La nuit tombait sur les Monts Brumeux. Sur les aires de Crissaegrim, moi, Thorondhor, je m'apprêtais à prendre mon envol, pour une dernière course avant que ne s'allument les premières étoiles. Mais Maeglin, l'Aigle du Sud, s'approcha de moi, et dit:
-Le Gardien des Livres Thenodin, de la ville de Starfold, que nous protégeons, a trouvé un étrange manuscrit, porteur d'un récit venu d'un monde qui n'est point le nôtre. Je ne sais si cela peut vous sembler utile de passer voir de quoi il s'agit, mais l'affaire m'a paru assez importante.
-Merci, Maeglin. Sois assuré qu'à mon retour, tu sauras tout. Je rentrerais sans doute tard, que la Sentinelle ne s'alarme pas.
Sur ces mots, je partis. Bientôt, Starfold apparut, ville perchée en haut d'un éperon rocheux, perdue dans la brume. Ses hautes tours, surplombant le défilé des Issnigh, dressaient leurs flèches dorées vers un ciel constellé de ces éclatantes larmes de lune, plus brillantes que les joyaux de Fëanor.
Le Gouverneur de la place, Durinod, n'attendait pas une arrivée si prompte, et, après les salutations d'usage:
-Seigneur Thorondhor, vous êtes venu avec bien de la hâte. Nous n'espérions pas vous revoir avant une semaine.
-Je viens, Durinod, pour le manuscrit. Maeglin m'en a parlé. Où est-il? D'où vient-il? Qu'y a-t-il d'inscrit dessus?
-Thenodin, pourtant un grand érudit, ne parviens pas à le déchiffrer, malgré toute sa science, il travaille encore à comprendre son sens. Le début était écrit en runes elfiques et dans notre langue, mais la suite est en une langue inconnue, et certains signes sont très différents... Mais venez, suivez-moi. Il est dans son cabinet d'études, et vous expliquera cela bien mieux que moi-même.
-Bien, allons-y. Loge-t-il toujours dans l'aile Nord, à l'autre extrémité de la forteresse? J'ai horreur de vos couloirs et de vos escaliers, ils sont trop étroits pour un Aigle de ma taille...
Quelques instants après, j'entrai dans une petite salle aux hautes voûtes d'ogive, percée de vastes fenêtres, éclairée par trois lustres de fer forgé. Tout était rangé avec un ordre admirable. Au fond de la pièce, assis devant un bureau sur lequel trônait le fameux manuscrit, le Gardien des Livres remplissait des pages entières de parchemin, raturant d'un trait quelques mots, feuilletant des livres posés autour de lui.
Le gardien, Thenodin, n'était pas de ces érudits austères et énigmatiques, de ces sages vieux comme le monde dont la barbe blanche traîne sur le sol: c'était un homme d'âge mûr, mais encore jeune, au visage empreint de sérieux et d'affabilité.
Lorsqu'il s'apeçut de ma présence, il voulu se lever pour me saluer, mais je lui demandai de continuer son travail. Il me dit alors:
-Seigneur Thorondhor, j'ai bientôt découvert le secret de cette langue inconnue. Cela prendra du temps, mais à présent je puis presque déchiffrer le manuscrit. Je vous en montrerai les feuillets au fur et à mesure.
-Bien, ami Thenodin, que les Valar t'assistent! mais comment êtes vous entrés en possession d'un tel objet?
-Un marchand, seigneur, m'a vendu un coffre ayant appartenu à l'elfe Cingolfin, qui est dit avoir voyagé, par la grâce d'Illuvatar, hors des Terres du Milieu: et voici ce que nous y avons trouvé. Mais c'est le seul de ce genre.
J'incilai la tête pour regarder le manuscrit de plus près: la reliure de cuir noir paraissait ancienne et avait bien résisté au temps. Mais la tranche était usée et dédorée, et des pages entières semblaient abîmées par l'humidité. Sur la couverture, en runes d'or, était inscit: "Dragons et centaures: la Vallée perdue". Ensuite, je me lançais dans l'examen détaillé du travail d'interprétation de Thenodin sur la langue inconnue . A la fin, je pris congé de lui en ces termes.
-Merci, Gardien, préviens-moi lorsque tu auras avancé ton oeuvre.