait pas son enthousiasme.

« De la visite ? » grommela-t-il, en se relevant sur ses coudes.

Il avait l'impression qu'un forgeron avait passé la nuit – ou plutôt la matinée – à lui marteler le crâne contre une enclume, tellement il avait mal à la tête.

Et voilà encore une journée qui commence bien, se dit-il.

« Je ne veux pas de visite ce matin, Garth, alors qui que ce soit tu vas gentiment le renvoyer et lui dire de revenir demain, » ordonna Arillius, avant de se recoucher et de refermer les yeux dans l'espoir de se replonger dans le sommeil.

Mais Garth insista.

« Je... je ne peux pas, mon Prince, » répondit-il nerveusement, en triturant l'ourlet de ses manches, et à son attitude Arillius comprit que la personne qui attendant dehors était probablement quelqu'un de très important.

« Est-ce qu'il s'agit du Roi ? » demanda-t-il, avec un mélange d'espoir et de crainte.

« Non, mon Prince. »

« Ma mère ? »

« Non plus, mon Prince. Elle est venue il y a une heure mais je lui ai dit que vous dormiez, alors elle est repartie. Elle m'a chargé de vous transmettre qu'elle viendra vous voir au courant de l'après-midi. »

Arillius soupira à l'idée de devoir affronter les pleurs et les jérémiades de sa mère, mais il repoussa tout cela hors de son esprit.

« Qui, alors ? » demanda-t-il, et il sentit un nœud désagréable se former dans son estomac car il avait déjà deviné la réponse.

« C'est le Prince Iveccus qui est là, » répondit Garth d'une voix contrite, confirmant ainsi les soupçons de Arillius. « Il vous attend. Il dit qu'il doit vous parler. Il... il dit que c'est très important et que cela ne peut attendre. »

Arillius soupira à nouveau. Iveccus était bien la dernière personne qu'il avait envie de voir, ce matin. Qu'est-ce qu'il me veut, cet imbécile ? Cherche-t-il à frotter du sel dans mes plaies en me rappelant que c'est lui le vainqueur ?

« Ne peux-tu donc vraiment pas le renvoyer ? Mets-le à la porte en précisant bien qu'il s'agit de mes ordres à moi, afin que le blâme n'en retombe pas sur toi. Je n'ai aucune envie de le voir ou de lui parler. »

Garth s'éclaircit la gorge, visiblement très mal à l'aise.

« Il a insisté, mon Prince. Il a dit qu'il ne bougerait pas tant qu'il ne vous aurait pas parlé, et il a dit aussi que si vous refusez de venir à lui il enverra ses gardes défoncer votre porte. Pardon, mon Prince, mais c'est lui qui l'a dit, » rajouta Garth lorsqu'il vit une expression furieuse se peindre sur le visage de son maître. « Je ne fais que répéter ses mots. »

« Qu'est ce qu'il me veut, au juste ? »

« Je l'ignore, mon Prince. Il n'a pas jugé utile de me préciser le motif de sa visite. »

Arillius soupira une fois de plus, et posa une main sur son front dans une vaine tentative pour apaiser un peu la douleur.

Par la Très Sainte Déesse, pourquoi m'inflige-t-on tous ces tourments ?

« Très bien, installe-le dans la petite pièce du fond, près du balcon, et dis-lui que j'arrive dès que je suis prêt. »

Iveccus avait beau être un joli petit prince bien gentil et bien élevé, il savait également se montrer obstiné quand il avait une idée derrière la tête. Aller le voir et écouter ce qu'il avait à dire exigerait probablement moins d'efforts que de chercher à le faire déguerpir sans lui donner ce qu'il réclamait.

Arillius se leva, s'étira, et enfila précautionneusement les vêtements que Garth lui avait préparés, en veillant à éviter tout mouvement brusque. Non seulement sa tête paraissait sur le point d'exploser comme une courge trop mûre, mais son corps tout entier était également courbatu après le combat de la veille.

Ce crétin peut me forcer à venir lui parler, mais il ne peut me forcer à me dépêcher pour lui.

Il prit son temps et sourit vaguement lorsqu'il imagina l'impatience qui grandissait en Iveccus tandis que ce dernier attendait sur le balcon.

Pourtant, au bout d'un moment, Arillius ne trouva plus aucune excuse pour repousser l'entrevue ; il était fin prêt, coiffé et habillé, et l'esprit assez clair pour affronter son ennemi de toujours, malgré ce maudit mal de tête qui ne cessait d'empirer.

Lorsque Arillius entra dans la petite pièce baignée de soleilkj où l'attendait Iveccus, il fut surpris de voir que ce dernier n'avait pas très fière allure. Il avait les traits tirés et le teint aussi blafard que le ventre d'une morue, ce qui pouvait se mettre sur le compte de la fatigue étant donné qu'il avait passé la nuit à festoyer en compagnie des nobles du palais. Mais ce qui était plus troublant, c'était l'aspect désordonné qu'il offrait : ses cheveux, qui était habituellement coiffés à la perfection, étaient à présent détachés et pendaient mollementautour de son visage. Il avait déboutonné le haut de son pourpoint, révélant la chemise de soie blanche et fripée qu'il portait en-dessous. L'une de ses hautes bottes d'apparat était délacée, et il ne portait ni couronne, ni aucun des ornements qu'il affectionnait en temps normal ; aucun anneau à ses doigts, aucune gemme brochée sur son pourpoint au-dessus du cœur, aucune cape rebrodée de fil d'or. Et la fatigue seule ne suffisait pas à expliquer cet aspect négligé. Arillius connaissait assez bien son rival pour savoir que même au bord de l'épuisement, Iveccus n'aurait jamais quitté ses appartements dans un tel état, grands dieux non. Un Prince digne de ce nom ne pouvait se laisser voir ainsi par ses sujets.

Il était évident que quelque chose ne tournait pas rond chez lui, mais Arillius n'était pas d'humeur à essayer de jouer aux devinettes.

« Que me veux-tu ? » demanda-t-il de but en blanc, sans chercher à prendre des pincettes avec l'autre prince. Chacun de ses propres mots résonnait douloureusement à l'intérieur de sa tête.

« J'ai entendu des rumeurs... » commença Iveccus d'une voix incertaine, ce qui ne lui ressemblait pas non plus. Il paraissait particulièrement mal à l'aise.

Où étaient donc passées sa confiance et sa sérénité habituelles ?

« J'ai mieux à faire que de passer ma journée à attendre que tu veuilles bien cracher le morceau, » répliqua Arillius, qui était pressé d'en finir car il savait qu'il n'arriverait pas à garder sa contenance bien longtemps, pas avec cette douleur qui lui vrillait les tempes. « Viens-en au fait, ou sinon je demande à Garth de te raccompagner à la porte. »

« Il paraît que tu vas quitter le palais ? Que tu vas... quitter la capitale, même ? »

Arillius lança un regard sévère à Garth. Le jeune valet était la seule personne à qui il avait parlé de ce projet, pour l'instant.

Si tout le château est déjà au courant cela ne peut signifier qu'une seule chose.

« Pardon, mon Prince, » dit le jeune garçon en baissant honteusement la tête. « Je... je ne voulais pas... »

« Nous reparlerons de cela plus tard, » l'interrompit Arillius, avant de reporter son attention sur Iveccus. « Donc je quitte le palais, et je quitte également la capitale. En quoi cela te concerne-t-il ? Je vais te manquer ? »

Il avait craché ces derniers mots sur ton ton acerbe, mais Iveccus resta sans réaction, comme s'il n'avait pas entendu.

« Personne ne te demande de tout quitter à cause de ce qui s'est passé hier soir, » dit-il finalement, après un long moment de silence. Il leva les yeux et observa le visage de Arillius. « Il n'y a aucune raison pour que... »

« Arrête ça ! » l'interrompit sèchement Arillius. « Nous n'allons pas nous voiler la face, tous les deux. Tu me détestes, et c'est réciproque. Il en a toujours été ainsi, depuis le jour de notre naissance, et ce qui s'est passé hier soir n'a certainement pas arrangé les choses. Tu n'as pas plus envie de me voir rester ici, juste sous ton nez, que moi je n'ai envie de vivre dans un palais qui sera un jour dirigé par mon pire ennemi. Alors arrête de déblatérer ce genre de fadaises. Je pars, un point c'est tout. Et s'il s'agit là de la seule raison pour laquelle tu es venu me parler, et bien voilà, c'est fait, nous pouvons à présent nous dire adieu et passer le reste de nos vies loin l'un de l'autre. »

Iveccus lança un coup d’œil hésitant autour de lui, comme pour s'assurer qu'ils étaient vraiment seuls.

« Il y a autre chose, » dit-il à voix basse. « Je sais très bien que tu n'as aucune envie de discuter avec moi, je le comprend... mais c'est important. » Il hésita, et se mordit la lèvre du bas. « Il y a... il y a quelque chose... »

Il ne finit pas sa phrase, ce qui agaça Arillius au plus haut point.

« Il y a quoi ? » Arillius n'était pas d'une nature patiente, encore moins quand il souffrait comme c'était le cas ce matin-là. D'autant plus que la présence de Iveccus dans ses appartements était comme du sel que l'on frotte dans une plaie.

« C'est... »

Quelqu'un frappa à la porte, et le Prince Iveccus sursauta.

Arillius fit signe à Garth d'aller ouvrir, et le jeune valet se précipita vers la porte à grands pas dégingandés.

L'instant d'après, la voix du Roi Augustius en personne se fit entendre. Arillius en oublia instantanément tout le reste. Il n'avait pas encore revu son père depuis sa défaite dans le Sanctuaire ; il était à la fois impatient de lui parler, et terrifié à l'idée de se retrouver face à face avec celui qu'il avait tant déçu. Le jeune prince avait tellement honte de lui-même et se sa piètre prestation qu'il en avait un nœud à l'estomac.

Il m'a toujours soutenu et encouragé, il a toujours cru en moi, et voilà comment je l'ai remercié : en me ridiculisant devant la capitale toute entière.

Peu après, Garth entra dans la petite pièce en compagnie du Roi Augustius. Ce dernier lança un regard suspicieux à Iveccus, mais Arillius ne tarda pas à prendre les choses en main.

« Le Prince Iveccus était sur le point de s'en aller, » fit-il avec un coup d’œil appuyé à l'attention de son valet. « Garth va dès à présent le raccompagner jusqu'à la porte, et nous pourrons ensuite discuter tranquillement. »

Lorsqu'il se retrouva seul avec son père, Arillius observa pendant quelques instants les silhouettes de Garth et du Prince Iveccus qui s'éloignaient côte à côte, afin de retarder au maximum l'instant où il serait forcé de croiser le regard de son père.

De longues secondes s'écoulèrent, dans un silence absolu et quelque peu inconfortable.

Puis, au bout d'un moment, Arillius n'eut plus d'autre choix que de se tourner vers le vieux souverain. Ses cheveux châtain étaient striés de mèches grises, et de profondes lignes marquaient son visage, lui conférant un air distingué. Ses larges épaules s'étaient quelque peu voûtées avec l'âge et ses bras n'avaient plus leur force d'antan, mais il restait un homme grand et imposant, qui n'avait aucun mal à faire ployer le genou à ses sujets. Ses mains couturées de cicatrices témoignaient de son passé de guerrier, autrefois, à l'époque de sa jeunesse lorsque le Jolinor était en conflit ouvert avec les pirates de Danterosc.

« Père, » dit Arillius en guise d'accueil, sur un ton contrit. Le nœud dans son estomac se resserra davantage encore.

Le Roi Augustius ne répondit pas tout de suite. Il prit le temps d'observer son fils, le visage impassible, et soudain Arillius avait l'impression d'être à nouveau un petit garçon qui venait de commettre une bêtise et qui attendait avec angoisse la réprimande à laquelle il allait inévitablement avoir droit.

Pourtant, lorsque le monarque prit la parole, ce fut sur le ton du regret plutôt que de la colère.

« Arillius, » soupira-t-il, en secouant lentement la tête. « Mon fils... depuis le jour où tu es né je me suis battu pour toi – tu le sais, n'est-ce pas ? » Le jeune Prince hocha misérablement la tête, honteux de voir la déception dans les yeux de cet homme qu'il aimait et qu'il admirait plus que tout au monde. « Je me suis battu pour que tu sois considéré comme un vrai Prince malgré ta naissance quelque peu douteuse et malgré ton attitude parfois irrespectueuse. Je me suis battu pour que tu sois traité avec les mêmes égards que le fils de la Princesse Léalyria. Je me suis battu pour que tu sois respecté. Je me suis battu pour que les gens apprécient tes nombreuses qualités, au lieu de se borner à ne voir que tes défauts. La loi et les traditions étaient contre toi, et pourtant je n'ai jamais baissé les bras et j'ai insisté pour que l'on te donne ta chance – parce que tu es mon fils, mon seul et unique fils, et l'amour que je te porte depuis le jour de ta naissance n'a aucune limite. » Il fit une pause, et lança à son fils un regard emprunt de regrets. « Je voulais te voir siéger à mes côtés sur le trône de la Salle des Rois, Arillius... »

Arillius avalé péniblement sa salive.

La profonde déception qui suintait à travers chacun des mots du Roi Augustius était mille fois plus douloureuse que ne l'auraient été des mots de colère. Le jeune prince ne s'était encore jamais senti aussi mal, aussi honteux.

J'ai tout gâché...

Mais le souverain n'en avait pas encore fini.

« Quand le Prêtre Suprême m'a suggéré ce duel entre Iveccus et toi, je t'avoue que j'ai été grandement soulagé. Il s'agissait d'une chance unique et inespérée de t'imposer comme mon héritier sans créer de scandale et sans risquer d'offenser les partisans de ton rival. J'étais persuadé que tu n'aurais aucun mal à battre Iveccus. Tous ceux qui t'ont affronté sur les terrains d'entraînement ne cessent de me vanter tes talents et ta vaillance, alors que Iveccus... tout le monde sait qu'il ne sera jamais une fine lame. Il sait se défendre, mais sans plus. Je... j'avais confiance. J'étais persuadé que ce ne serait rien de plus qu'une formalité pour toi que de mettre Iveccus à terre... »

Arillius aurait voulu se cacher au fond d'un trou et ne plus jamais en ressortir. Il sentit des larmes brûlantes de honte lui picoter les yeux, et sa gorge se serra si fort qu'il en avait du mal à respirer.

Il avait confiance en moi, et je l'ai trahi. J'ai échoué. J'ai réduit tous ses espoirs à néant.

« Je... » commença-t-il, mais il ne parvint pas à aller plus loin. Il baissa les yeux et fixa ses pieds, car soutenir le regard de son père était insupportable.

Le vieux Roi, cependant, lui posa une main affectueuse sur la joue.

« Que s'est-il passé, Arillius ? » demanda-t-il d'une voix triste et douce, si basse qu'elle était à peine audible.

Tout d'abord, le jeune homme se contenta de secouer la tête d'un air misérable. Puis il tira un peu de courage et de réconfort de cette main si bienveillante posée sur sa joue, cette main qui avait déjà effacé bien des chagrins d'enfance.

« Pardon, Père, » dit-il finalement. « Pardon de vous avoir déçu ainsi. »

« La plupart de mes nobles ne sont que trop ravis de te voir quitter la capitale sous peu, dit-il en retirant sa main et en se tournant vers les grandes portes vitrées qui permettaient d'accéder au balcon. Son regard se perdit quelques instants au loin, dans les parcs et les jardins verdoyants qui entouraient le palais. Les rosiers de Gliophéra étaient pleine floraison, formant des taches de couleurs vives le long de la muraille d'enceinte. « Selon mes conseillers, c'est ce que tu aurais déjà dû faire il y a longtemps. Ils approuvent Iveccus et c'est sans la moindre hésitation qu'ils accepteront son autorité lorsque la déesse aura jugé bon de me rappeler à elle. » Sa voix mourut une fois de plus, laissant à Arillius le temps de considérer cette sinistre éventualité. « Pour l'instant votre rivalité est encore présente dans tous les esprits, mais si tu te retires de la capitale les gens vont petit à petit oublier ton nom, et Iveccus restera aux yeux de tous le seul véritable Héritier. Plus aucune ombre ne viendra entacher son droit de succession. » Il poussa un long soupir, et retira sa main du visage d'Arillius. « J'aurais préféré que les choses ne se finissent pas ainsi pour toi, mais tu as perdu le combat et je ne peux plus rien pour toi. Même un Roi ne peut s'opposer à la volonté de la Déesse. »

« Je le sais bien, Père, » admit Arillius.

Il y eut un long silence, puis le Roi ouvrit les portes et fit quelques pas à l'extérieur, sur le balcon. Arillius lui emboîta le pas. Il ferma les yeux pour savourer pendant un bref instant la caresse du soleil sur sa peau.

« Il y a une chose dont nous devons aussi discuter, » poursuivit le Roi, ses deux mains à présent posées sur la rambarde de pierre sculptée du balcon.

Iveccus voulait discuter, lui aussi, se rappela Arillius, et pendant un bref instant il fut piqué par une pointe du curiosité, puis il repoussa tout cela de son esprit pour se concentrer sur le moment présent.

« Après ta défaite dans le Sanctuaire, j'ai été outré par ton attitude. » La voix du Roi Augustius s'était durcie, et ce fut sur un ton sévère qu'il poursuivit. « En refusant la main tendue de Iveccus puis en le bousculant, tu t'es humilié davantage encore qu'en perdant le combat. Il a eu envers toi un geste de paix et de réconciliation, et toi au lieu d'accepter tu... tu as t'es comporté comme un petit garçon trop gâté qui boude parce qu'il n'a pas réussi à obtenir ce qu'il voulait. »

Les mots étaient durs, et il réveillèrent la colère d'Arillius.

« Je n'avais aucune envie de lui serrer la main, » répliqua-t-il sur sur un ton amer, en se rappelant ce qu'il avait éprouvé la veille.

« T'avait-il insulté ? » demanda le Roi.

« Non. »

« A-t-il cherché à t'humilier d'une quelconque manière ? »

« Non. Mais il a... »

« En quoi t'avait-il offensé, dans ce cas ? »

Arillius tenta de trouver les mots justes, mais il se rendit bien vite compte que c'était peine perdue.

Que pourrais-je bien lui expliquer, à mon père ? Que Iveccus me dégoûtait parce qu'il était trop... trop gentil ? Trop parfait ?

« Il ne m'a rien fait, » admit-il à contrecœur. Il aurait préféré s'arracher la langue plutôt que de prononcer ces mots.

Mais je le déteste.

« Tu m'as fait honte, Arillius ! » cingla le Roi. « En un seul instant tu as balayé tous les efforts que j'ai faits pour toi tout au long de ta vie ! Même un vaurien sans éducation aurait su se comporter avec davantage de dignité que toi. »

Une fois de plus, les mots du Roi Augustius firent mouche.

Un vaurien sans éducation, est-ce donc ce qu'il pense de moi à présent ?

Cette idée lui était insupportable. Comment avaient-ils pu en arriver là ? Comment sa vie avait-elle pu basculer ainsi, en l'espace de quelques heures ?

« Avant ton départ je tiens à ce que tu adresses à Iveccus tes excuses les plus sincères, afin de lisser les plumes que tu as froissées hier en te conduisant comme un rustre. »

« Je n'ai pas envie de... » commença Arillius, dont la colère s'éveilla subitement à l'idée de devoir s'aplatir devant son ennemi juré.

« Ce n'est pas une requête, mon fils, c'est une ordre, » l'interrompit son père d'une voix sans appel. Il n'avait pas haussé le ton, non. Sa voix était parfaitement calme et maîtrisée, mais chargée de menaces. Son regard s'était fait aussi sombre qu'une nuit d'orage, comme à chaque fois qu'il était furieux ou contrarié.

« Mais il... »

« Arillius ! En plus d'être ton père je suis également ton Roi, et je ne tolérerai pas une telle insubordination venant de ta part, » poursuivit le souverain, toujours de cette voix dangereusement calme et basse. « Alors je te le répète, pour que les choses soient parfaitement claires entre nous. Tu iras présenter tes excuses à Iveccus, dès ce soir. Dans la Salle des Rois, où tout le monde pourra être le témoin de votre réconciliation. Je veux que chacun dans ce palais sache que votre différent est réglé une bonne fois pour toutes. » Arillius ouvrit la bouche pour répliquer, mais son père ne lui laissa pas le temps de parler. « Et si jamais l'idée te venait de ne pas te présenter dans la Salle des Rois ce soir, sache que tu pourras tirer une croix sur tous les privilèges auxquels ton statut de fils du Roi te donne droit. Tu devras renoncer sur-le-champ à tous les avantages qui t'avaient été accordés jusque-là. »

Arilius y réfléchit quelques instants, et passa en revue tout ce dont il allait être privé si jamais il refusait de se plier aux ordres du Roi. Une petite rente personnelle et non soumise à l'imposition en vigueur dans le Jolinor... Le droit d'utiliser le sceau royal pour payer ses achats à travers tout le royaume... Le droit d'être hébergé à titre gratuit au palais royal, sans limite de durée... Lors de ses éventuels voyages, si l'envie lui prenait, il y avait également l'obligation pour tous les nobles du royaume de l'accueillir chez eux et de le traiter avec tous les égards dû à un membre de la royauté...

L'expression du Roi se radoucit sensiblement.

« Fais ce que je te dis et tu continueras à vivre comme un Prince, même en habitant loin de la capitale, » insista-t-il.

Arillius affronta son père du regard quelques instants, avant de se rappeler que tenir tête au Roi n'avait jamais abouti à rien de bon, par le passé. Se mettre en colère et se rebeller ne lui apporterait que des ennuis.

« Très bien, » capitula-t-il sur un ton résigné, avant de pousser un long soupir. « Je ferai mes excuses à Iveccus. »

« Dans la Salle des Rois, ce soir, à l'heure d'affluence, » insisté le Roi Augustius. « Je veux que chaque noble de mon palais puisse voir que désormais vous n'êtes plus des ennemis. C'est le seul moyen pour que règne la paix. »

Cette perspective lui donnait envie de vomir.

« Oui, Père, dans la Salle des Rois, à l'heure d'affluence, » acquiesça-t-il sur un ton amer et chargé de rancœur, la mort dans l'âme. « Et je vous promet qu'à l'avenir je m'efforcerai de me conduire plus dignement, afin de ne plus jamais vous faire honte. Je me retirerai du palais dans quelques jours, et vous pourrez alors vous consacrer tout entier à votre noble héritier. »

Jamais encore, de toute sa jeune vie, des mots ne lui avaient paru aussi difficiles à prononcer, mais il furent récompensé par un sourire satisfait de la part de son père.

« Arillius je sais très bien que ta défaite hier soir, au Sanctuaire, a été un coup dur pour toi et pour ta fierté, » dit-il, et son regard se fit à nouveau bienveillant. Une petite brise leur apporta les fragrances des rosiers en fleurs, et Arillius inspira profondément avant de se concentrer à nouveau sur les mots de son père. « Une défaite n'est jamais facile à accepter, et elle l'est encore moins quand la capitale tout entière en a été le témoin. Mais ce n'est pas un raison pour jeter la honte sur notre lignée et sur le nom de ta mère en te conduisant comme un voyou de bas étage, sans honneur ni dignité. »

Arillius se rappela, avec une pointe de culpabilité, à quel point sa mère avait été mal accueillie par la noblesse, le jour où elle avait épousé le Roi Augustius.

Ils l'ont traitée de rustre et de campagnarde sans éducation, et à présent ils vont également dire qu'elle a été incapable d'élever son propre fils correctement.

Il s'en voulait de lui avoir causé du tort, même involontairement.

« Heureusement il n'est pas trop tard pour rattraper cette erreur. Va faire des excuses à Iveccus ce soir, et fais-le de bonne grâce... Non pas avec le visage fermé et renfrogné, et le cœur empli de colère. Non, Arillius. Parle à ton ancien rival avec un sourire avenant et une attitude aimable, fais-lui des excuses sincères. » Il observa le visage de son fils, et secoua lentement la tête. Il avait soudain l'air très vieux, et très las. « Ou tout du moins fais-lui des excuses qui paraissent sincères, s'il s'agit là du mieux que tu puisse faire. »

Arillius hocha la tête, même si l'idée de devoir faire des courbettes devant Iveccus et sa garce de mère – et en public, qui plus est – lui donnait des nausées.

« Je ferai comme vous me l'avez demandé, Père, » dit-il docilement en s'efforçant de ne pas laisser transparaître son aigreur.

« Bien, » conclut alors le Roi Augustius. « Je dois malheureusement te quitter, car je n'ai que trop tardé. Les membres du Conseil m'attendent probablement déjà, car nous avons plusieurs problèmes urgents à régler. Entre les colons du Nord qui s'agitent une fois de plus et ces maudits Orques vomis par la cité de Genovieva qui harcèlent nos frontières, je n'ai guère le temps de me reposer. » Il secoua la tête d'un air dépité. « Tout va mal, en ce moment. Tout va mal. Si les choses continuent à ce train-là, d'ici peu nous serons en guerre. » Puis il se força à sourire. « Mais ne gâchons pas nos derniers instants avec de si sombres pensées. Profite de ces quelques jours qu'il te reste à passer dans la capitale. Et de mon côté, je ferai en sorte de passer encore un peu de temps avec toi, avant ton départ. »

Arillius n'était pas certain d'avoir envie de passer du temps avec l'homme qui allait l'obliger à s'humilier publiquement devant son ennemi, mais il préféré ne rien dire et se contenta d'acquiescer d'un hochement de tête poli.

Un sourire indulgent se dessina sur les lèvres du vieux monarque lorsqu'il serra son fils dans ses bras.

« Tu m'as causé davantage de tracas à toi tout seul que mes six filles réunies, Arillius, mais j'ai toujours été incapable de t'en tenir rigueur, » plaisanta-t-il, mais il y avait de la bienveillance et de l'indulgence dans sa voix.

Puis il relâcha son fils quelques instants plus tard, et – après un dernier sourire rassurant à l'attention de Arillius – il se fit raccompagner jusqu'à la porte par Garth, qui paraissait plus gauche et dégingandé que jamais, sur ses longues jambes maigrichonnes, à côté de l'imposant monarque aux larges épaules.

Arillius soupira, puis il ferma les yeux. Le plaisir d'avoir fini cette discussion sur une note positive était contrebalancé par le dégoût que lui inspirait la perspective d'aller parler à Iveccus, plus tard dans la journée.

Et cette maudite migraine qui continuait à lui battre les tempes !

Il prit une grande inspiration et rouvrit les yeux.

« Garth ? » appela-t-il, dès que le Roi Augustius eut quitté ses appartements. « Est-ce que tu veux bien filer aux écuries et leur dire de me préparer Rosmarin ? Je vais passer le reste de la journée dehors. »

« Bien mon Prince, » dit-il en s'inclinant brièvement, avant de détaler comme un lapin.

Galoper à travers champs, juste lui et Rosmarin... loin du palais... loin de la ville... loin de la foule... voilà bien la seule chose qui pourrait l'aider à se détendre, en cette journée catastrophique.
 

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De longues heures plus tard, alors que le soleil descendait lentement vers l'horizon et que l'air commençait enfin à se rafraîchir, Arillius rentra au palais avec Rosmarin. Ils étaient tous les deux épuisés, mais le jeune Prince avait l'esprit plus clair et son mal de tête s'était quelque peu apaisé. Il se sentait plus ou moins prêt à affronter l'épreuve tant redoutée qui l'attendait, même si cela ne l'enchantait guère. Il rejoignit ses appartements et se trouva nez à nez avec un jeune serviteur d'une quinzaine d'années, et même s'il se réjouissait à l'idée que Garth passe du temps avec sa famille dans sa ville natale, il fut néanmoins contrarié par la présence de ce parfait inconnu. Le garçon – qui se prénommait ???? – était fort poli et faisait des efforts pour satisfaire les moindres demandes de son maître provisoire, mais ce n'était pas Garth et cela mit Arillius de mauvaise humeur. En un tel moment, il aurait plus que jamais eu besoin de la présence joyeuse et réconfortante du petit valet à la tignasse rousse. Il prit un bain et enfila des vêtements propres : une tunique à la coupe simple et élégante, rouge sang et rehaussée d'un ourlet rebrodé d'or. La chemise de soie de Gliophéra qu'il portait en-dessous était couleur crème, et ses bottes de cuir souple remontaient jusqu'à ses genoux. Il avait fière allure et il le savait.

« C'est parfait, » dit-il sur un ton satisfait lorsqu'il se contempla dans le miroir.

Puis il prit une grande inspiration pour se donner du courage.

Il est temps d'y aller, maintenant.

Plus vite il irait parler à Iveccus, plus vite il en aurait fini avec tout ça.

Lorsqu'il arriva dans la Salle des Rois, il put constater qu'une grande partie des nobles résidant au palais s'y trouvaient déjà. Le Roi en personne était déjà présent, lui aussi. Arillius le salua poliment, comme l'exigeaient les convenances, et sourit vaguement lorsqu'il aperçut une étincelle d'approbation dans les yeux de son vieux père.

Je suis là, comme vous me l'avez ordonné.

Il balaya la Salle des Rois du regard, à la recherche de Iveccus, mais il ne vit on rival nulle part.

« Nous attendons encore la venue du Prince Héritier, » l'informa le Roi.

Et moi qui voulais en finir vite...

De longues minutes s'écoulèrent, pendant lesquelles Arillius fut incapable d'avaler quoi que ce fut, tant son ventre était noué. Il observait les autres, ces dames et ces nobles seigneurs qui vivaient au palais, vêtus de leurs plus beaux atours à l'occasion de ce dîner en compagnie du Roi et de son Héritier... Ils s'asseyaient aux tables par petits groupes, puis tout en bavardant et en riant ils se laissaient servir par de petites filles de cuisine vêtues de robes brunes. Certains mangeaient de bon cœur, tandis que d'autres picoraient dans leurs assiettes comme de petits moineaux, et d'autres encore préféraient boire du bon vin dans des coupes en cristal. La plupart d'entre eux lançaient à Arillius des regards suspicieux, voire carrément hostiles ; même parmi ceux qui affichaient généralement de la sympathie envers Arillius, il y en avait à présent qui murmuraient dans son dos et qui l'observaient sans aménité. Le jeune prince avait l'impression d'être entouré par une bande de hyènes médisantes, mais au lieu de s'en offusquer il préféra s'en amuser.

Ah ils veulent jouer à ce petit jeu-là ? Alors jouons !

Lorsqu'il entendit Dame Soléria glousser et murmurer à l'oreille de sa voisine – le sujet de leur petite conversation secrète n'était pas bien difficile à deviner, vu qu'elles avaient toutes les deux le regard braqué sur Arillius – il s'approcha d'elles d'un pas décontracté, avec un grand sourire. Elles rougirent jusqu'aux oreilles et cessèrent instantanément leurs messes basses, et tentèrent maladroitement de retrouver un tant soit peu de contenance.

« Bien le bonsoir mesdames, » leur dit-il sur un ton charmeur, en s'inclinant devant elles, sans se départir de son sourire. Il décida de pousser le jeu plus loin encore, en déposant un baiser de courtoisie sur leur mains enveloppées de gants de soie. « A en juger par vos mines réjouies et vos yeux pétillants, j'en déduis que votre conversation est fort amusante. Me feriez-vous l'honneur de partager avec moi ce qui vous fait tant rire ? »

Elles bafouillèrent et finirent par déclarer, le visage écarlate d'embarras, qu'il était grand temps pour elles de retourner à leurs appartements. Elles s'éloignèrent à petits pas furieux et maladroits, engoncées qu'elles l'étaient dans leurs corsets et leurs jupons et leurs bottines à talons.

Elles vont probablement aller se plaindre à leurs maris de mon insolence, se dit Arillius. Il était particulièrement satisfait de lui-même.

Lorsqu'une brève mélodie de clairon annonça l'arrivée imminente d'un membre de la famille royale, Arillius en oublia instantanément tout le reste. Il répéta une dernière fois les mots d'excuse qu'il avait décidés de prononcer, puis il décida de se lancer et se dirigea vers les hautes portes par lesquelles Iveccus n'allait pas tarder à passer pour faire son entrée dans la Salle des Rois.

Inutile de tergiverser. Qu'on en finisse une bonne fois pour toutes.

Pourtant, lorsque les portes s'ouvrirent, ce fut la Princesse Léalyria qui fit une entrée magistrale. Elle était seule ; son époux, comme tout le monde le savait, était parti commercer avec le peuple des Landes, au nord. Mais Iveccus aurait dû se trouver à ses côtés, or il n'était pas là. Arillius lança un regard interrogateur à son père, mais ce dernier paraissait tout aussi étonné que lui par l'absence de son Héritier.

La Princesse Léalyria avança gracieusement jusqu'à l'estrade royale en distribuant des sourires à tout va. C'était une très belle femme, avec de longs cheveux blonds, des yeux clairs et un visage particulièrement agréable à regarder, mais Arillius savait que derrière ce masque de beauté se cachait une femme aussi venimeuse que les crochets d'une vipère. Dès son plus jeune âge, il avait appris à se méfier d'elle.

« Très chers convives, je suis au regret de vous annoncer que mon fils le Prince Héritier Iveccus ne pourra pas se joindre à nous ce soir, » annonça-t-elle d'une voix qui paraissait sincèrement peinée, lorsqu'elle eut grimpé les quelques marches qui permettaient d'accéder à l'estrade sur laquelle se trouvait la table royale. « Il souffre énormément, et préfère de ce fait rester dans ses appartements pour se reposer jusqu'à ce qu'il se sente à nouveau mieux. Bien entendu il aurait préféré se trouver ici, parmi vous, » rajouta-t-elle en offrant un sourire chaleureux à tous les nobles qui se pressaient autour d'elle. « C'est à grand regret qu'il a dû se résigner à tirer une croix sur ce dîner en votre compagnie, mais il m'a chargée de vous transmettre ses plus sincères excuses. »

Les gens se mirent à échanger des regards et des murmures. Arillius savait que la nouvelle de la maladie du Prince allait se répandre comme une traînée de poudre à travers la capitale, puis à travers le Royaume tout entier.

« Puis-je me permettre de vous demander de quel mal souffre notre Héritier ? » demanda Sire Joeran, un homme grand et potelé, âgé d'une quarantaine d'années, qui aimait se vêtir de couleurs vives et dont le front dégarni luisait à la lumière dansante des lustres de cristal qui étaient accrochés au plafond. « Sera-t-il bientôt guéri et de retour parmi nous ? »

Le joli visage en cœur de la Princesse Léalyria afficha une expression profondément peinée, et des larmes firent briller ses grands yeux bleus ourlés de cils épais ; si Arillius ne la connaissait pas aussi bien, il aurait presque pu croire que son chagrin était sincère.

Elle exagère et elle dramatise et elle en fait toute une histoire pour s'attirer leur sympathie, rien de plus. Sale chienne fourbe et vicieuse.

« Je suis malheureusement dans l'incapacité de vous répondre, » dit-elle d'une voix tremblante. « Il ne s'agit pas d'un mal commun que l'on peut guérir facilement... » Elle fit une pause, et observa la foule un long moment. Son regard s'attarda sur le Roi Augustius, dont le visage était de marbre. « Les guérisseurs pensant à du poison, » conclut-elle finalement, avant de cacher son visage entre ses mains.

Plusieurs dames de haut rang se précipitèrent immédiatement auprès d'elle pour la réconforter, et des murmures choqués s'élevèrent de la foule, résonnant entre les hauts murs de la Salle des Rois.

Du poison ?

Arillius sentit son estomac se nouer. Il se rappela soudain que Iveccus était venu le voir ce matin, le teint maladif et vêtu d'une tenue débraillée...

J'aurais dû le laisser parler, se morigéna-t-il.

« Ma chère et tendre fille, les accusations que tu viens de proférer ici sont très graves, et probablement infondées, » dit sévèrement le Roi, et soudain le silence retomba dans la Salle des Rois. « Notre Héritier a festoyé toute la nuit, et nous savons tous que ce genre d'excès peut causer quelques... désagréments le lendemain. »

Le visage de la Princesse Léalyria se durcit. Elle était presque aussi grande que son père, et n'eut aucun mal à le regarder dans les yeux – d'autant plus qu'elle se tenait sur l'estrade, ce qui lui conférait davantage de hauteur encore.

« S'il ne s'agissait que de cela les guérisseurs auraient su quels remèdes lui donner pour le soulager, or rien de qu'ils lui ont administré n'a réussi à apaiser son mal, » dit-elle d'une voix inflexible. « Selon eux, il s'agit bel et bien de poison. »

Puis son regard tomba sur Arillius, qui se tenait à côté du Roi Augustius. Il y avait tant de haine dans ses yeux, tant de haine...

Si un regard pouvait tuer je serais mort sur place.

« Cette hypothèse me paraît d'autant plus plausible que nous avons plusieurs personnes au palais qui ont de très bonnes raisons d'en vouloir à mon fils, n'est-ce pas ? » Elle avait craché ces mots avec mépris. « Qu'as-tu fait à mon fils, sale petit bâtard ? Tu était furieux parce qu'il t'a battu lors de votre duel, alors tu as voulu te venger n'est-ce pas ? Que lui as-tu fais boire ce matin quand il t'a rendu visite ? »

Pendant un bref instant, Arillius ne sut pas quoi répondre. Il était sous le choc. Léalyria le détestait depuis toujours et elle était prête à tout pour le rabaisser ; elle l'avait bien souvent accusé à tort pour essayer de le faire chuter dans l'estime de son père, mais jamais encore elle ne l'avait accusé d'un crime aussi grave.

Attenter à la vie d'un membre de la famille royale est puni par la peine de mort, se rappela-t-il, et soudain il se sentit glacé jusqu'à la moelle de ses os.

« Léalyria, par la Déesse Toute-Puissante ! » cingla le Roi Augustius. « Cesse tes médisances sur-le-champ ou je te fais raccompagner dans tes appartements par mes gardes. » Ils s'affrontèrent du regard pendant quelques instants, puis – lorsque le Roi fut certain que sa fille allait garder le silence – il poursuivit : « Je ne tolérerai pas que de telles accusations haineuses et infondées soient proférées ici, dans la Salle des Rois de nos ancêtres. »

« Vous le protégez, Père, comme vous l'avez toujours fait, n'est-ce pas ? » rétorqua la fille du Roi, qui n'était pas d'humeur à se laisser impressionner. « Mais cette fois il est allé trop loin. Il a empoisonné un membre de votre famille, Père. Il a empoisonné votre Héritier. Vous ne pouvez pas le couvrir. Pas cette fois. »

Arillius sentait que tous les regards étaient braqués sur lui, mais il avait eu le temps de reprendre un peu de contenance.

« Soyez assurée, Dame Léalyria, que si c'était moi qui avait empoisonné votre fils je ne me serais pas contenté de lui administrer des maux d'estomac ou des migraines, » dit-il avec un sourire féroce. « Si c'était moi qui avait empoisonné votre fils, il serait déjà en compagnie de la Déesse à l'heure actuelle. »

Il éclata de rire en voyant le visage de Léalyria devenir livide.

« Arillius ! » s'écria son père, mais sa voix était noyée par les exclamations scandalisées qui fusaient de toutes parts.

« Sale bâtard ! On aurait dû te noyer dès le jour de ta naissance, cela nous aurait épargné bien des soucis ! »

Elle avait abandonné tout semblant de dignité, et laissé cours à toute sa haine.

« Dame Léalyria ! » s'exclama l'une de ses dames de compagnie, les yeux aussi ronds que ceux d'une chouette.

« Ou peut-être s'agit-il simplement de la Déesse qui a compris qu'elle avait fait le mauvais choix en offrant la victoire à Iveccus ? Peut-être cherche-t-elle à réparer son erreur en le faisant disparaître, me débarrassant ainsi de mon seul rival ? »

Vaguement, Arillius prit conscience qu'en prononçant ses mots il venait de faire exactement l'inverse de ce qu'il était venu faire : au lieu d'apaiser les tensions, il avait soufflé sur les braises pour les raviver.

Mais elle l'a cherché, la garce, se justifia-t-il. Si elle m'avait laissé tranquille nous n'en serions jamais arrivés là.

Il vit Léalyria descendre de l'estrade et s'approcher de lui à pas menaçants, et il s'apprêta à l'affronter plus directement, mais avant que les choses ne puissent dégénérer davantage trois soldats revêtus d'armures, qui faisaient partie de la Garde du Roi Augustius, se dressèrent entre les deux ennemis.

« Tout doux, jeune Prince, » lui dit l'un d'entre eux, et Arillius reconnut la voix de Homer, le vétéran de la Garde. « Venez avec moi. Je vous raccompagne jusqu'à vos appartements. »

Il posa une main gantée de fer sur l'épaule de Arillius.

« Sale chienne ! » grommela-t-il. « Et dire que j'ai failli m'aplatir devant eux en leur faisant des excuses ! »

Il était bien content de ne pas l'avoir fait.

« Venez, jeune Prince, » insista l'homme d'armes, en le tirant légèrement.

Arillius préféra ne pas lui tenir tête. Il adressa un dernier geste obscène à Léalyria, ce qui provoqua une nouvelle vague de murmures outrés, puis il s'éloigna en compagnie de Homer. Il fulminait comme jamais auparavant. Il aurait voulu la tuer, de ses propres mains. Se débarrasser d'une une bonne fois pour toutes. Ne plus jamais avoir à se demander quel sera le prochain mauvais coup qu'elle allait lui préparer... Ne plus jamais avoir à surveiller ses arrières... Ne plus jamais avoir à sentir sa haine brûlante polluer l'air dès qu'ils se trouvaient tous les deux dans la même pièce...

Soudain, d'une manière tout à fait inattendue, des larmes amères lui montèrent aux yeux et il eut le plus grand mal du monde à les retenir.

Et bien voilà, il ne manquait plus que ça.

Heureusement, ils venaient d'atteindre ses appartements. Il congédia Homer et s'enferma dans sa chambre à coucher, puis il se laissa tomber sur son lit tout habillé, l'esprit et le sang en ébullition.

Comment ose-t-elle m'accuser ainsi ? Elle a gagné la bataille, non ? Son fils va devenir Roi, non ? Alors pourquoi me faire ça maintenant ? Pour salir mon nom ? Pour me faire passer pour un monstre aux yeux de la noblesse? Ça ne lui suffisait donc pas de m'évincer de la ligne de succession et de me voir quitter la capitale, il fallait également qu'elle m'enfonce plus bas que terre avant mon départ ? Que va-t-elle encore me faire, pendant les jours qui vont suivre ?

Arillius prit son oreiller et le lança à travers la pièce. Il heurta le mur avant de retomber mollement sur le sol.

« Je te hais, espèce de vieille garce, » grommela-t-il.

Ses mots se perdirent dans l'obscurité, inoffensifs et sans force.

Il ne dormit pas beaucoup cette nuit-là, et passa les heures les plus sombre à imaginer mille et une tortures, plus cruelles les unes que les autres, qu'il aimerait infliger à la Princesse Léalyria si on lui en donnait l'occasion.
 

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Le lendemain Arillius se leva à l'aube et fit de son mieux pour paraître en forme. Il ne voulait surtout pas donner à Léalyria le plaisir de voir que ses mots et son attitude agressive l'avaient affecté. Il soigna son apparence plus encore qu'en temps normal, et afficha un sourire rayonnant lorsqu'il se dirigea à grands pas fringants vers la Salle des Rois. Sa fureur l'avait quitté. Il avait l'esprit plus clair, et les regards offensés des gens qu'il croisait dans les couloirs l'amusaient plus qu'ils ne l'agaçaient.

Qu'ils jouent donc aux petits commère de couloirs si ça les chante, mais c'est pas ça qui va m'empêcher de vivre ma vie.

Il avait mieux à faire que de pleurnicher parce que ces imbéciles ne l'aimaient pas.

Le reste de la matinée s'écoula paisiblement. Arillius – qui s'était préparé à faire face à une nouvelle attaque de Léalyria – ne vit cette dernière nulle part, ni dans la Salle des Rois ni dans les jardins où elle aimait habituellement passer du temps lors des chaudes journées d'été, bien à l'ombre des saules, en compagnie des autres dames de la noblesse. La rumeur disait qu'elle se trouvait auprès du Roi et qu'elle ne se laisserait plus voir de la journée. Arillius en fut presque déçu. Il avait soigneusement préparé et répété ses répliques toute la nuit, impatient de provoquer sa demi-soeur avec des piques bien choisies, impatient de la rendre furieuse une fois de plus. Et à présent il avait l'impression d'être privé d'un plaisir longtemps attendu. Frustration et mauvaise humeur se réveillèrent une fois de plus en lui.

Il constata avec plaisir, cependant, que personne n'avait pris les accusations de Léalyria au sérieux. Même les plus fervents partisans de Iveccus étaient convaincus qu'il ne s'agissait là que d'élucubrations farfelues destinées à avilir Arillius.

Elle a raté son coup, cette fois, jubila le jeune fils du Roi tout en marchant vers les écuries avec une pomme pour Rosmarin dans les poches.

Lorsque les cloches du Sanctuaire sonnèrent midi, remonta au palais et se dirigea vers la Salle des Rois pour y prendre son repas. La Princesse Léalyria ne s'y trouvait pas, mais Iveccus était assis à la table royale ; il était impeccablement coiffé et vêtu, et il paraissait en pleine forme. Il avait le teint frais et reposé, le visage souriant, et il bavardait allègrement avec un jeune homme d'une vingtaine d'années.

Il n'a jamais été malade, réalisa Arillius. Regarde-le, ce petit princelet. Il rayonne de vie et de bien-être. Il n'a jamais été malade. Il a juste fait semblant, pour donner à sa mère l'occasion de m'accuser. Et quand ils ont compris que personne ne prenait au sérieux leurs accusations, ils ont décidé de tout laisser tomber.Bande de sales fourbes menteurs.

Arillius se rappela vaguement de l'apparence négligée de Iveccus, la veille au matin, puis il décida de repousser tout cela hors de son esprit. Cela ne voulait rien dire. Cela n'avait aucune importance.

Il se dirigea vers Iveccus et le félicita d'avoir recouvré la santé si vite, puis il lui débita les excuses qu'il avait préparées la veille, en s'inclinant bien bas devant son rival – car il savait que plus son propre comportement serait humble et irréprochable, plus les médisances et les accusations de Léalyria à son encontre paraîtraient odieuses.

De plus, cela me fera remonter dans l'estime de Père.

Ce fut donc très satisfait de lui-même qu'il descendit aux terrains d'entraînement, après le repas. Il n'eut aucun mal à se trouver un adversaire, un vieux vétéran du nom de Forsthan qui avait combattu dans de nombreuses batailles et qui donna bien du fil à retordre au jeune prince. Au bout de quelques minutes à peine, Arillius était déjà trempé de sueur. Aucun nuage ne flottait dans le ciel, aucune brise ne soufflait dans la petite cour pour adoucir la chaleur accablante de cette après-midi d'été.

Au bout d'une heure, le Roi Augustius en personne vint rejoindre son fils sur les terrains d'entraînement.

« Le prince semble être en bonne santé ce matin, » lui fit remarquer Arillius en guise d'accueil. « Visiblement, le poison que je lui ai administré avec tant de cruauté n'était pas suffisant pour en finir avec lui, comme je le souhaitais. »

Le vieux Roi soupira.

« Je m'excuse sincèrement de t'avoir exposé à ses attaques, » dit le vieux Roi sur un ton las, en s'asseyant sur l'un des bancs de fortune qui avaient été mis en place tout autour des terrains d'entraînement. « J'étais persuadé qu'elle n'éprouverait plus le besoin de s'en prendre à toi, une fois que son fils aurait obtenu la couronne d'Héritier. J'étais persuadée qu'elle ferait preuve de bonne volonté et qu'elle accepterait tes excuses envers Iveccus. Visiblement, je me suis trompé. »

Il fit signe à Arillius de le rejoindre sur le banc, et le jeune homme obéit sans tarder.

« Merci de ne pas avoir cru à leurs mensonges, » lui dit Arillius avec sincérité, car si le Roi avait décidé de prendre le parti de Léalyria, la vie du jeune homme aurait pris une tournure dramatique.

« Tu n'était pas obligé d'en rajouter et d'attiser sa haine en la provoquant, » rajouta le vieux Roi sur un ton sévère, mais presque immédiatement un petit sourire indulgent étira ses lèvres. « Vous avez provoqué une belle esclandre, tout les deux. L'histoire a déjà fait le tour de la moitié du Royaume, et les gens ne parleront que de ça pendant des mois. »

« Elle a... »

« Elle a commencé, oui, » soupira le Roi sur un ton las. « Elle l'a cherché. » Il fit une pause et considéra son fils pendant un long moment. « Toi et Léalyria vous êtes tous deux des adultes, des personnes respectables et bien nées, avec du sang royal dans les veines – alors pourquoi est-ce que j'ai l'impression de me trouver face à deux petits enfants mal élevés, à chaque fois que vous vous trouvez tous les deux dans la même pièce ? Je ne peux vous obliger à vous apprécier, mais ne pourriez-vous pas faire des efforts pour vous tolérer, au moins ? »

« Je ferai des efforts lorsqu'elle en fera, » dit-il, mais à peine avait-il prononcé ces mots qu'il le regretta immédiatement.

On dirait bel et bien les mots boudeurs d'un petit enfant mal élevé.

« Cependant, j'ai été agréablement surpris par les rumeurs que je viens d'entendre dans la Salle des Rois, à propos de ton comportement envers Iveccus, » poursuivit le Roi, et cette fois ce fut un sourire franc et affectueux qui illumina son vieux visage creusé de sillons. « Je doute que tu l'aies fait par bonté d'âme, et je suis persuadé que tu ne l'aurais pas fait si tu n'y avais pas gagné quelque chose en retour... mais quoi qu'il en soit j'apprécie le geste. Tu as toute ma gratitude, Arillius. »

« Merci, Père, » répondit Arillius, en souriant à son tour, même s'il se sentait un mal à l'aise à l'idée d'avoir été démasqué aussi facilement.

Les autres nobles comprendront-ils tout aussi facilement que je ne l'ai fait que pour servir mes propres intérêts ?

« Arillius, je n'aime pas l'idée de te voir quitter la capitale, » continua le Roi, sur un ton grave qui indiquait clairement que la suite n'allait pas être agréable. « J'aurai préféré pouvoir te garder à mes côtés pour t'apprendre à diriger ce Royaume, mais la Déesse en a décidé autrement et tu vas devoir partir... alors le mieux serait peut-être de hâter ton départ. Quitte le palais, quitte la capitale avant qu'une nouvelle confrontation ne puisse avoir lieu entre toi et Léalyria. Il faut que nous puissions retrouver la paix à la cour, et ce ne sera malheureusement pas possible tant que tu seras présent. »

Il est en train de me jeter dehors, réalisa Arillius. C'est Léalyria qui m'a lancé des accusations mensongères à la figure, mais c'est moi qu'il met à la porte pour avoir la paix. C'est de moi dont il se débarrasse.

Il avait beau savoir qu'il s'agissait là de la seule solution possible – mettre à la porte la mère du Prince Héritier était impensable – mais il en eut néanmoins un petit pincement au cœur.

« Quand désirez-vous me voir partir ? »

« Au plus vite. Demain. »

« Demain ? Je n'aurai jamais le temps de tout pr... »

« Tout est déjà réglé, » l'interrompit le Roi Augustius, pour en finir avec cette pénible discussion au plus vite. « J'ai pris des dispositions pour que tout soit prêt demain matin. Des serviteurs sont en train d'empaqueter tes affaires en ce moment même. »

Arillius fixait don père, incrédule.

« Demain ? » répéta-t-il, choqué.

Quitter le palais dans quelques semaines, à l'heure où il l'avait lui-même décidé et après avoir pris le temps de faire ses adieux à tout le monde, était une chose. Partir en toute hâte, sans avoir revu ses amis une dernière fois, sans avoir profité une dernière fois de tout ce qu'il aimait ici, était beaucoup plus difficile.

Il y avait tant de choses qu'il aurait voulu faire avant son départ.

Comment suis-je censé faire mes adieux à mon ancienne vie en si peu de temps ?

« C'est trop court, » dit-il finalement. « Il me faut au moins trois jours. »

« Ce sera demain, Arillius. Que cela te convienne ou pas. Et ta mère partira avec toi. Elle est ravie de pouvoir quitter la capitale, où elle ne s'est jamais vraiment sentie à l'aise... et ravie de me quitter moi, aussi, » conclut le vieux souverain avec une note d'amertume dans sa voix. « Mes serviteurs s'occupent de tout, Arillius, alors profite de tes dernières heures dans la capitale pour faire tout ce que tu as encore à faire ici. » Le Roi Augustius soupira, puis il se releva et posa un regard chargé de regrets sur son fils. « Je suis désolée d'avoir à en venir à une telle extrémité, mais ce qui s'est passé hier soir est la preuve que je ne peux te laisser prolonger ton séjour ici. »

Arillius hocha la tête, car il était encore trop ahuri pour parler.

Lorsque le Roi fut loin, Arillius se leva à son tour et ramassa son épée, mais la nouvelle de son départ imminent l'avait laissé sans forces.

Laisse tomber, de toutes façons tu n'arriveras plus à rien de bon.

Il remonta dans ses appartements, fit un brin de toilette puis s'installa à sa table de travail pour faire une liste de toutes les personnes qu'il désirait visiter avant son départ. Bien vite, cependant, il se rendit compte qu'il ne parviendrait jamais à caser tous ses projets dans les quelques heures qu'il lui restait avant la fin de la journée. Découragé, il poussa un long soupir et s'adossa contre le dossier matelassé de velours de son siège, et ferma les yeux pour essayer de repousser toutes les pensées agitées qui tourbillonnaient dans son esprit.

Et c'est là que le sommeil, après l'avoir fui toute la nuit, lui tomba dessus dans prévenir. Il s'endormit en quelques secondes, et se réveilla tard dans la nuit. Son serviteur n'avait pas fermé les rideaux, probablement pour ne pas les réveiller, et la lumière de la lune se déversait dans la pièce par les hautes fenêtres vitrées.

« Bon, et bien maintenant au moins la question est réglé, » ironisa-t-il, la voix encore rauque de sommeil.

Maintenant au moins je n'aurai plus besoin de choisir à qui je vais rendre visite, et à qui je vais devoir faire mes adieux par écrit. Puis il se dit que c'était peut-être mieux ainsi : pas d'adieux déchirants, pas de larmes, pas de promesses désespérées. Pas de mièvreries inutiles. Une coupure nette et propre.

Il observa les murs de sa chambre plongée dans l'obscurité. Il ne dormirait probablement plus jamais ici.

Ce soir c'est toute une vie qui s'achève, mais qu'y aura-t-il demain ?

Il avait l'impression que son futur était un gros trou noir et béant, un vide qui allait l'engloutir pour le faire disparaître à jamais. Cette sinistre pensée lui donnait des frissons et ce fut avec un nœud à l'estomac qu'il se leva de son siège, raide et endolori après avoir dormi si longtemps dans une position inconfortable. Il s'étira longuement et s'allongea sur son lit, mais il était à présent trop réveillé pour se rendormir. Il entendit les cloches sonner au loin – celles du Sanctuaire, mais également celles des petits temples modestes disséminés aux quatre coins de la cité. Il était si tard que mêmes les auberges et les tavernes avaient déjà fermé leurs portes, car les rues étaient aussi silencieuses qu'un tombeau, tout autour du palais.

Arillius soupira.

Je ne sais même pas à quoi ressemble le Val d'Ochs, et j'ignore tout des gens qui vivent là-bas. Et si la vie à la campagne ne me convient pas ?

Des milliers de questions sur son avenir lui trottaient dans la tête, mais il n'avait personne avec qui partager ses états d'âme alors il se contenta de scruter le plafond de sa chambre, avec ses moulures et ses minuscules fissures qu'il connaissait par cœur, jusqu'à ce que finalement le chant du coq s'élève au petit matin.



Le soleil était déjà haut dans le ciel, le lendemain, lorsque Arillius se hissa sur le dos de son fidèle Rosmarin, dans la grande cour pavée du palais royal. Autour de lui se pressait le reste de son escorte : des serviteurs pour veiller à son confort pendant le voyage, des chariots de vivres, un peu de bétail pour apporter du sang neuf aux troupeaux du Val d'Ochs, ainsi qu'un petit contingent de cent cinquante soldats à cheval qui constituaient sa garde personnelle ; ils allaient suivre Arillius jusqu'au Val d'Ochs et rester là-bas avec lui. Si certains paraissaient plutôt enthousiastes à l'idée de ce voyage, la plupart affichaient une grise mine et ne se montraient que fort peu désireux de quitter leurs familles pour aller s'enterrer dans la campagne aux côtés d'un petit prince dont le nom serait bientôt oublié. Arillius fit la promesse de recruter et d'entraîner des soldats sur place, afin de pouvoir renvoyer ceux-ci dans la capitale au plus vite, auprès de leurs épouses et de leurs enfants. Pour ne rien arranger, il faisait chaud et les mouches bourdonnaient agressivement autour des montures, si bien que celles-ci trépignaient et s'agitaient et ne tenaient pas en place. L'ambiance était tendue, et Rosmarin lui même ne cessait de frapper le sol de ses sabots.

La Reine Valéria ne tarda pas à rejoindre son fils dans la cour. Elle avait les mêmes cheveux noirs et bouclés que son fils, le même visage avenant, les mêmes yeux sombres qui brillaient comme des billes d'onyx poli. Elle était drapée dans une robe légère et fluide, d'une belle couleur miel, qui semblait flotter tout autour d'elle et qui mettait en valeur sa silhouette élancée. Son chapeau de toile était orné d'une voilette de dentelle destinée à protéger son visage des insectes et de la poussière pendant le voyage. Du haut de sa petite jument noire au poil luisant, c'était indéniablement une très belle femme, que les années n'avaient pas encore beaucoup marqué ; son regard, cependant, se faisait froid et désapprobateur à chaque fois qu'il tombait sur le Roi Augustius. Autrefois elle l'avait éperdument aimé, mais n'importe qui pouvait voir que cette époque était à présent révolue ; à présent le dédain était la seule chose qu'elle avait encore en réserve pour le noble souverain qu'elle avait épousé il y a de si longues années.S'il avait eu le cran de s'affirmer face à sa cour, disait-elle souvent, et ce dès le jour de ta naissance, alors il aurait agi en Roi digne de ce nom et il nous aurait épargné bien des souffrances, à tous les deux. Mais il ne l'avait pas fait, et elle n'a jamais vraiment réussi à lui pardonner cette offense. Le mépris, les larmes et la rancœur étaient venus s'insinuer entre eux, rongeant leur amour un peu plus chaque jour, jusqu'à ce qu'il n'en subsiste plus rien. Et la défaite de Arillius, suivie par son départ précipité, avaient envenimé davantage encore les choses entre les deux époux royaux.

Voilà ce qui arrive lorsque l'on se marie au-dessus de son rang, disaient souvent les vieilles langues de vipèrequi se rassemblaient sur la place du marché pour commérer. Voilà ce qui arrive aux ambitieuses qui jettent leur dévolu sur des hommes mieux nés qu'elles dans le seul but d'élever leur propre position. Elles ne récoltent que le malheur.

Et peut-être qu'elles ont raison, se dit Arillius en observant sa mère d'un air dépité.

Dame Valérie du Val d'Ochs n'avait certes pas épousé le Roi par ambition ou par cupidité, non. Elle l'avait épousé parce qu'elle éprouvait pour lui un amour réel et sincère. Mais peut-être... Peut-être que si elle était restée au Val d'Ochs... si elle avait choisi d'épouser un petit noble de la campagne sans histoires... Dans ce cas il n'y aurait jamais eu toutes ces histoires de rivalités pour le titre d'Héritier, il n'y aurait jamais eu cette animosité entre elle et la Princesse Léalyria, il n'y aurait jamais eu les ragots et les rumeurs colportés par les serviteurs, ni les murmures désobligeants de la noblesse qui estimait qu'une paysanne n'avait pas place auprès d'un Roi...

Aurait-elle vraiment été plus heureuse si elle avait renoncé à épouser mon père ?

La question aurait mérité réflexion, mais Arillius fut interrompu par un jeune valet d'une dizaine d'années, qui lui annonça que Sire Desmond désirait lui parler une dernière fois avant le départ. Très peu de nobles étaient venus assister au départ de Arillius, mais Sire Desmond avait toujours compté parmi ses plus fidèles partisans, et visiblement la défaite au Sanctuaire n'avait pas suffi à émousser sa loyauté. Ils échangèrent quelques mots sous le soleil ardent de la mi-journée ; Sire Desmond n'était ni jeune ni vieux, un noble entre les deux âges dont l'esprit était aussi affûté qu'une lame en acier. Il avait toujours une opinion sur tout, qu'il défendait avec âpreté lorsqu'il se trouvait face à des gens dont les vues étaient différentes – ce qui était souvent le cas de Arillius. Le jeune Prince avait souvenir de bon nombre de discussions animées au coin du feu, les soirs d'hiver lorsqu'il n'y avait rien d'autre à faire ; parfois le ton montait entre eux lorsque aucun des deux ne parvenait à imposer son point de vue, mais ils finissaient toujours par se quitter en bons termes, après une dernière tournée du fameux hydromel vieilli en fût que Sire Desmond produisait sur ses terres.

« Vous allez me manquer, jeune Prince, » admit l'homme de la noblesse, et l'expression de tristesse qui marquait son visage paraissait sincère. « La vie au palais sera bien ennuyeuse pour moi, lorsque je ne serai plus entouré que par une bande de moutons sans esprit qui hochent docilement la tête à tout ce que je dis. »

« Alors venez me voir au Val d'Ochs un de ces jours, et nous pourrons à nouveau batailler comme nous aimons tant le faire, » lui proposa Arillius.

« Ce serait avec le plus grand plaisir, jeune Prince, d'autant plus que le Val d'Ochs a la réputation d'être une terre particulièrement giboyeuse. Mes bassets se feront un plaisir d'y chasser le lièvre ou le faisan. »

Ils échangèrent encore quelques mots et quelques politesses, puis Sire Desmond fit ses adieux à Arillius.

Dès qu'il eut disparu, ce fut le Roi Augustius en personne qui vint trouver Arillius. Ce dernier ne put s'empêcher de sourire à la vue de son père ; ils n'allaient probablement pas se revoir avant de longues années, et le jeune Prince était heureux de pouvoir échanger quelques mots avec lui juste avant son départ.

« Père, » le salua-t-il, tout en mettant pied à terre car il aurait été extrêmement malpoli de sa part d'adresser la parole au Roi du haut de sa monture. Ils se firent face en silence pendant quelques instants, et Arillius vit qu'il était à présent légèrement plus grand que son père. Il n'avait encore jamais remarqué ce détail auparavant.

« Tu ne seras jamais Roi à ma suite, Arillius, mais tu resteras toujours mon fils bien-aimé, toujours. Quoi qu'il arrive. Rien au monde ne pourra jamais changer cela. »

« Merci, Père. »

Le vieux souverain prit le visage de son fils entre ses mains, et lui déposa un baiser affectueux sur le front.

« Je veillerai personnellement à ce que toi et ta mère vous ne manquiez jamais de rien, » poursuivit-il. « S'il te faut quoi que ce soit que tu ne peux obtenir sur place, fais-moi part de tes désirs et je les exaucerai sans tarder. » Il poussa un long soupir triste. « Tu auras une belle vie, Arillius, je t'en fais la promesse. »

« Merci, Père, » répéta Arillius. « Je n'en doute pas. »

Le jeune homme savait pertinemment que son père allait se plier en quatre pour le rendre aussi heureux que possible, malgré la tournure désagréable qu'avait prise sa vie depuis quelques jours.

« Va, maintenant, » dit le Roi en caressant distraitement l'encolure de Rosmarin. « Et fait bien attention à toi. »

Ils échangèrent un dernier regard, puis Arillius se remit en selle.

Il ne savait pas ce que sa nouvelle vie loin de la capitale allait lui réserver, mais au moins il serait loin de Iveccus et de sa maudite mère ; après avoir été forcé de les côtoyer et de supporter leur animosité pendant de si longues années, ce fut presque comme une délivrance pour lui que de pouvoir s'éloigner d'eux.

Lorsque le clairon retentit pour signaler le départ, il enfonça ses talons dans les côtes de Rosmarin, qui bondit en avant.

Il laissa derrière lui d'abord le palais, puis la capitale avec ses rues pavées surchauffées par le soleil. Tout autour de lui s'étendaient à présent des champs à perte de vue, parsemés de-ci et de-là de petits bosquets de chêne et de hêtre et de bouleau. Ils passèrent devant plusieurs corps de ferme grouillants d'activité, mais les paysans leur lancèrent à peine un regard lorsqu'ils passèrent devant, soulevant un nuage de poussière dans leur sillage.

Et lorsque la capitale ne fut plus qu'une petite tache sombre à l'horizon, loin derrière eux, Arillius poussa un long soupir de soulagement. Il avait l'impression de respirer librement pour la toute première fois de sa vie.
 

DeletedUser

Je n'ai pas encore lu tout ton chapitre 1 mais j'aime beaucoup ton style d'écriture et ton début d'histoire.

Il y a juste des petites fautes de frappe comme ici >> "Laissons-les grandir, disait-l" ou tu as oublié le "i"
 
Salut Ari, ton texte m'a beaucoup plus. J'ai aimé l'intrigue et la façon dont tu décris l'environnement et les personnages. Je suis restée captivée du début à la fin et je me demande bien ce qui arrivera aux chapitres suivants :)
Je tente de t'envoyer en MP un document avec les erreurs que j'ai trouvé.
 
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N'est pas ouverte pour d'autres réponses.
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