Sur la place d’un village fantôme, seul le vent fait grincer les battants de la porte de la Taverne. Le tavernier est depuis longtemps parti, ne prenant avec lui que sa caisse, la salle commune, les chambres, sont encore dans leur jus, la poussière virevoltant sous la caresse de la brise légère. Les braseros autrefois piliers de lumière au milieu des ténèbres restent désespérément éteints au crépuscule. Seules les plantes persistent, s’accaparant toutes les meilleures places.
Un craquement soudain dans les ombres, une lueur rougeoyante, l’odeur si caractéristique d’un cigare accompagnent mon entrée dans les ombres mouvantes. Mes yeux balayent le bâtiment déserté, exhalant la fumée d’un long soupir. Plus aucun confrère, aucune consoeur, aucune partenaire potentielle. Dédaignant le comptoir envahi par la mousse, je traverse chaque pièce, me remémorant chaque souvenir, chaque cri, chaque larme versée en ce lieu. Tant d’années à exercer un art désormais tombé dans l’oubli. Le parquet grince à chaque pas, lamentations d’un établissement voué à la destruction. Au fur et à mesure de ma progression, mes doigts frôlent quelques reliques abandonnées, ici un fouet, là-bas, une robe, plus loin, un carnet de notes. Lambeaux d’un passé révolu.
Crépuscule d’une histoire, aube d’une autre. Et un cigare presque terminé.
D’un ultime claquement de mon fouet, je renverse toutes les bouteilles derrière le bar. Dernières vapeurs avant la crémation. D’un pas vif, je sors enfin de la Taverne, jetant par-dessus mon épaule la dernière braise que je fumais en ces lieux, offrant à ce qui fut autrefois un grand lieu de débauche et de vices, un bûcher funéraire digne. Les flammes dévastent tout, attisées par la caresse du vent, craquements de flammes répondant aux claquements de ma cape. Seulement lorsqu’il ne reste que des braises fumantes en compagnie des cendres, je m’incline, et m’efface par delà les ombres.